L’Inspection générale de la police a présenté vendredi une étude portant sur l’efficacité de la vidéosurveillance policière. Conclusion : les caméras n’éradiquent certes pas la criminalité, mais elles contribuent au sentiment de sécurité des citoyens et aident à élucider tout de même quelques affaires.
Pas moins de 98 caméras installées dans quatre zones de la capitale veillent à la sécurité des citoyens. Ce système relié, appelé «Visupol», apporte, certes, une plus-value au travail policier dans le cadre de sa lutte contre la criminalité, mais il est perfectible. Le constat émane de l’Inspection générale de la police (IGP), c’est-à-dire l’organe de contrôle externe de la police grand-ducale, dont l’étude sur l’efficacité de la vidéosurveillance liste les limites du système : effet dissuasif à court terme, taux d’élucidation relativement faible en fonction du type d’infractions, coût élevé du dispositif, manque de personnel… C’est ce que nous avons pu apprendre vendredi au ministère de la Sécurité intérieure, où cette étude était dévoilée en présence du ministre, Henri Kox.
Quatre zones de Luxembourg sont actuellement surveillées par 98 caméras fixes et de type «dôme» : il s’agit de la zone «Glacis et Kinnekswiss» (40 caméras), du quartier de la Gare et ses rues adjacentes (42), de la zone du stade Josy-Barthel (11) et du pont Adolphe et de pistes cyclables (5), pour un total de 98 caméras. Et à la réception des images de ces caméras se trouvent une dizaine de «Big Brothers», dont la majorité sont issus du cadre civil, lesquels ne sont pas dirigés par un chef de service ni ancrés dans un quelconque organigramme, raisons pour lesquelles l’Inspecteur général de la police, Monique Stirn, se plaint au ministre Henri Kox : «Nos demandes de renforts ne sont pas accordées par la hiérarchie.»
«Flagrants délits en chute libre»
Un ancien responsable du service disait pourtant, selon l’Inspecteur général, que «l’optimum serait une vidéosurveillance 24 h/24 et 7 j/7». Mais pour y parvenir, il faudrait, selon la même source, «de 12 à 16 policiers des carrières de l’inspecteur et du brigadier, qui travailleraient en fonction des trois roulements officiels», souligne Monique Stirn, qui déplore encore «le peu de valorisation interne». À ce coût en personnel, il faut ajouter celui des caméras – chacune d’entre elles vaut quelque 15 000 euros – sans parler des dépenses liées au lancement du service, aux infrastructures, au matériel technique… Voilà pour le volet revendicatif à l’intention du ministre Henri Kox.
Concernant l’efficacité de Visupol, l’IGP indique que la charge de travail du service est «très variable selon les années (entre 100 et 400 affaires à traiter) et que la proportion des arrestations en flagrant délit est en chute libre, avec une moyenne de sept cas annuels entre 2014 et 2020». L’une des recommandations principales de l’étude est de créer une alternance (…) entre présence sur le terrain et présence derrière les écrans du Visupol, car la connaissance du terrain est primordiale selon l’IGP. «Une piste prometteuse est néanmoins celle du guidage des enquêteurs dans le milieu de la drogue au sein du quartier Gare, afin de réaliser des actions coups-de-poing», tempère la patronne de l’IGP.
Une plus-value dans un tiers des dossiers
Cela étant, Visupol dispose d’un effet dissuasif non négligeable au moins dans les premières semaines de l’installation des caméras. Car les dealers et autres malfrats, loin d’être dupes, s’adaptent : c’est ce qu’on appelle l’«effet de déplacement». Quand l’effet dissuasif ne suffit pas, les caméras ne manquent pas d’enregistrer les méfaits commis dans la rue, à l’exemple des statistiques livrées pour la zone du quartier Gare et des rues alentour (voir camembert ci-contre) : 30 % concernent les vols, 21 % les affaires de drogue ou encore 14 % les violences commises envers les personnes. Cela dit, l’IGP constate une augmentation des affaires de drogues dans toutes les rues du quartier.
Concernant l’élucidation des affaires, force est de constater que Visupol n’est pas forcément la panacée. En effet, seuls 120 dossiers ont été transmis à la justice en 2020 pour élucidation. «Dans environ un tiers des cas, les images ont apporté une vraie plus-value dans le processus d’élucidation, mais il s’agit avant tout d’affaires de vols et de coups et blessures, et rarement des affaires de drogue. Cela dit, la vidéosurveillance peut permettre de comprendre le déroulement d’une infraction, de rechercher le coupable et de rassembler des preuves», note encore Monique Stirn.
L’inspecteur général adjoint de l’IGP, Vincent Fally, synthétise : «La vidéosurveillance doit s’inscrire dans un concept de sécurité global, car elle ne peut pas tout résoudre.» Le responsable souligne en outre que l’intérêt du système réside aussi dans le renforcement du sentiment de sécurité. «Visupol est un outil important, mais pas nécessairement décisif dans la lutte contre la criminalité», commente le ministre Henri Kox.
Claude Damiani
Une extension de la vidéosurveillance plébiscitée au quartier Gare et à Bonnevoie
Un sondage TNS Ilres révèle que 67 % des habitants des quartiers Gare, Bonnevoie et Limpertsberg sont favorables à un élargissement de la vidéosurveillance.
Menée entre décembre 2020 et janvier, une enquête réalisée auprès de près de 2 000 résidents des quartiers Gare, Bonnevoie et Limpertsberg montre qu’ils souhaitent que davantage de caméras de vidéosurveillance soient installées. «Si une majorité de personnes se montre réceptive à une extension du réseau de caméras, la question de leur efficacité réelle se pose toutefois dans leur chef», résume Tommy Klein, le directeur service clients de TNS Ilres. En effet, seules 25 % des personnes interrogées disent sortir plus souvent de chez elles le soir dans l’obscurité grâce aux caméras de surveillance fixes. De plus, ils ne sont que 36 % des sondés à indiquer que «la vidéosurveillance fait en sorte que les groupes criminels n’apparaissent plus». Enfin, les sondés sont 24 % à déclarer qu’ils visitent certains espaces publics qu’ils évitaient auparavant grâce aux caméras de vidéosurveillance fixes. Cependant, et c’est le revers de la médaille, par rapport à l’aspect de la protection des données personnelles, ils sont 24 % à se dire «gênés» par les caméras de vidéosurveillance dans leur vie privée.
Le quartier Gare évité la nuit
Autre constat qui ressort du sondage de TNS Ilres : 62 % des sondés affirment éviter les lieux publics en soirée, «dans l’obscurité», dans le quartier Gare (54 % à Bonnevoie et 45 % au Limpertsberg). De nuit, les pourcentages s’envolent : ces mêmes sondés sont 77 % à éviter alors les lieux publics dans le quartier Gare (65 % pour Bonnevoie et 54 % pour le Limpertsberg). On ne s’étonnera donc pas que les résidents du quartier Gare sont 72 % à ne pas se sentir en sécurité «dans l’obscurité de la soirée», un pourcentage qui monte à 82 % la nuit (62 % à Bonnevoie).
Par rapport au type de nuisances, ils sont 60 % à avoir été harcelés par des mendiants au cours des derniers mois dans leur quartier. 40 % déclarent avoir été harcelés par des trafiquants ou des consommateurs de drogue. 39 % indiquent avoir été harcelés par des personnes ivres qui se bagarraient. Enfin, sur la question récente et polémique de l’engagement de patrouilles privées par la Ville de Luxembourg, 46 % des sondés estiment que cette démarche est «très» ou «plutôt» importante.