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[Musique] Bob Marley, symbole éternel


En 1980, peu de temps avant sa mort, Bob Marley se rend en Afrique, son «vrai paradis». Sa chanson Zimbabwe était devenue un hymne dans le pays d’Afrique tout juste indépendant. (Photo : universal pictures)

Il était l’icône du reggae, une figure révolutionnaire dont le succès ne s’est jamais démenti, avec plus de 200 millions de disques vendus à travers le monde : Bob Marley est mort il y a 40 ans, le 11 mai 1981, à 36 ans, des suites d’un cancer.

Il est le symbole de la liberté dans le monde entier, chez les enfants des classes moyennes blanches occidentales comme auprès des jeunes des pays les plus reculés», résumait Bruno Blum, spécialiste français du reggae. Celui qui allait devenir la première superstar issue d’un pays du tiers-monde est né Nesta Robert Marley le 6 février 1945 dans le village reculé de Nine Miles, en Jamaïque. Enfant, il lit l’avenir dans les lignes de la main, avec des prédictions souvent justes, selon plusieurs de ses proches. Quand il n’est pas à l’école, le jeune Nesta – orthographe erronée de Nestor – travaille dans la ferme familiale, où il rencontre l’un de ses premiers amis d’enfance, «Bunny» Livingston. Nesta apprend à Bunny à s’occuper d’une ferme, et en échange, Bunny apprend à Nesta à jouer de la guitare. La passion de la musique est née chez le petit Marley, mais elle n’occupera une vraie place qu’à l’adolescence.

À l’âge de douze ans, Nesta et sa mère quittent Nine Miles pour la capitale, Kingston, et le quartier pauvre de Trench Town, futur berceau du reggae. Nesta et Bunny composent leurs premières chansons, et Nesta gagne même un concours de chant en 1959, qui lui rapporte une livre sterling. Mais la vie est dure, en particulier pour le fils Marley. Né d’un père blanc, qu’il n’a jamais connu, Nesta a la peau claire et est moqué, quand il n’est pas maltraité, par les autres gamins du quartier, ainsi que par les adultes. «Il était rejeté», s’est souvenu Bunny dans le documentaire Marley (Kevin Macdonald, 2012). «Il devait gagner chacun de ses repas.»

Très vite, les deux amis rencontrent le guitariste Peter Tosh, qui n’a pas encore adopté son nom de scène, et les chanteurs Junior Braithwaite et Joe Higgs. Ce dernier devient le mentor du groupe, qui s’appelle The Teenagers, en hommage aux groupes de doo-wop et de rhythm ’n’ blues américains dont ils reprennent les tubes avec de nouveaux arrangements, qui correspondent plus à la musique jamaïcaine. Après leur rencontre avec le producteur Coxsone Dodd, ils changent définitivement de nom. Ce dernier leur propose : «Vous venez d’un coin où on se plaint tout le temps, pourquoi pas The Wailers?» À ceux qui pensaient que «les pleurnicheurs» ne serait pas un nom qui ferait vendre, le groupe répond par les chiffres : leur premier single, Simmer Down, devient numéro 1 en Jamaïque en 1964 et se vend à plus de 70 000 exemplaires. Deux ans plus tard, Marley se marie avec la chanteuse Rita Anderson puis rejoint sa mère, qui s’est installée aux États-Unis; à la douane, on change l’ordre des prénoms sur son passeport. Nesta étant considéré trop féminin, c’est Robert qui est choisi comme premier prénom. Désormais, ce sera «Bob».

Petite hache contre gros arbre

À son retour à Kingston, Marley se rapproche du rastafarisme, mouvement spirituel mal considéré, voire interdit, dans une grande partie de la Jamaïque, et qui parle au métis jadis rejeté. C’est aussi en devenant rasta que Marley peut porter plus loin le message d’union et de non-violence qui remplissait déjà les paroles de ses chansons, depuis Simmer Down, un appel aux différents groupes armés issus des ghettos de Kingston à «se calmer». À la même période, les Wailers veulent devenir indépendants et Marley, Bunny Wailer et Peter Tosh fondent leur propre label, Wail’n Soul’m. C’est à cette période que Bob écrit Small Axe, un appel aux musiciens indépendants à s’unir pour devenir la «petite hache» qui coupera le «gros arbre» («big tree») que représentent Coxsone Dodd, le producteur Duke Reid et le chanteur Prince Buster, qui trustent les radios jamaïcaines, ces dernières refusant de passer les chansons des rastas.

