Six mois après sa prise de poste, le consul honoraire du Luxembourg dans le Grand Est, Yves Wendling, partage ses impressions et sa vision de la relation franco-luxembourgeoise.
Le 20 novembre dernier, Yves Wendling, 49 ans, était nommé consul honoraire du Luxembourg dans la région Grand Est : une fonction diplomatique exercée à titre bénévole couronnant une carrière de médecin et un engagement, de longue date, au niveau associatif et politique. Ces six derniers mois, il a fait le tour des ministères, administrations et autres bureaux d’élus. Nous l’avons donc interrogé sur l’état des relations bilatérales et sur les défis à relever dans la Grande Région.
En quoi consiste exactement votre mission ?
Yves Wendling : Elle est triple. D’abord, porter assistance aux Luxembourgeois qui auraient des difficultés sur le territoire français, avec tout ce que ça comporte de questions pratiques : tous les jours, je reçois par mail ou téléphone des demandes d’aide concernant certaines démarches administratives par exemple, du type “Je suis Luxembourgeois, je veux me marier en France, que dois-je faire?”. Avec le Covid, j’ai aussi reçu beaucoup de questions sur les modalités pour passer les frontières. Et comme j’ai un rôle d’information auprès des entreprises qui voudraient s’implanter en France ou au Luxembourg, je suis aussi sollicité de ce côté-là.
Ma deuxième mission concerne la représentation du Luxembourg dans le Grand Est : je suis donc convié, à ce titre, à différentes manifestations ou évènements, même si pour l’instant, avec la pandémie, tout cela est suspendu.
Enfin, je suis mobilisé sur les dossiers transfrontaliers, notamment pour favoriser les échanges au niveau régional entre le Grand-Duché et les élus français, les représentants de la Chambre de commerce, ou encore les corps constitués.
Forcément, vu la situation géographique du Grand Est, ce volet doit vous occuper davantage par rapport à vos collègues…
Oui, c’est sûr! Nous sommes six consuls honoraires au total, un dans chaque grande région de France, et avec plus de 100 000 résidents du Grand Est qui exercent leur activité professionnelle au Luxembourg, je suis celui qui a le plus de travail. Ce phénomène soulève, en effet, de nombreuses problématiques et donne lieu à beaucoup d’échanges entre les deux pays.
Combien de Luxembourgeois résident sur le territoire dont vous avez la charge ?
On ne dispose pas de ces chiffres car il n’existe aucun fichier spécifique qui les répertorie, mais le phénomène des Luxembourgeois venant s’installer côté français existe bien. C’est lié au prix élevé de l’immobilier au Grand-Duché. En général, ils s’établissent le long de la frontière. C’est un phénomène assez localisé.
Vous habitez Metz, là où se situe le consulat. Combien de travailleurs frontaliers compte l’agglomération ?
Environ 10 000, ce qui fait du Luxembourg le premier employeur de Metz Métropole. Évidemment, plus on s’approche de la frontière, plus ça augmente. Aujourd’hui, le Luxembourg a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée et il va la chercher de plus en plus loin, donc il y a aussi des travailleurs frontaliers à Nancy, environ 500.
« Le fait que le Luxembourg accueille des patients français durant la crise du Covid a aussi été un geste très fort »
Est-ce que vous intervenez aussi pour eux dans le cadre de vos fonctions ?
Oui, par exemple, pour la mise en place de la Maison du Luxembourg qui a ouvert ses portes en gare de Metz, j’ai facilité, en amont, les contacts de l’équipe avec les autorités luxembourgeoises : je leur ai ouvert les portes des grandes administrations avec qui ils seront amenés à travailler pour régler les problèmes des frontaliers. Un contact direct, c’est toujours mieux que la voie classique! Voilà une illustration de ce que je peux faire pour eux. Pour d’autres problèmes particuliers, je peux aussi les faire remonter à l’ambassade ou au Luxembourg directement.
Ces six derniers mois, vous avez découvert les coulisses de la relation franco-luxembourgeoise. Qu’en avez-vous pensé ?
Qu’elle est très bonne. En fait, elle n’a sans doute jamais été aussi bonne! Ce n’est pas un secret, Emmanuel Macron et Xavier Bettel s’apprécient beaucoup. Même style, même âge, mêmes valeurs politiques : ils s’entendent parfaitement.
Le fait que le Luxembourg accueille des patients français durant la crise du Covid a aussi été un geste très fort, très bien perçu en France : Macron en a parlé à chaque fois qu’il est intervenu, et dans les ministères, à Paris, on peut dire que ça a contribué à donner corps à la relation entre les deux peuples.
