Sédentarité, alimentation déséquilibrée, génétique, psychopathologie… L’obésité a des causes multiples et touche de plus en plus les plus jeunes. Depuis peu au Luxembourg, un service prend en charge ces enfants.
C’est un fléau qui ne cesse de se propager, au point que l’on parle même d’épidémie : l’obésité est de plus en plus fréquente et frappe aussi désormais les plus jeunes. Loin de n’être l’apanage que des pays riches, elle est dorénavant présente dans le monde entier. D’après une étude parue dans la revue médicale The Lancet et comenée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 124 millions d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 19 ans étaient considérés comme obèses en 2016. Un chiffre multiplié par plus de dix depuis 1975.
Le Luxembourg n’est pas exempt de cette réalité, en témoignent les données de la médecine scolaire, qui faisaient état pour l’année 2019/2020 de 4,3 % d’enfants obèses à l’école fondamentale et 7,48 % en surcharge pondérale, tandis que 9,91 % des adolescents étaient obèses et 9,35 % en surpoids.
Les causes de cette maladie – «car l’obésité est une maladie et est reconnue comme telle par l’OMS depuis 1997!», insiste Carine de Beaufort, pédiatre et coordinatrice de la mise en réseau de la prise en charge des enfants avec obésité – sont en effet multifactorielles : sédentarité, alimentation déséquilibrée et causes génétique, métabolique, psychologique, sociale…
Loin du cliché que d’aucuns, y compris certains médecins, tendent à véhiculer, on ne souffre donc pas d’obésité juste parce que l’on se gave de chips en restant allongé sur son canapé, même si la sédentarité et une mauvaise alimentation y contribuent, et se débarrasser de ses kilos en trop n’est pas qu’une question de bonne volonté. «On connaît tous des personnes qui mangent n’importe quoi et ne bougent pas du tout et qui pourtant sont minces. Et d’autres qui malgré leurs efforts ne le sont pas», rappelle le Dr de Beaufort.
Un aspect multifactoriel que prend en compte le service «Clinique de l’obésité» de la Kannerklinik. Lancé à la suite de la loi hospitalière de 2018, ce service qui a ouvert ses portes en 2020 propose une approche multidisciplinaire et individualisée pour aider les enfants souffrant de surpoids et d’obésité. Après une anamnèse détaillée et un bilan sanguin (pour vérifier que l’obésité n’est pas induite par une autre maladie et n’est pas à l’origine d’autres complications), les enfants et adolescents sont suivis sur le plan tant psychologique que diététique ou physique. Le diagnostic permettra d’établir si l’un ou l’autre domaine mérite une attention particulière et si l’enfant nécessite un traitement dit «intensif» ou non.
La clinique propose en effet deux types de parcours : un suivi régulier et un traitement intensif de huit heures par jour qui se déroule durant les vacances scolaires d’été. «Nous envisageons de mettre en place un programme intensif plus court pour les plus jeunes, les enfants de 6 à 8 ans. En dessous de cet âge, il y a fréquemment des causes cliniques à l’obésité», précise le Dr de Beaufort.
Un cercle vicieux
Que les causes de l’obésité soit d’ordre psychologique ou non, le suivi psychologique demeure l’un des aspects essentiels du traitement. Les troubles du comportement alimentaire, notamment l’hyperphagie boulimique (ou binge eating disorder), sont en effet en augmentation, alerte le Dr Salima Aarab, psychiatre et psychothérapeute, collaboratrice à la Clinique de l’obésité. L’idéal d’un certain corps et sa surreprésentation sur les réseaux sociaux pourraient, en partie, expliquer cette augmentation. «Il y a des raisons psychologiques derrière une suralimentation, que ce soit une dépression, une déprivation ou du harcèlement», explique-t-elle.
Le harcèlement et les moqueries participent d’ailleurs directement à la situation d’obésité : «Les études le prouvent : les remarques négatives augmentent le sentiment de solitude, de tristesse, la perte d’estime de soi, ce qui aggrave les comportements. Et c’est un cercle vicieux qui se met en place. Notre société juge de plus en plus et les enfants sont de plus en plus souvent et de plus en plus tôt confrontés aux images corporelles idéales.» Un comportement aux conséquences néfastes, que ce soient la prise de poids ou son contraire, le refus de s’alimenter. «Tout cela conduit aux dépressions, qui peuvent conduire au suicide. Même si l’on peut déjà parfois parler de suicide programmé en mangeant trop. Il faut discuter de ces jugements omniprésents au niveau de la société», estime la psychiatre.
C’est là que les différentes activités de groupe prennent tout leur sens. «Nous faisons beaucoup de travail de groupe, car son effet est très bénéfique. De nombreux adolescents avec une surcharge pondérale ou en obésité ont vécu du body shaming [NDLR : on s’est moqué de leur corps] ou du harcèlement. Ils ont eu tendance à toujours se sentir un peu à part, mais grâce au groupe, ils réalisent qu’ils ne sont plus seuls.»
Lutter contre la sédentarité
C’est aussi ensemble, deux fois par semaine pendant trois mois, que les enfants pris en charge par la clinique se retrouvent pour des activités physiques au sein du programme Motor (Moving together) qui se déroulent au Rehazenter de Luxembourg, le Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation. Que ces activités soient individuelles (course à pied, escalade, danse…) ou de groupe (foot, volley, basket…), il y en a pour tous les goûts.
