Promising Young Woman a tout du «revenge movie» en mode #MeToo, mais il esquive habilement les clichés du genre par son ton, son esthétisme et sa noirceur dont on ne se remet pas.
Voilà déjà quelque temps, particulièrement depuis l’affaire Weinstein, que l’industrie du cinéma cherche à se racheter une bonne conscience, admet ses fondements machistes et essaye, difficilement, de rééquilibrer la balance. Il sera dit que 2020 témoigne de cette envie de changement (réelle ou hypocrite), notamment par la mise en lumière de trois réalisatrices, retenues pour toutes les distinctions cette année : Chloé Zhao (Nomadland), Regina King (One Night in Miami) et Emerald Fennell (Promising Young Woman).
Aux Golden Globes, aux Bafta et ailleurs, jamais les femmes n’ont eu autant de représentantes et de gagnantes. Suffisant ? Emerald Fennell, 35 ans, première réalisatrice à décrocher une nomination aux Oscars (qui se dérouleront dimanche) dès son premier long métrage, dirait sûrement qu’il faut s’en méfier. Car la jeune cinéaste, vue devant la caméra (Call the Midwife, The Crown) et derrière (Killing Eve, dont elle est la showrunner de la seconde saison), ne se satisfait pas des discours faciles et des réactions en surface : elle préfère creuser, chercher pourquoi les réflexes patriarcaux sont si profondément ancrés, et ce, pour mieux les pointer du doigt.
Alors, c’est pour quand les vrais changements ? « Sincèrement, c’est compliqué de répondre à une si vaste question , déclarait-elle récemment à la BBC. Mais si cette histoire en est une fable ou une allégorie, c’est qu’on ne peut obtenir le pardon que si l’on reconnaît ce que l’on a fait. » Et en guise de révélateur, elle place alors l’actrice Carey Mulligan (An Education, Drive, Shame) au milieu d’un monde d’hommes, vantards et sans reproche. Son personnage, Cassie, a des comptes à régler avec eux, ou en tout cas, avec la misogynie ambiante.
Le film n’épargne personne, affirmant que dans toute forme d’émancipation, les deux sexes sont complices
Cette dernière, à l’aube de la trentaine, a abandonné ses (prometteuses) études de médecine, sert des cafés et vit chez ses parents dans une maison au kitsch sans pareil. On sent qu’un basculement s’est opéré chez elle, notamment depuis que son amie, Nina, a été victime d’une agression à l’époque de l’université. Un passé douloureux qu’elle réactive chaque semaine, écumant les boîtes de nuit en y faisant semblant d’être ivre morte, vulnérable. Là, elle guette les prédateurs nocturnes et d’autres loups déguisés en moutons.
De «gentils garçons» qui trouvent une excuse pour la ramener chez eux, ignorant au passage ses commentaires sur le fait qu’elle ne se sent pas bien ou qu’elle a envie de dormir. Mais leur plan tourne court quand Cassie, les yeux fixes et d’une voix mortelle, les ramène à la réalité de leur acte. Oui, parfois, le chasseur peut devenir la proie… Cassie a une très bonne raison d’agir de la sorte, mais dévoiler le pot aux roses ne serait pas faire honneur à Emerald Fennell, qui graduellement, fait monter la pression au fur et à mesure des révélations. Car si son film a, en apparence, tout du «revenge movie» en mode #MeToo, il en esquive habilement les clichés en évitant d’être à charge. Et c’est en ça qu’il amène à réfléchir.
Promising Young Woman n’épargne en effet personne, affirmant par ce geste que dans toute forme d’émancipation, les deux sexes sont complices. Une zone grise dans laquelle s’agite son héroïne, qui n’a rien de moralement supérieure – certains de ses actes sont d’ailleurs répréhensibles. Une distanciation voulue qui donne d’étranges couleurs au film : on n’est pas vraiment dans une comédie même si l’on rit. On n’est pas non plus dans le thriller, malgré une vision noire et pessimiste, ni dans la romance, alors même qu’entre en scène Ryan (joué par Bo Burnham), un vieux camarade de classe attentionné. Une seule certitude : le spectateur n’est pas au bout de ses surprises…
Ce qui fait dire à Carey Mulligan : « Le défi et le plaisir, c’est de trouver des rôles avec lesquels je ne sais pas quoi faire, qui m’intimident. » On imagine bien à quel point elle a dû apprécier mener cette vengeance «douce», inébranlable dans sa démonstration de force : celle qui dit que l’on se range toujours plus du côté des hommes que des femmes, notamment en ce qui concerne les agressions sexuelles. Dommage que son témoignage – pandémie oblige – n’ait pas reçu toute la considération et l’attention qu’il mérite. Il est en effet d’une justesse féroce.
Grégory Cimatti