L’album choisi cette semaine par Le Quotidien est le dernier opus d’It It Anita, Sauvé. Il est sorti le 2 avril sur le label Vicious Circle.
C’est un fait que l’on ne peut pas contester : oui, la Belgique est une terre de rock, et dans ses soubassements les plus occultes s’agitent des groupes redoutables, aux réflexes calés sur l’image d’un pays tout entier : surréaliste et indomptable. Pour s’en convaincre, il suffit de s’envoyer – très fort – dans les oreilles les propositions, nombreuses, de souteneurs (Live Fast Die Young, Luik Music…) et autres labels (Belly Button, Rockerill, Black Basset…) qui, d’une régularité sans faille, cherchent à relayer la fureur et la folie d’une scène inventive.
Au cœur de celle-ci, certains s’en sortent mieux que d’autres et se montrent au grand jour : c’est le cas notamment de La Jungle, duo azimuté que l’on a pu voir à plusieurs reprises au Luxembourg. Depuis 2018 et Laurent, album marquant et remarqué, c’est au tour d’un autre trublion de faire parler de lui : It It Anita, quatuor chaud bouillant qui, ça ne s’invente pas, débarque de la Cité ardente, Liège. Avant que le monde ne s’arrête et ne mette un coup d’arrêt aux concerts sentant la bière et la sueur, le groupe s’était offert une traversée de l’Europe sur 150 dates, dont un mémorable passage au festival de Dour (2019).
Depuis, privé comme tout le monde de sorties et de jeu, It It Anita s’est rabattu sur la vidéo pour livrer, en novembre dernier, un premier single-éclaireur annonçant un album à venir : Cucaracha, qui, comme son nom ne l’indique pas, préfère le rock qui mord au folklore latin. Sur le clip, en mode confinement, le groupe s’éclate dans un potager, avec un micro fait d’une carotte et d’une pomme. Un élan cathartique (et bio!) en réaction à la situation sanitaire – dans les paroles, on peut entendre «comme un chewing-gum de mauvais goût sous votre bureau / je serai là pendant des décennies…».
Plutôt que de sombrer dans l’immobilisme, It It Anita a pris le taureau par les cornes et dévoile, en temps et en heure, Sauvé. Avant d’y voir un quelconque message, précisons que l’appellation tient à son producteur, Amaury Sauvé, subtilité déjà observée sur le précédent disque (dont le titre faisait référence à son ingénieur du son, Laurent Eyen). Seconde précision : non, It It Anita ne fait pas dans le rock «indépendant» des années 90, comme on peut le lire. Et si influence il y a, elle reste en arrière-plan, digérée.
C’est vrai, si le titre de clôture, 53, ramène quand même à Sonic Youth (pour sa longueur et son chaos bruitiste), il met surtout en relief les deux obsessions du groupe – qui se décrit au passage comme «complexe» : d’un côté, des vertus mélodiques et, de l’autre, une propension à tout déglinguer, en mode bourre-pif. Entre les deux, noise, punk râpeux, post-rock, harmonies amères et distorsions se mélangent dans un album qui alterne les humeurs.
Entre tension et relâchement, It It Anita délivre ici dix titres qui trompent l’ennui et n’attendent que l’ouverture des salles pour s’exprimer de tout leur soûl. Ce n’est pas les copains-copines de Vicious Circle (Lysistrata, Psychotic Monks, Shannon Wright, Troy Von Balthazar…) qui diront le contraire. Oui, ça démange furieusement.
Grégory Cimatti