La Chambre des salariés et la Chambre des métiers doutent que la libéralisation du secteur des taxis apportera l’effet escompté. D’autres défaillances de la réforme sont dénoncées.
«Le secteur avait sept ans pour changer de politique. Je leur ai laissé une chance. Désormais, il est temps d’enfoncer le clou.» Le ministre de la Mobilité, François Bausch, n’avait pas caché son mécontentement lors d’un entretien accordé fin septembre au Quotidien. En cause : un secteur des taxis qui n’a pas été en mesure de faire baisser le prix des courses, objectif prioritaire de la réforme de 2016 (+16,2% entre juillet 2017 et juin 2019). «Les coûts que nous avons à supporter en raison des conditions imposées par le ministère justifient nos tarifs», se défend Olivier Gallé, le président de l’Alliance luxembourgeoise des taxis, voitures de location et ambulances (Altva).
Un nouveau projet de loi – qui a comme pièce maîtresse une libéralisation intégrale du secteur (licences, zones géographiques, etc.) – doit enfin faire infléchir la courbe. Après le passage de 44 zones communales à 6 zones géographiques en 2016 et le plafonnement des licences par zone, le ministre François Bausch vise désormais à pleinement faire jouer la concurrence du marché pour faire baisser le prix des courses. Avec l’abolition des zones et de la limitation des licences, tous les taxis pourront prendre et déposer des clients sur l’ensemble du territoire.
Ce changement de paradigme majeur sème le doute, voire la colère, dans le secteur. La Fédération des taxis, voitures de location et ambulances dit «soutenir» le fait que le ministère veut faire jouer la concurrence du marché, «mais pas à tout prix». Dans son avis sur le projet de loi, la Chambre des métiers confirme que le secteur «ne nie pas l’importance de devoir agir sur certains dysfonctionnements – tels que certaines pratiques de prix excessifs (…)». Or la libéralisation telle que prévue par le ministre Bausch «risque en revanche de ne pas avoir l’effet escompté d’une baisse des prix».
Le patronat redoute des faillites
«Une dérégulation du marché provoquera des tensions non maîtrisées, à savoir une inflation du nombre de véhicules sur les emplacements réservés, mais aussi des faillites en raison d’une concurrence exacerbée et, à terme, le risque d’un développement d’ententes contraires au droit de la concurrence», met encore en garde la Chambre des métiers (lire également ci-dessous). «Le secteur se prononce clairement en faveur du maintien du quota actuel des licences, ainsi que celui des zones géographiques, quitte à réduire le nombre actuel des zones», contre-attaque la Chambre des métiers. Passer de 6 à 4, ou au maximum à 2 zones, est l’alternative proposée par la Fédération des taxis et l’Altva.
La Chambre des salariés (CSL) redoute également des effets non désirés du projet. Constatant que la réforme de 2016 a déjà constitué «un premier grand pas vers la libéralisation du secteur», la CSL réitère sa crainte que la libéralisation intégrale des prix «se traduise en fin de compte en une augmentation subséquente des tarifs». Une solution alternative serait de revenir à un «encadrement légal des prix des courses (…) tout en se basant sur des critères objectifs pour définir les tarifs et en considérant aussi bien l’intérêt des exploitants que celui des salariés et des clients du secteur». Un plafonnement du prix – idée d’ailleurs partagée par la Chambre des métiers – serait d’autant plus important qu’une baisse des tarifs «se fera le cas échéant au détriment des chauffeurs dont les salaires sont, dans la pratique, directement liés aux revenus qu’ils génèrent. Or si ces revenus diminuent à la suite de la nouvelle réforme, les chauffeurs de taxi risquent également de perdre une grande partie de leur revenu».