Et après plusieurs années d’insuccès, Marley rencontre en 1973 le producteur Chris Blackwell qui est à l’origine des premiers succès hors de Jamaïque. Le Britannique d’origine jamaïcaine sortait alors sur son label Island Records les disques de King Crimson, Cat Stevens ou Jethro Tull, mais aussi un album phare du reggae : la bande originale du film The Harder They Come (Perry Henzell, 1972), avec Jimmy Cliff. Pour Marley et les Wailers, la machine est lancée, mais avec un prix à payer : après l’enregistrement de deux albums en 1973, Catch a Fire et Burnin’, et une tournée promotionnelle, Bunny Wailer quitte le groupe, à la suite de différends entre lui, les autres membres des Wailers et Chris «Whitewell», comme il l’a surnommé tout le reste de sa vie.

Les deux albums, qui comportent les tubes Stir It Up, Get Up, Stand Up ou encore I Shot the Sheriff, participent à la reconnaissance de Bob Marley. Les Wailers, qui ne sont plus une formation fixe – leur vieil ami Joe Higgs remplace Bunny, puis Peter Tosh quitte le groupe à son tour – sortent un album par an, avec un succès toujours plus grandissant. Après le retentissement planétaire de l’hymne No Woman No Cry, le monde entier veut voir Bob Marley : le chanteur jouera à Kingston avec les Jackson Five puis avec Stevie Wonder, et les ex-Beatles et les Rolling Stones viennent le voir sur scène à Londres ou à Los Angeles. Fort de son succès, Marley rachète à Chris Blackwell sa maison du 56 Hope Road, à Kingston, qu’il transforme en un lieu bouillonnant de culture et d’échanges politiques, aux portes ouvertes à tous, comme le veut la tradition rasta.

La dernière mission

En 1976, Marley échappe à la mort lors d’une tentative d’assassinat avant un concert, dans une Jamaïque au bord de la faillite et toujours plus en proie aux violences. Mais deux jours plus tard, alors qu’il est blessé par balle, il assure le spectacle pour le concert gratuit «Smile Jamaica», en plein air, devant 80 000 personnes. Et s’exile définitivement à Londres, ne revenant en Jamaïque qu’en 1978, pour le concert caritatif «One Love Peace Concert», où il réunit sur scène, dans une communion improvisée, les leaders des deux partis opposés, le conservateur Edward Seaga et le Premier ministre socialiste Michael Manley.

De Londres, Bob Marley se rend dans le monde entier, jusqu’au Japon, où il est accueilli, comme partout ailleurs, en véritable star. La veille d’un concert au Pavillon de Paris pour la tournée de l’album Exodus (1977), sans doute le plus spirituel de tous, Marley se blesse au pied lors d’un match de football, sport qu’il adorait et qu’il pratiquait tous les jours. Quelques jours plus tard, on lui découvre un mélanome au gros orteil, mais Marley, fidèle au rastafarisme, refuse d’être amputé et a recours a des soins alternatifs. Le héros jamaïcain, qui a survécu à un assassinat, avait prévenu qu’il partirait quand Jah, le dieu rasta, le rappellerait à lui. Mais pas avant d’accomplir une dernière mission…

«Kingston n’est qu’une étape», disait Marley après son déménagement à Londres. Le Panafricain convaincu veut alors «libérer l’Afrique», son «vrai paradis», à qui il dédie l’album Survival (1979). Et se rend sur le continent noir, où il joue au Gabon puis au Zimbabwe. De ce dernier pays, il a fait une chanson, devenue un hymne pour les révolutionnaires qui ont obtenu l’indépendance en 1980. Peut-être que Marley était vraiment un prophète, peut-être était-il un vrai leader dont la spiritualité transcendait toutes les religions, toutes les races, toutes les cultures ? Après un dernier album, Uprising (1980), et une dernière série de concerts, notamment au Bourget, en France, où il rassemble plus de 50 000 fidèles (plus que le pape au même endroit quelques semaines auparavant, dit-on), et à Pittsburgh, aux États-Unis, le 23 septembre, sa dernière date, Marley découvre que son cancer s’est désormais généralisé. Trop faible pour rentrer mourir à Kingston, il s’éteint le 11 mai 1981 à l’hôpital Cedars of Lebanon de Miami. Son message est peut-être devenu des phrases que l’on écrit sur des t-shirts, mais il continue de survivre pour qui veut bien le prendre au mot, et faire ce pour quoi Bob Marley a toujours lutté : rendre le monde meilleur.

Valentin Maniglia