«Dis, la reprise, c’est encore loin ?» Faute d’épreuves, les compétiteurs amateurs sont placés en salle d’attente et perdent patience. Une génération sera-t-elle sacrifiée?
Mardi après-midi sur le site des Terres Rouges, entre flocons et francs rayons de soleil, une petite troupe soulevait de petits nuages de poussière à son passage. Presque comme de coutume pour les débutants du club du LP 07 Schifflange. Sauf qu’ici l’hiver joue les prolongations et que, d’ordinaire, à cette époque de la saison, ce n’est plus en VTT, mais sur des vélos de route, que les jeunes pousses emmenées par Nathalie Lamborelle filent tête baissée vers leurs objectifs, leurs doux rêves de progression. «Comme nous n’avons pas de courses de programmées, on varie les plaisirs, on s’occupe», prévient l’ancienne championne nationale, entraîneur du club schifflangeois, devenue depuis voici peu présidente.
Nathalie Lamborelle entre rapidement dans le vif du sujet. «Là, note la dirigeante, on peut rouler à dix, mais auparavant les restrictions nous imposaient un nombre de quatre coureurs par groupe et c’était compliqué à gérer, car nous n’avions pas assez d’entraîneurs. Mais bon, même si aujourd’hui on essaie de changer les programmes, la compétition leur manque. Chez les plus jeunes de nos licenciés, certains n’ont pas encore l’expérience de la course…»
La saison de course sur route, exceptionnellement revenue à la fin de l’été dernier, à la mi-août, avec les épreuves du SAF Cessange puis les championnats nationaux dans la foulée, a été marquée par le déroulement du Skoda Tour professionnel un mois plus tard. Point. Mais les amateurs n’auront eu que ces deux dates à se caler sous la dent. Et si quatre cyclo-cross sont passés entre les gouttes d’une annulation pure et dure (Reckange-sur-Mess, Brouch, Schouweiler et Kayl), la tenue des championnats nationaux de VTT début octobre à Brouch aura été vécu comme une simple aumône. Mais aujourd’hui, alors que la saison sur route devrait battre son plein, le peloton luxembourgeois s’impatiente. Ronge son frein.
Tout le monde parle des championnats nationaux en juin, mais aujourd’hui, qui peut être certain que ce sera organisé?
Les premières courses ont été annulées et si le club de l’ACC Contern a reporté ses épreuves de mars à la fin du mois de mai, tous les coureurs ont appris à ponctuer leurs phrases avec des pontillés et des points d’interrogation. «Plus généralement, reprend Nathalie Lamborelle, tout le monde parle des championnats nationaux en juin, mais aujourd’hui, qui peut être certain que ce sera organisé?»
Comme pour leurs cousins éloignés de la fédération d’athlétisme (FLA), les clubs composant la FSCL (fédération nationale de cyclisme) restent pour le moment interdits d’organiser les épreuves traditionnelles en plein air. Il reste la possibilité de monter des contre-la-montre avec des dispositions spéciales, mais on s’éloigne tellement du sens de la course cycliste, que personne n’y recourt. «D’un côté, on a beaucoup de chance, car, contrairement à d’autres sports d’intérieur, les cyclistes peuvent continuer à rouler à titre personnel, mais de l’autre côté, c’est vrai qu’en dehors des épreuves professionnelles, pour ce qui est sport amateur, il n’y a pas de compétition», observe le DTN, Christian Helmig.
«Moi qui avais l’habitude d’alterner courses à pied et de vélo, j’avoue que je suis un peu impatient», témoigne Noah Fries. L’Eschois de 23 ans, licencié au LC Tétange, a visiblement du mal à prendre son mal en patience. «Cela change quand même pas mal de nos habitudes. J’aime toujours rouler, ça me libère l’esprit, mais j’avoue que j’ai baissé le nombre et le volume de mes entraînements. C’est personnel. Aussi, je me suis aperçu que d’autres coureurs multipliaient les longs entraînements, mais perdaient beaucoup de capacités en intensité.» Noah Fries voit néanmoins une bonne chose à la situation. «Étant personnellement étudiant en géographie à l’université de Fribourg, j’aurai fini en décembre ce que j’aurais dû boucler en septembre», sourit-il tout en précisant que «ce n’est pas que le cyclisme, mais tout le sport amateur qui est touché par la situation.»
