Ouvrira, ouvrira pas? Les restaurateurs sont sceptiques quant à la réouverture des terrasses. Si certains vont profiter de cette occasion de travailler, d’autres y voient plus d’inconvénients que de bénéfices.
Chers clients et amis, à la suite des nouvelles annonces de notre gouvernement qui nous permet de ne servir qu’en terrasse le midi à partir du 7 avril, nous avons pris la difficile décision de ne pas rouvrir nos restaurants pour le moment», prévient le Domaine de la Gaichel sur sa page Facebook. «Nous ne pouvons pas envisager de n’utiliser que nos terrasses à cette époque de l’année où la météo est encore fort capricieuse, mais sachez que dès que nous aurons le feu vert pour ouvrir nos intérieurs et/ou en cas de canicule…», etc.
Combien de cafés et de restaurants vont faire le même choix que Céline et Erwan Guillou et ne pas profiter de cet assouplissement des mesures sanitaires? Si pour certains restaurateurs et cafetiers, l’ouverture des terrasses mercredi prochain est vécue comme une éclaircie, pour d’autres qui pointent les incohérences de la mesure, ce n’est pas encore le bout du tunnel. Certains ont accepté de livrer leurs impressions.
«Ouverts même sous la pluie»
Rue de la Poste à Luxembourg, des solides gaillards tatoués sortent des chaises et des planches devant le café Um Piquet. Pendant que les clients occuperont la terrasse, l’intérieur sera rénové. «Nous ouvrirons notre terrasse, même sous la pluie, affirme Sébastien Thiry, le gérant du lieu. Nous allons installer des parasols pour protéger nos clients. Ils ont hâte de pouvoir revenir et ce n’est pas la météo qui va les arrêter.»
Le café rebaptisé Rock Solid um Piquet sera cependant fermé les lundis et mardis pour simplifier la gestion du personnel et n’ouvrira le matin qu’à partir de 7 h. «Je suis confiant pour la suite. Nous avons très bien travaillé l’été dernier. Notre clientèle est spéciale. Ce sont des gens qui aiment sortir et s’amuser», conclut-il.
Plus au sud, à Esch-sur-Alzette, Carlos Breda, cogérant du restaurant Moustache, est plus mitigé quant à la réouverture des terrasses : «Pour rester positif, on peut dire que cette mesure est une des premières étapes vers un déconfinement et je comprends l’idée de ne pas ouvrir après 18 h pour éviter les situations potentiellement dangereuses. Je me mets aussi à la place de ceux qui n’ont pas de terrasse et ne pourront pas ouvrir leurs portes.»
Le restaurant Moustache a la chance de pouvoir servir 20 couverts le midi sur sa terrasse intérieure, pourtant Carlos Breda n’ose pas se réjouir. «Pour le moment, il fait beau, mais les prévisions pour les semaines à venir sont mauvaises. Nous risquons de ne pas profiter du tout de la mesure et en cas de beau temps, les gens vont sans doute se ruer vers les terrasses les plus agréables», poursuit-il.
Carlos Breda ne se fait pas d’illusions : «La mesure ne va pas rapporter grand-chose. Nous allons continuer avec le même effectif qui s’occupe de la vente à emporter, mais cela va doubler leurs efforts. Ma maman qui est cogérante, va réceptionner les commandes à emporter et s’occuper des clients en terrasse. Cela va être sportif. Nous ne pouvons pas nous permettre de charges supplémentaires si cela ne fonctionne pas.»
Moustache va essayer de collaborer avec le café Pitcher pour servir des burgers à ses clients. «Nous essayons d’être créatifs, de nous débrouiller, mais l’énergie et la motivation commencent à arriver à leurs limites.»
«Diviser pour mieux régner»
À la brasserie Benelux à Strassen, pas de terrasse, juste de la place pour cinq tables le long de la route d’Arlon. C’est peu, mais le patron, Yaghma Heinen, a décidé d’ouvrir sans grands espoirs de réussite. «Mes équipes et moi avons accueilli l’annonce avec optimisme, même si cette décision ne semble pas avoir été suffisamment étudiée. Imaginez, vous déjeunez dans mon établissement et il se met à pleuvoir… Il aurait fallu tout ouvrir ou ne rien ouvrir du tout», souligne-t-il.
Yaghma Heinen regrette également l’heure de fermeture trop précoce : «C’est une blague! On n’aura qu’un service par jour. Et le matin? Qui sera là à 6 h avec le couvre-feu? Il faut habiter au-dessus du café!»
Le restaurateur aurait préféré que le gouvernement laisse plus de latitude aux exploitants pour leur permettre un meilleur service au client en cas d’intempéries. «Un établissement qui était fermé jusqu’alors et ne s’est pas lancé dans la livraison à domicile, n’ouvrira pas. Cela occasionnera plus de frais qu’autre chose. Et ceux qui n’ont pas de terrasse, comment se sentent-ils? Le gouvernement veut diviser pour mieux régner, on dirait.» Yaghma Heinen, révolté, reconnaît toutefois que «la bonne solution n’existe pas, c’est à nous de tirer le meilleur de la situation. Le gouvernement doit satisfaire le secteur et les citoyens, ce n’est pas simple.».
«Laissez-nous gagner notre vie!»
Matilda (nom d’emprunt), patronne d’un café des faubourgs de la capitale, a décidé de ne pas ouvrir. «Je ne vais quand même pas mettre une seule table sur le trottoir!», lance-t-elle en désignant les quatre mètres de devanture de son établissement. «Nous sommes un café de village, la majorité des clients ne viennent pas avant 16 h. Ces mesures sont bonnes pour ceux qui ont des terrasses en centre-ville et du passage toute la journée.»
Pour la jeune femme, cette mesure ne trompe personne. «C’est de la communication, mais quand on essaie de contacter le ministère de l’Économie pour se renseigner, le téléphone sonne dans le vide… C’est notre gagne-pain! C’est sérieux!» Matilda s’interroge sur la réaction des clients : «Et si les gens veulent venir en famille ou entre amis? Mon mari et moi à une table et ma fille toute seule à deux mètres?»
Intarissable, elle poursuit en gesticulant : «Je devrais démarrer ma cuisine pour deux personnes? Ce sont des frais qui ne vont rien me rapporter. Et on est reparti pour des mois. Je n’en peux plus, j’ai la flemme… On est là à tourner en rond à encaisser des aides. Mais laissez-nous travailler normalement pour qu’on puisse gagner notre vie!» Ce cri du cœur de la jeune femme haute en couleur résonne dans le faubourg. «Je ne vais quand même pas servir des frites molles et du steak froid en take away!»
Même son de cloche auprès d’un restaurateur voisin. «J’ai de la place pour deux tables et pas la possibilité de grignoter de la place sur la rue. On restera fermés en attendant de pouvoir travailler convenablement.» L’homme est d’avis que «les gens ne veulent pas se les geler à 7 h du matin, ils veulent pouvoir se retrouver entre amis après le travail, mais qui peut le faire avant 18 h?».
La réouverture des terrasses est loin de faire consensus auprès des restaurateurs et cafetiers rencontrés. Tous sont d’avis qu’après une année de confinement, le gouvernement veut ménager le secteur de l’Horeca et les citoyens, mais qu’au final, la mesure ne satisfait personne. Verdict, mercredi, sur les places des villes ou villages et dans les quartiers.
Sophie Kieffer