Pour son premier ouvrage au scénario et au dessin, le jeune auteur Loïc Guyon s’amuse des séries d’action américaines. Il en tire une histoire perchée entre réalité et fiction, à destination des plus (et des moins) jeunes.
Parfois, par hasard ou dans un besoin nostalgique, il arrive de se replonger dans un film ou une série des années 80-90, avec ses figures invincibles, tout en testostérone et patriotisme exacerbé. Du grand divertissement à l’américaine avec explosions et morts en pagaille qui, avec le temps, résonne différemment. Plus jeune, on louait la fougue, le courage et les répliques saillantes du héros. Aujourd’hui, on en voit les aspects pervers et les messages en creux : ode à la consommation et aux armes, capitalisme, machisme…
C’est dans cet entre-deux qu’est le personnage principal de L’Américain, Francis. D’un côté, il se promet de s’émanciper auprès de sa petite amie, Claire (qui vient de s’installer chez lui), et d’écrire enfin son «chef-d’œuvre». De l’autre, il n’arrive pas à se détacher de sa passion dévorante pour une série télévisée et, surtout, pour son agent secret coriace : l’Américain. Ce dernier n’a pourtant pas la carrure de sa profession, avec ses jambes arquées, son ridicule petit chapeau et sa bedaine.
Last Action Hero et ses vrais méchants
Mais quand il s’agit d’aller défendre la bannière étoilée, il s’agite comme personne ! Sous l’eau ou dans les airs, en voiture ou en side-car, à la grenade, au lance-roquettes ou même avec une raquette, il met systématiquement la pâtée aux nombreux ennemis que comptent les États-Unis : terroristes, communistes, nazis… Le tout sans perdre le cigare des lèvres! Des aventures qui font débat parmi les amis de Francis, divisés quant à l’intérêt pour ce héros qui ne lâche pas son téléphone, même durant une folle course-poursuite. Eux aussi cherchent sûrement à grandir…
Mais l’histoire se complexifie quand la fiction rattrape la réalité et que tout se mélange, un peu comme dans le classique Last Action Hero (1993), quand Arnold Schwarzenegger s’amusait à traverser le grand écran pour affronter de vrais méchants. Ici, il est question du petit, et Francis se trouve lui aussi confronté à son modèle qui, en guise de confiance, lui laisse une mallette à protéger «coûte que coûte»… Sera-t-il à la hauteur ? La quête identitaire prend alors des airs surréalistes, avec notamment une conclusion étonnante qui se joue de l’espace et du temps.
Un livre qui se consomme comme une bonne série
Pour que l’idée prenne et que le lecteur ne se perde pas, Loïc Guyon joue sur deux tableaux : ainsi, les pages en noir et blanc décrivent la réalité, cette vie qui passe entre drague, apéros qui s’éternisent et rencontres plus ou moins heureuses. Celles en couleur ramènent aux épisodes de la série et à cette caricature du héros survitaminé à la Captain America. Point commun entre ces deux mondes : un sens du détail et un graphisme très cartoon, qui rappelle celui de Winshluss (notamment celui de son album «jeunesse» Dans la forêt sombre et mystérieuse).
Une affirmation pour le jeune auteur, surtout quand on connaît sa première BD : L’Enragé du ciel (toujours chez Sarbacane, avec Joseph Safieddine au scénario), aux traits élégants plus proches d’un Christophe Blain ou d’un Clément Oubrerie. L’Américain est donc une œuvre personnelle, marquée par son long périple aux États-Unis et concrétisée durant sa résidence à la maison des auteurs d’Angoulême, qu’il a intégrée en 2017.
Si on peut reprocher à Loïc Guyon d’en avoir trop fait dans les dialogues (certains ne servent en rien le récit), on peut saluer le dynamisme de l’histoire et son découpage cinématographique. C’est d’ailleurs tout le charme de l’ouvrage, qui se consomme d’une traite, comme une bonne série. Attention toutefois à ne pas trop en abuser, comme en témoigne Francis : cela peut jouer des tours…
Grégory Cimatti
L’histoire
L’Américain est une série télé un peu ringarde dont Francis, qui vit en couple avec Claire depuis peu, est un fan absolu. Quand il n’est pas collé à son petit écran, Francis échange des nuits entières avec ses amis sur son héros préféré. Mais un soir, alors que Francis et Claire se disputent pour la énième fois (Francis est au chômage et ne fait aucun effort pour chercher un travail, ce qui ulcère Claire), l’Américain, comme sorti par magie de l’écran, sonne à la porte de leur appartement et confie à Francis une mission : protéger coûte que coûte une mallette… Francis deviendra-t-il à son tour un superhéros capable de sauver le monde ?