Les championnats de handball et de basket peuvent continuer alors qu’il ne s’agit pas plus que nous de sportifs professionnels
«À ce détail près que les championnats de handball et de basket peuvent continuer alors qu’il ne s’agit pas plus que nous de sportifs professionnels», objecte-t-il néanmoins.
Et pas moyen de tenter de passer les frontières. «Avant, poursuit-il, j’allais souvent courir de l’autre côté. Mais l’Allemagne a tout annulé et nous n’avons plus le doit de courir en France et en Belgique.» Noah Fries est un coureur parmi tant d’autres. Des coureurs qui ont naturellement tendance à s’éloigner, petit à petit, de leurs clubs.
«On s’est aperçu au fil des mois qu’il est très dur de maintenir un lien étroit avec plusieurs coureurs», confirme pour sa part Michel Zangerlé, l’un des dirigeants du SAF Cessange, par ailleurs coorganisateur du Ceratizit Festival Elsy Jacobs, épreuve professionnelle réservée aux dames et toujours programmée à la fin du mois. «Le but des clubs, indique-t-il, ce n’est évidemment pas que de vouloir faire passer professionnels leurs coureurs. C’est bien autre chose que ça. L’hiver, les entraînements en salle n’ont pu avoir lieu, alors le lien s’est distendu. Et on se rend compte qu’en étant éloigné, ce n’est pas simple pour tout le monde de suivre un programme d’entraînement. Car il faut des objectifs et là, ça fait défaut. On fait comme on peut…»
Cette période de presque deux années sans courses va être dommageable pour beaucoup de jeunes coureurs
Romain Gastauer, le père de Ben, qui longtemps s’occupa des plans d’entraînement de Kevin Geniets et le relança même sur de bons rails lorsque son début de carrière vacilla, se penche encore sur des plans d’entraînement. Comme ceux de l’espoir Ken Conter, désormais coureur du Team Snooze. «En ce moment, quand je regarde ses données et que je vois ce qu’il fait à l’entraînement, c’est clair qu’il est en pleine progression. Mais le malheur, c’est qu’il ne peut pas le montrer!» Romain Gastauer poursuit : «On avance à l’aveugle, on planifie un entraînement sur plusieurs mois pour la Flèche du Sud qui est annulée et ainsi de suite… Pour le reste, c’est sûr que cette période de presque deux années sans courses va être dommageable pour beaucoup de jeunes coureurs. En termes d’entraînements, on dit souvent que la transition débutants-juniors est importante, mais pour certains il n’y aura pas de transition…»
En ce qui concerne le nombre de licenciés, une fuite n’est à ce jour pas observée. «À Cessange, nous n’avons perdu que deux ou trois coureurs en cours de route», comptabilise Michel Zangerlé. «Aucun coureur n’est parti à Schifflange», enchaîne Nathalie Lamborelle. Des données corroborées par Christian Helmig. «Pour le moment, confirme le DTN, nous n’avons pas à déplorer une baisse du nombre de licenciés. Seuls plusieurs masters n’ont pas repris de licences. Je pense que cette catégorie de compétiteurs attend une reprise effective pour revenir.» Et de conclure : «Pour beaucoup de coureurs adultes, la pause a pu avoir un bienfait dans leur parcours. Pour le reste, c’est évident que les jeunes, des débutants aux espoirs, souffrent davantage de la situation qui concerne d’ailleurs également tous les autres pays. On espère donc que la reprise aura lieu à la fin du mois quand prendra fin la loi. Cela voudrait dire que la situation sanitaire s’est améliorée…» Dis, la reprise, c’est encore loin?
Denis Bastien