Et puis, au niveau des élus régionaux, un vrai changement s’est opéré : alors que l’ancien maire de Metz avait une relation compliquée avec le Luxembourg, son successeur est très favorable à la coopération, tout comme le maire de Thionville, et celui de Nancy, qui a tout de suite demandé à me rencontrer.
Est-ce à dire que le mouvement d’élus qui réclamaient une “compensation financière” au Luxembourg est retombé comme un soufflé ?
Dominique Gros, qui en était le fer de lance, n’est plus là. Quant aux autres élus que j’ai pu rencontrer, aucun ne m’en a parlé! Les mentalités ont évolué et les gens sont beaucoup plus prêts à discuter, à travailler ensemble dans un bon état d’esprit. La récente création du pôle métropolitain frontalier est un bon exemple : les communautés de communes de Thionville, Hayange, ou Longwy se sont regroupées pour créer ensemble des projets qu’elles présentent ensuite au Grand-Duché afin d’obtenir un cofinancement.
Le Luxembourg a-t-il la même motivation ?
Oui, vraiment. J’ai même été surpris de voir à quel point cette volonté politique de travailler ensemble est unanime, des deux côtés de la frontière.
« Beaucoup de gens l’ont maintenant compris : on est tous dans le même bateau »
Est-ce suffisant pour enfin faire de la Grande Région autre chose qu’un vœu pieux ?
C’est vrai que ça fait 30 ans qu’on en entend parler et que ça s’arrête là… Mais pour moi, elle existe vraiment la Grande Région! Ce qui ressort de mes échanges avec les élus français, c’est qu’au final, la Grande Région se retrouve en concurrence avec les grandes métropoles européennes en termes d’attractivité. Les jeunes, aujourd’hui, s’ils ne restent pas dans la région, ils partent à Paris, Londres ou Berlin. L’intérêt pour le nord de la Lorraine, il est là : son principal atout, c’est la proximité avec le Luxembourg! C’est ça qui fait que des jeunes vont s’installer.
Et ça, beaucoup de gens l’ont maintenant compris : on est tous dans le même bateau! Elle est là la Grande Région : ce sont les mêmes problématiques qui nous rassemblent. En Moselle particulièrement. Si on regarde les mouvements de population dans ce département, on s’aperçoit que le nombre d’habitants se maintient autour d’un million ces dernières années, mais par contre, beaucoup ont migré vers Thionville ou Hettange-Grande, où tout se développe, tandis que Forbach ou Sarrebourg perdent des habitants et s’appauvrissent. Le maire de Metz, François Grosdidier, a coutume de dire que sans le Luxembourg, Metz ressemblerait à Charleville-Mézières ou Sedan…
Autour de quels dossiers la coopération entre la France et le Luxembourg se concentre-t-elle aujourd’hui ?
La base, c’est la conférence intergouvernementale qui a eu lieu en 2018, lors de la visite d’État du couple grand-ducal en France : les deux pays ont alors signé des accords de codéveloppement associés à des projets d’intérêt pour les frontaliers et financés à hauteur de 110 millions d’euros par chaque partie. C’est dans ce cadre qu’ont pu être mis en œuvre les parkings relais de Metzange et Longwy. Un parking silo verra aussi le jour en gare de Thionville.
Une nouvelle conférence aura lieu cet été pour faire le point et d’autres accords viendront sans doute à l’avenir, car le Luxembourg a la volonté d’investir. Pour l’instant, ça se limite aux infrastructures de mobilité parce que c’est là-dessus qu’il y a le plus de retard et qu’il est nécessaire d’avancer là-dessus.
Qu’en est-il de la formation, régulièrement citée comme enjeu économique de la Grande Région ?
La formation, il en a été beaucoup question pendant la crise sanitaire, puisque le Luxembourg a pu mesurer à quel point il était dépendant des frontaliers. C’est pour cela d’ailleurs que de nouvelles formations pour devenir infirmier, sage-femme ou manipulateur radio seront proposées dès septembre à l’université du Luxembourg. Une coopération sera en place via les stages d’un côté ou de l’autre de la frontière.
Il y a aussi des choses qui se font pour les demandeurs d’emploi, dont le rapprochement de Pôle emploi et de l’Adem pour dispenser des cours de code informatique pendant trois mois intensifs.
Au-delà de cette coopération par petites touches, la Grande Région ne peut-elle pas créer des structures de formation communes ?
C’est toujours un peu compliqué vu qu’il existe déjà l’université de Lorraine et l’université du Luxembourg. Il y a des échanges, mais ça s’arrête là. Alors oui, on entend régulièrement, côté français, “On forme des jeunes et ils partent travailler au Luxembourg”, mais une récente étude de l’université de Lorraine montre que si 10 % des jeunes diplômés se tournent effectivement vers le Grand-Duché, ils sont surtout 50 % à quitter la région!
