Un psychiatre aurait «fait voler en éclats toutes les barrières de la déontologie» en commettant un viol et un attentat à la pudeur à l’encontre d’une patiente «sous emprise». Le prévenu évoque une attirance réciproque.
Comment l’attirance d’une personne pour une autre se manifeste-t-elle ? Pour le psychiatre qui comparaissait à la barre de la 7e chambre correctionnelle lundi, une de ses manifestations possibles serait le mal de dos. Une nouvelle patiente, appelons-là Claire, souffrait justement de ce mal. La jeune femme est décrite par son avocate comme «douce», «vulnérable», «manquant de confiance en elle», «ne sachant pas dire non», «fuyant les conflits» et respectueuse de l’autorité et de l’expérience d’autrui. Dès la fin de la première séance, le médecin aurait ressenti une attirance physique et de la sympathie pour la jeune femme. «Dès lors, je ne voulais plus être son médecin traitant», indique-t-il à la barre. Il lui aurait alors demandé de lui amener les factures de ses deux premiers rendez-vous afin de pouvoir les annuler et «effacer toute trace de son passage», conclut le juge.
Il y aura pourtant encore deux séances et le psychiatre prendra un cours de pilates au studio de la jeune femme. Cours qui, dit-il, confirmera son attirance. Lors d’un troisième rendez-vous médical, le psychiatre aurait eu l’intention d’avouer ses sentiments à la jeune femme et d’interrompre la thérapie. À la place, il se serait contenté de lui annoncer son intention de ne pas poursuivre les pilates, selon Claire. Lui, raconte qu’après lui avoir dit qu’il ne souhaitait plus poursuivre la prise en charge – après concertation avec son épouse et son superviseur –, il aurait concédé à la demande de la jeune femme de continuer à la recevoir pour lui prodiguer des conseils, «mais dans un autre contexte». C’est dans cet «autre contexte» qu’il l’aurait reçue quelques jours plus tard. Il aurait eu une annulation et Claire aurait dû lui apporter des prospectus publicitaires pour son studio. Il ne se souvient plus qui a appelé qui pour se rencontrer ce jour-là. Pour Claire, il s’agissait cependant bien d’une séance dont le rendez-vous avait été pris en amont. Elle ne devait en aucun cas déposer de prospectus. «Une aberration», de plus, dira-t-elle.
«Est-elle dingo ?»
Lors de cette séance, le psychiatre n’aurait, selon l’avocate de la partie civile, plus su «contrôler ses pulsions et serait passé à l’acte». Le prévenu devait lundi répondre des préventions de viol et d’attentat à la pudeur. Lors de ce troisième rendez-vous, il aurait commis un viol digital, caressé et embrassé Claire sans son consentement, ainsi que montré son pénis et demandé de l’embrasser. Pour lui, l’attirance aurait été réciproque. Le mal de dos dont souffrait la jeune femme aurait cristallisé cette attirance.
À la barre, le prévenu persiste, ironise, joue sur les mots, donne des réponses contradictoires aux questions du juge, mais tient bon. «Je lui ai tendu la main, elle s’est assise sur mon genou gauche, se souvient-il. J’ai touché son dos amicalement. J’ai mis mes mains sous son pull, j’ai touché son sein. (…) C’était interactif !» «Une phase d’intimité entre deux personnes consentantes.» Jamais il n’aurait touché son vagin. «La pénétration est une pure invention de votre patiente ?, s’emporte le juge. Est-elle dingo ? Pourquoi aurait-elle dit que vous avez mis un doigt ? Vous pensez qu’elle a des problèmes psychologiques aussi graves qu’elle aurait pu inventer une chose pareille ?» Le prévenu explique qu’un traumatisme psychique pourrait la pousser à construire un autre récit.
L’arrivée du patient suivant mettra un terme au calvaire qu’aurait vécu la jeune qui racontera qu’il lui aurait proposé de le rejoindre l’après-midi même et d’«apporter de la vaseline». À la barre, le prévenu dit s’être étonné de ne pas l’avoir vue revenir et être tombé des nues quand la police l’a tiré de son lit en pleine nuit. «Je ne voulais pas porter plainte», explique Claire aux policiers qui viennent de l’entendre ce jour-là, «Je voulais simplement être sur une liste au cas où on aurait encore besoin de moi. (…) Moi, ça va. Ce qui m’est arrivé n’est pas très grave, J’aurais pu continuer ma vie et le mettre de côté. C’est une amie qui m’a dit que ce qu’il m’avait fait était un viol.»
«L’emprise était incontestable»
Deux années après les faits, la jeune femme présenterait les symptômes du syndrome post-traumatique, selon son avocate. «L’emprise était incontestable», estime cette dernière pour qui il y a bien eu viol et attentat à la pudeur avec la circonstance aggravante que le prévenu était le médecin de la jeune femme. «Dès la première séance, il connaissait toutes les clés de la personnalité de ma mandante, ses faiblesses et ses failles. Il les a largement exploitées», indique-t-elle, «Elle ne voit pas le piège se refermer sur elle.» À commencer, selon elle, par le fait d’effacer les traces de son passage – «Il prépare le terrain» –, le fait de lui imposer le tutoiement et de lui faire la bise aux pilates – «Il sort du cadre de la thérapie». Pour elle, «il n’a plus de limites» et «a mis sa patiente en danger».
L’heure tourne. Les versions sont contradictoires. Le juge ne lâche pas le prévenu. Le temps vient à manquer. Une nouvelle audience doit être fixée pour poursuivre les débats et permettre à l’avocate de la partie civile de terminer sa plaidoirie. Ce sera le mardi 22 juin prochain. La défense et le parquet pourront ensuite enchaîner.
Sophie Kieffer