Le 5 mai prochain, on célèbre le bicentenaire de la mort, à 51 ans, de Napoléon 1er, empereur des Français. Une importante production livresque accompagne l’événement. Parmi tous ces livres, Le Quotidien en a retenu cinq. Découverte.
Historien de grand renom et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages sur le sujet, Jean Tulard est catégorique : «Plus de 80 000 livres ont été écrits sur Napoléon!» Calcul rapide : cela donne plus d’un livre par jour depuis la naissance (à Ajaccio en 1769) à nos jours de celui qui fut général, Premier Consul et empereur des Français. Au moment où, en France, on s’apprête à fêter, le 5 mai prochain, le bicentenaire de la mort, à 51 ans, de l’empereur en exil sur l’île de Sainte-Hélène, une professeure d’histoire à l’université d’Avignon précise : «La figure passionnera toujours parce que c’est un destin individuel d’exception qui exprime tout ce que la Révolution a permis… Il est le héros romantique par excellence.»
Cette année encore, de nombreux livres évoquent le Corse le plus célèbre du monde, alors que ces temps-ci, on ne se contente plus de vanter les avancées de la société avec, entre autres, l’édiction d’un Code civil des Français. Nombreux sont ceux qui pointent l’autoritarisme du personnage, sa mégalomanie ou encore le fou de guerre (avec ses coups de génie, ses errements) et le rétablissement de l’esclavage dans les colonies. La professeure d’histoire à l’université d’Avignon ajoute : «Le portrait de l’empereur est changeant au gré des courants politiques dominants.» Ce que montrent les cinq livres parus ces temps-ci et sélectionnés par Le Quotidien.
Napoléon, comme à la maison!
Un document. Le premier du genre, publié originellement en 1894. Alors, Frédéric Masson, né dans une famille de magistrats et membre de l’Académie française, publiait Napoléon chez lui. Soit, dans le moindre détail, le récit d’une journée à domicile dans le palais des Tuileries, à Paris. Au fil des pages, on déambule au hasard des pièces en suivant la chronologie de la journée. Aussi précis que minutieux, l’auteur évoque la fonction des pièces une par une et leur décoration.
Il détaille également le rôle et les responsabilités de chacune des personnes qui y travaillent, et va même jusqu’à calculer au plus près le temps que Napoléon passe dans chacune de ces pièces pour mieux nous révéler ce que l’empereur y fait… Aujourd’hui, on parlerait d’un livre «in bed with…» ou on évoquerait un Frédéric Masson «embedded», un auteur embarqué dans l’univers intime napoléonien. Mieux : Masson fait, avec Napoléon chez lui, œuvre pédagogique en racontant pourquoi son homme-sujet a souhaité organisé comme ci plutôt que comme ça telle ou telle pièce – et aussi, pourquoi cette organisation était le reflet du caractère, du tempérament ou encore de la façon (l’art?) de vivre de Napoléon.
Et c’est ainsi que l’auteur évoque et décrit les meubles, les objets ou encore les papiers-peints – ce qui donne un portrait en creux et inédit à l’époque (on rappelle que le livre est paru, pour la première fois, en 1894, soit 73 ans après la mort de Napoléon). Ultime petit bonheur de lecture avec le début du dernier chapitre titré «Le dimanche» : « Pour que, dans la semaine, Napoléon interrompe son travail, se donne des divertissements et change sa vie, il faut des circonstances d’exception et qui se présentent très rarement. C’est qu’il éprouve le besoin physique d’un exercice violent…»
Napoléon chez lui,
de Frédéric Masson.
Les Cahiers Rouges / Grasset.
Goûts et dégoûts de Napoléon
Tous les goûts sont dans la nature, dit-on. Ainsi, après le très remarqué Histoires d’œils, s’appuyant sur une volumineuse documentation biographique, le directeur du Musée des Beaux-Arts d’Ajaccio, Philippe Costamagna, s’est interrogé sur Les Goûts de Napoléon. Ce qui donne un livre fourmillant de mille et mille infos sur le Corse le plus célèbre au monde… Par exemple, l’empereur ne consacrait jamais plus de vingt minutes, et encore moins, assure-t-on, pour ce qu’on appellera «la bagatelle».
