Christophe Schiltz (LSAP) est président du Conseil d’État depuis mercredi dernier et succède ainsi à Agnès Durdu (DP). Il est le plus jeune président, passé par Cambridge et le Collège d’Europe.
Il est membre du Conseil d’État depuis sept ans et vient d’accéder à sa présidence. Christophe Schiltz, haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, reprend une institution sous pression mais pas plus que les autres, précise-t-il. Le brillant étudiant a gravi les échelons et aime la matière juridique dans laquelle il baigne.
Vous arrivez à la tête du Conseil d’État en pleine crise sanitaire. L’Institution est-elle sous pression?
Christophe Schiltz : Je crois que tout le monde est sous pression, toutes les institutions, le monde économique aussi. Je n’ai pas les chiffres actuels, mais l’année dernière, nous avons avisé une centaine de textes de plus que l’année précédente.
Vous avez déjà une expérience de sept ans au sein du Conseil d’État. Que pouvez-vous nous dire sur son évolution?
Il a changé ces dernières années. Ne serait-ce qu’en cette période de pandémie où nous avons dû revoir notre mode de fonctionnement pour organiser des réunions en visioconférence. Notre rôle fondamental reste le même, celui d’aviser les projets de loi et les règlements grand-ducaux. Notre secrétariat a été étoffé, ce qui permet un travail de recherche plus poussé.
Et dans sa composition, des nouveautés?
Il est plus jeune. Avant mon arrivée, la moyenne d’âge était de 58 ans, elle a baissé de trois ans. Ce n’est ni mieux, ni pire, c’est un simple constat. En revanche, l’équilibre hommes/femmes se limite au minimal légal de sept femmes sur vingt-et-un membres. La loi dit aussi qu’il faudrait tendre vers un équilibre, donc des efforts pourraient être faits. Ce n’est pas au Conseil d’État de décider de sa composition, mais je pense qu’il pourrait y avoir une plus grande mixité.
Vous êtes diplômé de la prestigieuse université de Cambridge et du non moins prestigieux Collège d’Europe à Bruges. Que retenez-vous de ce parcours?
Cambridge c’était une très belle année, surtout pour les contacts avec les autres étudiants, les cours et les profs. J’ai fait mes études en France aussi et c’est difficile de comparer une licence ou une maîtrise avec un master. À Londres, où j’ai étudié également, nous étions un groupe de 10 ou 12 dans des séminaires, pas de cours magistral mais beaucoup d’interactions et de discussions sur les différents sujets. On apprend beaucoup plus en discutant avec des gens qui ont des opinions différentes qu’en suivant un cours magistral.
Et à l’illustre Collège d’Europe?
Je ne sais pas s’il a quelque chose d’illustre, mais son but est de former des étudiants de tous les pays membres aux affaires européennes. Ils sont en général destinés à travailler au sein des institutions, ils se connaissent et sont passionnés par les mêmes sujets. Au Collège de Bruges, j’ai surtout tissé des liens d’amitié plutôt que de composer un beau carnet d’adresses.
Vous êtes haut fonctionnaire, coordinateur général de la Coopération au développement et de l’Action humanitaire depuis un an. Que vous a enseigné cette nouvelle fonction?
J’étais chef du service juridique du ministère des Affaires étrangères et je traitais déjà des sujets de droit international humanitaire. La coopération, c’est vrai, est une matière différente, une profession différente dans le ministère. C’est en partie un métier de diplomate mais pas seulement. C’est intéressant de pouvoir travailler sur des projets qui contribuent à atteindre les objectifs du développement durable et améliorer la situation dans les pays.
Le haut fonctionnaire que vous êtes se retrouve forcément en situation de conflit d’intérêts au sein du Conseil d’État…
Ce n’est pas la première fois qu’un haut fonctionnaire préside le Conseil d’État. Je ne vois pas le problème tant que l’on sépare bien les deux fonctions. Je ne participe pas aux discussions qui concernent la direction de la coopération c’est évident. Les autres membres font la même chose, ils se retirent en cas de conflit d’intérêts.
Que pouvez-vous nous dire sur la qualité des projets de loi, son évolution, à la lumière des oppositions formelles qui, souvent, pointaient les mêmes erreurs?
Sur l’article 32.3 concernant les matières réservées à la loi par la constitution stipulant que le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’aux fins, dans les conditions et suivant les modalités spécifiées par la loi, nous avons eu beaucoup de discussions il y a quelques années. Il s’agissait de déterminer ce qui devait être précisé dans la loi ou dans un règlement. Il y a eu finalement une réforme de la Constitution, mais souvent, c’est vrai, nous avons fait des oppositions formelles sur ce sujet. La qualité des projets de loi est bonne en règle générale même si certains pourraient être mieux travaillés. C’est un travail très complexe et qui le devient toujours plus. C’est là où nous avons un rôle à jouer par rapport aux ministères qui ne peuvent pas toujours entrer dans les détails.
