Cette semaine, Daddy’s Home, de St. Vincent, sorti le 14 mai sur le label Loma Vista.
Une fois encore, St. Vincent (de son vrai nom Annie Clark) montre qu’elle n’est pas une femme facile. Elle pourrait pourtant jouer sur ses attributs, que tout le monde jalouse : sa beauté, sa culture, son talent de guitariste et même son réseau (qui compte notamment David Byrne, avec lequel elle a enregistré un album, Love This Giant). Pourtant, à chaque retour en lumière, elle se transforme, change de personnage et de musique. Comme David Bowie et d’autres (PJ Harvey, Kate Bush), la réinvention fait partie de son vocabulaire, ce qui s’observe à travers une discographie qui mixe formats conventionnels et avant-gardisme.
Les exemples ne manquent pas. On l’a d’abord connu en promesse délicate auprès de Sufjan Stevens et du Polyphonic Spree, avant qu’elle ne sorte définitivement de sa chrysalide pour signer trois disques qui font date : Strange Mercy (2011) sur lequel elle dynamite sa pop; St. Vincent (2014) qui prolonge l’audace avec des projections futuristes et des élans électroniques toujours plus présents; MASSEDUCTION (2017), enfin, porte le coup de grâce, baignant dans des sonorités synthétiques, dominé par cette figure mi-séductrice, mi-dominatrice, en cuir et latex.
Pour ce sixième album, bien que sur la pochette, elle emprunte la perruque de Candy Darling, muse d’Andy Warhol et du Velvet Underground, St. Vincent n’abuse pas du travestissement. Car ici, elle parle beaucoup d’elle, et pour une fois, regarde en arrière et non loin devant. Une production personnelle donc, au titre qui parle de lui-même : Daddy’s Home (soit «Papa est rentré») est en effet dédié à son père, emprisonné en 2010 à la suite de sa participation à un scandale financier, et libéré il y a deux ans. Ce qui permet à sa fille, au passage, de parler de sa propre peur d’être parent et de la notion de famille.
Une filiation qui se matérialise jusque dans sa musique, influencée par l’envie de replonger dans des souvenirs d’enfance et l’écoute de vieux vinyles. Si la première chanson, Pay Your Way in Pain, annonce pourtant un prolongement à MASSEDUCTION, la suite se calme vite. Quatorze chansons (dont trois interludes) «couleur sépia» comme elle dit, «fabriquées au cœur de New York entre 1971 et 1975». Esthète reconnue, Annie Clark donne encore plus d’authenticité à son projet en l’enregistrant au studio Electric Lady de Greenwich Village.
Du glamour en plus, et du mystère en moins, St. Vincent propose, avec Daddy’s Home, un disque moins visionnaire que les précédents. Mais le charme est toujours là, car bien qu’ici elle ne cache pas ses intentions et laisse tomber les barrières, elle n’étouffe pas pour autant ses envies : celles de viser large. Pour preuve, des chansons qui s’acoquinent au soul-rock de Stevie Wonder, au funk sensuel de Prince et au psychédélisme vaporeux des Pink Floyd.
Dans un clin d’œil, elle se réapproprie même le tube de Sheena Easton, 9 to 5 (Morning Train), qui parle d’une femme au foyer qui attend que son mari rentre du boulot… Un emprunt ironique mais étonnant, qui dit en creux une chose : St. Vincent, 38 ans, a voulu réaliser un disque plus terre à terre, plus souple, moins audacieux. Que ceux qui trouvaient son œuvre jusque-là hermétique en profitent : ça ne va pas durer longtemps !
Grégory Cimatti