En grand connaisseur de la vie et de l’œuvre de Napoléon, Costamagna évoque un «homme pressé» – et ce n’est pas là seulement un cliché, une facilité d’auteur. Pour celui qui fut le général, Premier consul, empereur des Français et exilé le plus célèbre du monde, en tout domaine, ce devait aller vite, très vite – sauf pour ses lectures de ses préférés Racine et Corneille (dont il se faisait réciter les vers par des acteurs) ou de Machiavel, de Montaigne, de Rousseau et du Coran, et quand il observe et détaille les cartes pour envisager une issue victorieuse à une bataille de guerre.
Dans ce livre (à peine 300 pages), tout Napoléon y est recensé, question goûts – et même dégoûts. La nourriture (ah! le rouget!), les maîtresses, la littérature, la décoration (la couleur mauve dont il fit tapisser le palais de l’Élysée), le mobilier (il privilégie l’utile au confortable), l’urbanisme… sans oublier le jeu de barres (une variante du chat-perché)! Mieux, glisse Philippe Costamagna dans Les Goûts de Napoléon : on avait là un homme qui envisageait, tout simplement, rien moins qu’une esthétique globale, comme elle exista au temps de l’Empire romain.
Les Goûts de Napoléon,
de Philippe Costamagna.
Grasset.
Témoignages d’amis… et d’ennemis
Au loin, là-bas, au milieu de nulle part dans l’océan Atlantique au large de la côte ouest-africaine, l’île de Sainte-Hélène. Du 15 octobre au 5 mai 1821 dans une bâtisse bouffée par l’humidité, Napoléon vit l’exil dont, seule, la mort l’arrachera. Quelques fidèles, des officiers et des domestiques, l’entourent sur cette terre giflée par les alizés. C’est là, sur cette île, dans les derniers mois de sa vie, qu’il dicte ses souvenirs, il y avoue ses (quelques) fautes, y pointe l’acharnement de ses adversaires et ennemis contre la France.
Avec Napoléon. Les Derniers Témoins racontent, on côtoie un homme qui, en exil, n’a pas décroché de la vie politique – dans ce livre concocté par David Chanteranne et Jean-François Coulomb des Arts, deux des meilleurs connaisseurs français de l’homme, les témoins défilent. Il y a les quatre «évangélistes» : Las Cases, Gourgaud, Bertrand et Montholon-Sémonville; l’entourage féminin : Lucia Elizabeth Balcombe et Albine-Hélène de Montholon; les domestiques Louis-Joseph-Narcisse Marchand et Louis-Étienne Saint-Denis; les médecins Francesco Antommarchi et l’Irlandais B.E. O’Meara, et les adversaires : Hudson Lowe, Victor-François marquis de Montchenu et A.A. Ramsay, comte de Balmain.
Les deux auteurs ont opté pour une présentation chronologique des témoignages, qu’ils ont rassemblés, croisés et commentés – ce qui donne un livre-testament. Qui ouvre sur le témoignage de Las Cases, évoquant l’arrivée à Sainte-Hélène après deux mois et demi de traversée de l’Atlantique sur le Northumberland : «L’Empereur gagna l’avant du vaisseau pour voir la terre, et crut l’apercevoir; moi, je ne vis rien. Nous restâmes en panne toute la nuit…»
Napoléon. Les Derniers Témoins
racontent, anthologie dirigée
par David Chanteranne et
Jean-François Coulomb des Arts.
Éditions du Rocher.
Un maître de guerre tout en mouvement!