Donc l’attractivité se fait aussi par la proximité et le Luxembourg ne doit pas être vu comme un concurrent : tant mieux si ces jeunes restent dans la région pour travailler côté luxembourgeois. Si toutes les infirmières qui sortent de l’école trouvent du travail, formons davantage d’infirmières! Ne nous posons pas la question de l’endroit où elles vont travailler. Il faut former plus de monde dans les branches qui recrutent.
Parlons un peu de vous. Vous êtes né à Dudelange en 1971, mais vous avez grandi en France. Quel lien entretenez-vous avec le Luxembourg ?
Oui, j’ai grandi entre Audun-le-Tiche, d’où est originaire mon père, et Esch-sur-Alzette, où habitaient mes grands-parents maternels, ma mère étant luxembourgeoise. Comme dit Stéphane Bern, “pour moi, le Luxembourg c’était les vacances”! Je parle luxembourgeois depuis tout petit, car c’était la langue qu’on parlait à la maison. Quand je suis entré à l’école, je ne parlais pas français. Donc j’ai un lien fort avec le Grand-Duché, même si je n’ai pas la nationalité.
Vous êtes médecin généraliste à Fameck. Continuez-vous à exercer ?
Oui absolument, car la fonction de consul honoraire est bénévole. Je suis donc tous les jours au cabinet et je jongle entre les sollicitations des citoyens, les demandes des médias, les rencontres avec les autorités, etc. C’est une organisation parfois tendue, mais c’est vraiment enrichissant!
Engagé dans le milieu associatif et en politique – vous avez été conseiller municipal d’opposition à Metz jusqu’en 2019 –, comment l’idée de candidater au poste de consul honoraire est-elle venue ?
C’est mon prédécesseur qui m’a contacté car il partait en retraite. Il connaissait mon parcours et avait pensé à moi pour prendre la suite. Ma candidature a été proposée au Luxembourg puis à la France. J’ai dû démissionner de mes fonctions politiques pour accéder au poste. Toute la procédure a duré deux ans, jusqu’à mon assermentation en novembre 2020. Je suis nommé pour cinq ans renouvelables.
Quels liens avez-vous avec les autorités luxembourgeoises? Avez-vous des rendez-vous de travail au Grand-Duché et si oui, pour faire quoi ?
On échange beaucoup par mail et par téléphone, et l’ambassade à Paris organise des rencontres au sein des ministères. Dans le cas de projets particuliers, je peux être sollicité directement : je me suis rendu récemment à la Chambre de commerce à Luxembourg car ils ont un projet de salon dédié à la smart industry, et samedi j’ai vu le président de la Chambre de commerce de Moselle pour lui en parler. Donc je mets les gens en lien, je crée des échanges.
J’ai aussi pu visiter la House of Startups à Luxembourg : ils ont lancé un club de la Grande Région avec des représentants d’incubateurs des quatre pays. Ça marche bien! Pour eux, il n’y a pas du tout de frontière. Tout ça me nourrit et m’aide à tisser mon réseau.
Avez-vous des projets qui vous sont propres et que vous souhaitez mener à bien durant votre mandat ?
Oui. Tout d’abord, une chose que je trouve importante à améliorer, c’est la visibilité : on parle des accords de co-développement, mais encore faut-il les rendre visibles et palpables pour les gens et ce, des deux côtés de la frontière. Pour moi, il faut que, lorsqu’on inaugure des projets en commun en France, des personnalités du Luxembourg soient présentes. D’ailleurs, ça va se faire beaucoup plus parce qu’il y a une demande pour ça des deux côtés. Les citoyens doivent voir ce que le Grand-Duché contribue à financer.
Et puis, au-delà des échanges économiques et de la mobilité dont on a parlé, j’aimerais beaucoup que les échanges culturels se multiplient. C’est important de se nourrir de la culture de l’autre dans une région frontalière. Il y a eu des initiatives par le passé, mais il faut aller plus loin. Esch 2022, par exemple, peut être un tremplin pour les années à venir en matière de coopération culturelle. Les Luxembourgeois ont toujours été attirés par la France et l’inverse est aussi vrai.
J’ai le projet de relancer l’Association des Luxembourgeois en Lorraine, qui a existé il y a longtemps mais qui est un peu tombée en désuétude. Installée à Metz, elle organisera des évènements, pour la fête nationale par exemple, des échanges culturels, des conférences, pour montrer ce qu’est le Luxembourg en dehors de la place financière. Une relation entre deux pays, c’est aussi une culture à partager.