En inscrivant deux buts cette semaine et en s’installant en pointe plutôt que dans le couloir gauche, le rasta a entamé sa mue.
Une Lamborghini Aventador verte traîne encore vers minuit sur le parking situé aux alentours du stade. À moins qu’il y ait une réunion secrète d’amoureux de grosses cylindrées flashy au Barthel, ce qui est peu probable au regard des restrictions sanitaires, ses coéquipiers n’ont pas menti, Gerson Rodrigues est encore au vestiaire.
Bain glacé pour l’attaquant, qui s’attache à récupérer avant de rejoindre l’Ukraine et la mission de fin de saison, la conquête d’un titre de champion qui serait son deuxième après celui de Moldavie, en 2018, voire même d’un doublé, puisque très prochainement, le Dynamo Kiev doit affronter une modeste équipe de D2 en demi-finale de la Coupe.
Et le Gerson qui a éclaboussé cette semaine internationale de son talent semble parti pour faire de grandes choses d’ici à la fin de la saison, avec son club. Faire gonfler son temps de jeu en tout cas.
Cinq buts en douze rencontres
Mais en fait, il est déjà en train de marquer l’histoire… des Roud Léiwen, à seulement 25 ans et 35 capes (un total qui reste modeste, puisque, par exemple, Vincent Thill en est à 38 à 21 ans). Au stade Josy-Barthel, contre la Seleçao, le natif de Pragal a inscrit son septième but international. Le meilleur réalisateur de l’histoire des Roud Léiwen, Aurélien Joachim, 14 buts au compteur, avait dû attendre ses 29 ans et sa 57e sélection pour cumuler un tel total. Autant dire qu’à moyen terme, son record sera mis en péril.
Dans la semaine, Luc Holtz avait indiqué qu’il avait parlé avec son attaquant de l’importance de faire des statistiques quand on évolue à un tel poste. Le sélectionneur a visiblement été entendu. Et si Gerson Rodrigues a pu être montré du doigt durant l’année 2020 pour son manque de rendement devant le but et dans le jeu, force est de constater qu’il a nettement redressé la barre.
Les faits sont là, il a inscrit cinq buts sur ses douze dernières rencontres internationales, ne frappant pas contre n’importe qui. La Serbie, l’Irlande et le Portugal ne sont pas des perdreaux de l’année et il faudrait voir à ne pas oublier non plus que si l’ancien joueur du RFCU et du Fola Esch sévit aujourd’hui à Kiev, il le doit en grande partie à ses extraordinaires prestations (sans but) contre l’Ukraine lors des éliminatoires de l’Euro-2020.
Gerson ne se sentirait-il jamais aussi bien que dans le grand monde, lui qui est le premier Luxembourgeois de l’histoire à avoir disputé la phase de groupe de la Ligue des champions, l’automne dernier?
Il est en train d’enterrer l’ancienne génération
Mardi, contre CR7 et consorts, GR10 a en tout cas commencé à prendre date avec les petits livres d’histoire nationaux, puisqu’il faut bien commencer à laisser des traces quelque part. Sinani, 6 buts en 30 sélections, marque tous les cinq matches? Lui fait très légèrement mieux et est le premier de la nouvelle génération à dépasser le dernier «actif» de l’ancienne génération, Dave Turpel (6 buts).
Il rejoint à 7 buts d’illustres anciens internationaux, dont Jeff Strasser ou Dan Da Mota. Ce dernier, qui évolue au(x) même(s) poste(s) que Gerson, a toutefois eu besoin de 98 sélections pour y parvenir. Autres temps, autres styles, autres rendements…
En septembre 2018, lors d’une des rares interviews qu’il ait jamais accordées, Rodrigues semblait anticiper les attentes que le public luxembourgeois nourrirait à son égard trois ans plus tard. «Je sais que les gens comptent sur moi et attendent plus de moi. Et je vais tout faire pour le leur offrir.»
Ce qu’il a offert en ce mois de mars 2021, c’est une version épurée des fulgurances de sa prime jeunesse. Orientée un peu plus sur l’essentiel de son rôle. Un mûrissement accéléré? On dirait en tout cas que c’est ce que s’est choisi Gerson comme credo, en 2021. Luc Holtz a même semblé surpris d’apprendre, en conférence de presse, que son rasta avait brièvement porté le brassard de capitaine par le hasard des remplacements au Qatar.
Ça l’avait fait rire, comme si ce genre d’honneur était arrivé un peu trop précocement. Un peu comme son recentrage à la pointe de l’attaque, tenté par le passé et qui commence enfin à se justifier. Arrive l’Azerbaïdjan en septembre. Ça, c’est un match que la star d’une équipe ne peut pas laisser passer. Il doit y être décisif et en ressortir avec les trois points. En patron quoi.
Julien Mollereau