«L’idée est de redonner le goût du mouvement aux enfants. Le programme est d’ailleurs régulièrement varié pour ne pas les lasser. Nous leur faisons découvrir le plus d’activités sportives possibles pour que peut-être, en y prenant du plaisir, ils les poursuivent par la suite. L’objectif n’est pas de leur faire perdre du poids, mais de les intéresser, de leur redonner confiance et sécurité dans leur corps. Avec la croissance, leurs proportions vont s’améliorer», souligne le Dr Jean-Paul Schmiz, médecin et coordinateur de la prise en charge de ces enfants. «La prise en charge de l’enfant vise la stabilisation», acquiesce le Dr Carine de Beaufort.
Mais la demande est forte et la clinique de l’obésité manque déjà de places. «On a démarré avec 10 ordonnances par mois, désormais on en est à 20, qui nous sont adressées par la médecine scolaire, les médecins généralistes ou les pédiatres. Il faut avoir plus d’offres. Cette prise en charge multidisciplinaire individualisée est pour nous de loin la meilleure approche», insiste le Dr de Beaufort.
Tatiana Salvan
«Kilos Covid»
Si le Dr de Beaufort préfère se montrer prudent et attendre des chiffres avant de l’affirmer, la praticienne constate néanmoins de manière empirique que la crise du coronavirus semble avoir eu un impact sur le poids des enfants et adolescents. «Les données de la santé scolaire se révéleront très importantes à ce sujet. Mais les enfants ne semblent pas avoir échappé aux « kilos Covid ». Parmi tous les jeunes que je vois personnellement, un seul a réussi à perdre du poids pendant cette pandémie, car il a échappé au stress externe lié à l’école.»
«Je veux perdre du poids pour qu’on ne se moque pas»
Charline a 12 ans et souffre d’obésité. Elle bénéficie d’une prise en charge holistique au sein du service «Clinique de l’obésité» de la Kannerklinik pour apprendre à gérer ses problèmes de poids.
C’est une jeune fille un peu timide mais très vive qui témoigne. Elle s’appelle Charline, a douze ans et souffre d’obésité. Si aujourd’hui, avec ses 73 kilos pour 1,61 mètre, l’élève en sixième année d’études a déjà perdu un peu de poids et se sent bien dans ses baskets, elle en est consciente : elle n’a pas encore fini de lutter contre ses kilos qui lui empoisonnent la vie.
Enfin, ce sont surtout les autres que ses kilos semblent gêner et qui attaquent Charline à ce sujet. «J’ai un peu de mal à respirer quand je cours, mais sinon sur le plan physique ça va. Je veux perdre du poids pour pouvoir mettre des robes, des vêtements qui seront plus jolis sur moi quand je ne serai plus grosse. Et aussi pour être en bonne santé, car on peut avoir des maladies, comme le diabète. Mais je veux aussi perdre encore plus de kilos avant d’entrer au lycée parce que les élèves me semblent encore plus méchants là-bas. On s’est déjà moqué de moi et je n’ai pas envie que ce soit pire au lycée.»
Les mots, difficiles à entendre, traduisent un quotidien pas toujours rose dans une société empreinte de grossophobie. La maman de Charline, Murielle, qui fait elle aussi attention à son propre poids, craint même pour la scolarité de sa fille. «Ça me fait très mal d’entendre que l’on se moque d’elle, mais en plus j’ai peur que cela puisse avoir des répercussions sur sa scolarité. C’est une très bonne élève, mais si elle n’a plus envie d’aller à l’école ou n’arrive plus à travailler parce que les autres l’embêtent?»
Réapprendre à bien manger
Charline a toujours eu un bon coup de fourchette, reconnaît sa maman, mais la petite fille a aussi toujours beaucoup bougé : elle préfère jouer dehors plutôt que rester devant les écrans, fait souvent du vélo et pratique la natation. Elle a aussi fait du karaté par le passé. Mais le décès de son père, il y a quatre ans, pourrait avoir joué un rôle dans la prise de poids continue de la fillette. Lui-même était obèse et sa disparition a en partie été due à son surpoids. «Charline le voyait manger, elle a pu faire pareil. Puis lorsqu’il est décédé, elle a compensé sa tristesse par la nourriture. On a remarqué qu’elle a commencé à fréquemment prendre du poids», témoigne Murielle. «Je mangeais beaucoup de chocolat…», complète Charline, avec pudeur.
L’enfant était suivie à la Kannerklinik en raison de nombreuses allergies, notamment alimentaires. C’est là qu’on l’oriente vers une diététicienne. Elle est prise en charge au sein du service «Clinique de l’obésité» sur le plan médical, mais aussi psychologique, diététique et physique. Deux fois par semaine, elle participe ainsi à des activités au Rehazenter, le Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation, dans le cadre du programme Motor, notamment la natation et l’escalade, ses activités préférées. Dans ce parcours de trois mois, qu’elle a pu intégrer deux fois au vu de sa motivation, elle apprend aussi à mieux choisir ses aliments et à ne plus croire les publicités et le marketing, trop souvent mensongers. «C’est encore difficile de ne pas toujours y croire, mais ça va un peu mieux», souligne Charline. «On a fait tout cela le plus tôt possible pour qu’elle change sa vision de l’alimentation et qu’elle sache mieux comment se nourrir, ce qui sera une bonne chose quand elle ira à la cantine», indique Murielle.
Les efforts de Charline ont déjà payé : elle peut rentrer à nouveau dans ses anciens pantalons et se sent fière. Surtout, elle s’est fait des amis au sein du groupe, un aspect sur lequel elle insiste particulièrement. «Elle a pu se rendre compte qu’elle n’était pas seule à souffrir de surpoids et ils s’entraident beaucoup. Elle se sent vraiment bien au sein de ce groupe», se réjouit sa maman.
T. S.