Il y eut de grandes victoires : Marengo (1800), Austerlitz (1805), Iéna (1806), Friedland (1807) ou encore Wagram (1809). De grandes défaites aussi : Trafalgar (1805), Bailen (1808), la Bérézina (1812), Vitoria (1813), Leipzig (1813) et Waterloo (1815). À la tête des armées, de la Grande Armée (jusqu’à 680 000 hommes en 1812), Napoléon. En chef de guerre. En maître de guerre. Pourtant, comme le rappelle l’historien Jean Tulard dans sa préface de Napoléon. Comment faire la guerre, «à l’inverse d’un Sun Tsu, d’un Machiavel ou d’un Clausewitz, Napoléon n’a pas écrit un art de la guerre. Il y aurait songé : en 1813, à Dresde, selon une confidence faite au maréchal Gouvion Saint-Cyr…».
Bien sûr, en «repos forcé» à Sainte-Hélène, il dicte l’histoire de ses campagnes, mais ne glissera aucun mot sur ses principes de stratégie. Ne voulait-il pas transmettre méthodes et principes à des adversaires? Ou pense-t-il que tout a été dit et écrit avec Jules César (100 av. J.C.- 44 av. J.C.), le maréchal Henri de Turenne (1611-1675) et Frédéric II de Prusse (1712-1786)? Ou alors, pour lui, la guerre et ses batailles ne seraient qu’improvisation? Toutefois, comme le note à nouveau Jean Tulard, «pour Napoléon, l’art de la guerre est tout de mouvement : surprendre l’ennemi, le contourner et l’encercler, pour l’enfoncer».
Un art que Yann Cloarec et Gérard Guégan ont dessiné en rassemblant pas moins de 216 pensées, réflexions et maximes qui laissent paraître les trois principes de la guerre, version napoléonienne : la reconnaissance du terrain, la vitesse et la surprise. Encore et toujours Jean Tulard, définitif : «L’art de la guerre tel que le conçoit Napoléon est fondé sur le bon sens et l’efficacité.» Tout simplement!
Napoléon. Comment faire la guerre,
textes rassemblés par Yann Cloarec
et Gérard Guégan.
Éditions Mille et une nuits.
Charles, l’autre Bonaparte, libre avant tout
Avant tout, et par-dessus tout, il a un amour. Celui, inaltérable et éternel, de la liberté. À 70 ans, Charles Bonaparte le fait savoir en mots, c’est La Liberté Bonaparte. Lui l’aîné des Napoléon par la branche issue de Jérôme Bonaparte, le plus jeune frère de l’empereur Napoléon 1er, il avait à sa naissance en 1950 un destin tout tracé : être Napoléon VII si, un jour en France, il y avait une restauration de l’Empire. Dans son livre, on note : «Le destin m’a fait naître dans une famille qui a marqué l’Histoire. Je pensais être une exception mais j’ai découvert que beaucoup de Bonaparte avaient connu le même goût de la liberté.»
Avec élégance, l’auteur ne manque pas de rappeler l’héritage napoléonien, ce qu’il a de meilleur et aussi ce qui fait tâche dans l’histoire. Mais, au nom de la liberté, de sa liberté, Charles Napoléon devenu Charles Bonaparte a renoncé à toute prétention dynastique – et parce qu’il s’est marié en secondes noces avec une femme non issue de l’aristocratie, son père le mettra hors-jeu dans son testament au profit de son petit-fils… Mais La Liberté Bonaparte, version Charles, c’est aussi un engagement politique et citoyen, une vision du monde et de la vie qui va à mille lieues de ce que prônait son empereur d’aïeul…
Charles Bonaparte, lui le fils de famille princière, aime glisser qu’il a «fait Mai 68», a été administrateur des Nations unies au Nigeria, membre du Parti socialiste puis du Modem (le parti centriste de François Bayrou). Toute sa vie, il a tenu au loin l’autoritarisme napoléonien, a opté pour l’engagement Bonaparte (encore plus que bonapartiste!). Toute sa vie et aujourd’hui encore, il se laisse guider par la liberté. Liberté chérie…
La Liberté Bonaparte,
par Charles Bonaparte.
Grasset.
Serge Bressan