Le Covid-19 plombe le secteur
La crise provoquée par la pandémie de coronavirus ne facilite en rien la mise en application de la réforme à venir. «La perte de travail s’élève à environ 90% depuis un an, ce qui engendre la faillite de beaucoup d’indépendants. Les grandes sociétés ont dû s’endetter pour maintenir l’emploi», illustre la Fédération des taxis. Elle compte 149 entreprises qui assurent actuellement un emploi d’environ 980 employés. La Chambre des métiers comptabilise 283 exploitants de services de taxi occupant 1 663 personnes.
Si jamais le modèle proposé par le ministère de la Mobilité est maintenu dans son ensemble, le camp patronal insiste pour mettre en place des «dispositions transitoires conséquentes (…) afin que les exploitants actuels puissent rentabiliser les investissements effectués et adapter leur mode de fonctionnement à cette nouvelle philosophie». Une mise en vigueur de la nouvelle loi ne devrait intervenir en aucun cas avant le 1er janvier 2023. Le ministre François Bausch vise, lui, le 1er janvier 2022. Il est toutefois à noter que les travaux en commission parlementaire n’ont pas encore été lancés.
David Marques
ZONES. Le projet de réforme prévoit de supprimer les 6 zones géographiques actuelles au motif que cette division ne serait plus justifiée avec «l’arrivée de nouvelles centrales d’appels et notamment l’avènement de la technologie (smartphones et applications)». Jusqu’à présent, un taxi de Luxembourg pouvait transporter un client jusqu’à Esch-sur-Alzette, par exemple, mais n’avait pas le droit de prendre de course depuis la Métropole du fer et revenait donc à vide vers la capitale. LICENCES. Jusqu’à présent, un nombre limité de licences est octroyé : zone 1 (canton de Luxembourg, maximum de 290 licences); zone 2 (Capellen et Esch, 140 licences), zone 3 (Mersch et Redange), zone 4 (Echternach, Grevenmacher et Remich, 25 licences), zone 5 (Diekirch et Wiltz, 50 licences) et zone 6 (Clervaux et Vianden, 15 licences). Ce quota de licences doit être supprimé. CARTES DE CONDUCTEUR. De nouvelles règles pour les conducteurs concernant à la fois l’accès à la profession et les règles déontologiques sont introduites. Le chauffeur doit être détenteur d’un permis de conduire et être âgé de 21 à 70 ans. Il devra suivre une formation et passer un examen. Le chauffeur n’aura plus le doit de fumer à l’intérieur du taxi, même en l’absence de client.Les futures règles du jeu
Vers une désertification des zones rurales ?
La Fédération des taxis fait part d’une crainte : «Avec l’abolition des zones géographiques, les prestataires risquent de ne desservir plus que les zones urbaines avec une clientèle plus facile à atteindre (à savoir Luxembourg-Ville), entraînant ainsi une désertification des autres régions du pays.»
«Le zonage géographique, lié à un quota de licences de taxis, est une mesure permettant de réguler le nombre de taxis en attente de clients sur les emplacements réservés, fait remarquer la Chambre des métiers. La libéralisation du secteur des taxis risque de générer des situations très compliquées, car elle favorisera la circulation d’un nombre illimité de taxis vers le centre-ville et vers les lieux où la densité de population est plus importante, alors que les stationnements réservés sont par nature limités.»
La Chambre des salariés dit «craindre que (…) la grande majorité des exploitants va vouloir travailler dans le centre du Luxembourg, région la plus fréquentée». Il y aurait donc «un fort risque que les zones moins intéressantes du point de vue commercial, tel le nord du pays qui compte moins de clients, se retrouvent désertées de taxis (…)».
Le ministère de la Mobilité rétorque qu’une telle désertification n’a pas eu lieu lors du passage en 2016 de 44 zones communales à 6 zones géographiques. «L’exemple de l’Islande et de la Finlande démontre que cette désertification n’a pas eu lieu. Les taxis ont pris conscience du potentiel qui existe dans les zones rurales», ajoute Jean-Paul Maas, le responsable du service taxis du ministère de la Mobilité.
D. M.