Quelles sont les priorités du nouveau président?
Veiller à ce qu’on puisse accomplir nos tâches. Il faudrait voir en interne si des efforts ne pourraient pas être déployés dans le domaine de l’informatique pour nos recherches. Un sujet important que je reprends de ma prédécesseure concerne l’information du Conseil d’État vers l’extérieur. Il ne s’agit pas nécessairement de livrer des détails de nos délibérations, mais davantage de faire connaître ce que nous faisons. Je n’ai pas encore de piste très concrète mais il est important pour la démocratie que les gens connaissent le rôle des institutions.
Pensez-vous que le rôle du Conseil d’État soit encore trop méconnu alors que ses avis sont ceux qui sont guettés en priorité?
Oui, c’est vrai pour les avis, mais les gens savent-ils vraiment comment nous fonctionnons? Je pense que non.
Alors justement, racontez-nous le parcours d’un projet de loi qui entre au Conseil d’État pour avis…
Le processus est le même pour tous les avis. En fonction de la matière, il est attribué à l’une de nos six commissions permanentes. Le président désigne un rapporteur qui, en fonction de l’importance du projet, rédige de suite un avis ou entame des travaux de recherche sur ce que le Conseil d’État a déjà énoncé sur le sujet ou sur ce qui se fait dans les pays étrangers, puisque nos législations s’inspirent souvent de ce qui se fait en Belgique ou en France. Si c’est un dossier très complexe, il y a d’abord un échange de vues en commission pour que le rapporteur sache vers quoi s’orienter. Il prépare alors son projet d’avis qu’il rédige à l’aide des recherches menées par le secrétariat. Il amène son projet de rapport à la commission et il le lit à voix haute de la première à la dernière ligne. Le rapport est alors discuté et si besoin modifié. Le rapporteur revient avec son avis qui a pris en compte les remarques émises par les uns et les autres, il est rediscuté et on trouve alors un consensus en commission. L’avis est alors mis à l’ordre du jour de la plénière et là il peut encore y avoir des remarques et des propositions de changements. Il arrive que le rapport reparte en commission et soit remis à l’ordre du jour de la plénière pour être adopté. Les avis sont en général adoptés à l’unanimité. Depuis 2011, je crois que nous avons eu cinq avis séparés que nous appelons maintenant opinions dissidentes.
Les séances plénières sont-elles publiques?
Non, nous avons des séances publiques, mais les plénières ne le sont pas. En plénière, nous adoptons les avis tandis qu’en séance publique nous accordons ou non la dispense du second vote. Il n’y a pas de discussions et peu de gens y assistent, c’est vrai.
Pourquoi ne pas les rendre publiques? Cela poserait-il un problème?
Oui, parce que le rôle du Conseil d’État est de donner des avis juridiques, nous n’avons pas de discussions politiques. Nous ne votons pas en tant que parti ou groupe politique comme à la Chambre des députés. Pour sa crédibilité et la force de ses avis, il est important que les gens sachent que le Conseil d’État agit en toute indépendance. Si on ouvrait nos délibérations au public, il y aurait certainement des pressions des partis politiques sur leurs membres pour diriger leurs interventions. Cela troublerait la sérénité des débats et cela ne contribuerait pas à une amélioration des avis et des discussions. Quand je parlais de l’ouverture vers l’extérieur, c’est surtout faire connaître le fonctionnement de l’institution et pas ouvrir les débats au public.
Comment êtes-vous entré au LSAP?
C’était tout simplement le parti qui correspondait le mieux à mes valeurs. J’étais membre des jeunes socialistes. Je me suis toujours intéressé à la politique, au sein de l’ACEL d’abord, des organisations d’étudiants en Grande-Bretagne ensuite. En marge de la Convention sur l’avenir de l’Europe que présidait Giscard, chaque pays envoyait une délégation de jeunes et j’étais candidat déjà. J’étais aussi candidat en 2011 et 2017 pour les élections communales à Luxembourg et candidat en 2009 et 2013 pour les élections législatives.
Christophe Schiltz est-il ministrable?
(il rit) Je viens d’arriver à la présidence du Conseil d’État, donc non, ce n’est pas compatible avec un poste de ministre.
Avez-vous déjà été attiré par la fonction?
Quand on s’engage en politique, on veut toujours réaliser des choses. Je suis content d’être au Conseil d’État parce que mon travail est intéressant et colle avec mon background de juriste.
Rendre nos délibérations publiques troublerait la sérénité des débats