L’incontournable programme court «made in Luxembourg» fait encore fort : des histoires intimes et poétiques aux expérimentations délirantes, il y en a pour tous les goûts.
Le cinéma luxembourgeois de demain s’écrit avec les jeunes réalisateurs d’aujourd’hui, dont les films courts servent de vitrine à leur talent, preuve s’il en faut encore que le Luxembourg est aussi une terre de création et de fécondité artistique. Lundi soir, lors du rendez-vous incontournable du LuxFilmFest, sept jeunes auteurs ont présenté huit films, disponibles dès maintenant sur la plateforme en ligne du festival.
Comme d’habitude, le «showcase» d’une heure trente assemblé par le LuxFilmFest reflète la diversité des auteurs dans les genres, les thèmes et les techniques. Ainsi, de Robotzillas à De Pigeon, les films se suivent mais ne se ressemblent en rien. On y met souvent en scène des femmes : amoureuses, passionnées, réservées ou encore maltraitées, elles sont la sève de ces histoires courtes. Les réalisatrices, elles, prédominent : elles sont cinq, pour deux réalisateurs.
Une «auberge espagnole» au Luxembourg
L’œuvre la plus ambitieuse est sans conteste celle de Catherine Dauphin, What We Talk About When We Talk About Sex. Si ce sont Richard Linklater, Jim Jarmusch ou encore Quentin Tarantino qui sont remerciés dans le générique de fin, on pense surtout à l’influence de Woody Allen – autant pour l’ambiance, qui baigne dans une musique jazzy aux accents bossa-nova et «sixties», que pour son titre à rallonge, quasi homonyme du film à sketches de 1972 Everyhing You Always Wanted to Know About Sex But Were Afraid to Ask – et de Cédric Klapisch, dont l’hommage est à peine maquillé avec cette «auberge espagnole» délocalisée à Luxembourg, pour des histoires d’amour et de passion croisées. La prometteuse série au format court (deux des cinq épisodes sont présentés ici), soutenue par l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte, peine pourtant à convaincre… Dans l’exploration de la passion, on sera plutôt touché par Mania, premier court métrage d’Ugur Darya Eroglu, qui fait oublier le déjà-vu de son histoire (l’idylle d’un couple, vu du point de vue de la femme, qui se transforme en cauchemar) grâce à sa technique de stop-motion brillamment maîtrisée et inventive.
Avec De Pigeon, la réalisatrice Nadia Masri livre une petite perle : l’histoire d’une jeune femme qui se rend chez sa psy après la mort de son père, et qui verra le déroulement de sa journée être remis en question après qu’un pigeon s’écrase contre la fenêtre du cabinet. En vingt minutes, le film nous transporte dans le monde discret de son héroïne pour le mettre à l’épreuve. La bienveillance absolue du personnage, confrontée à un monde réticent et absurde, existe à travers ce pigeon blessé qu’elle trimballe dans une boîte, symbolique geste scénaristique plein de poésie. On sourit beaucoup, et on regrette finalement que le film soit trop court.
Des œuvres «ovniesques»
La compilation de courts métrages, dans sa diversité, renferme forcément quelques œuvres à part. C’est notamment le cas de Robotzillas, deuxième court de Léa Buffard, dans lequel une armée de monstres, mi-robots, mi-dinosaures géants, débarquent sur une improbable version electro du fameux aria de Carmen, l’opéra de Georges Bizet. Pendant trois minutes, et dans une esthétique qui rappelle autant le street art et Basquiat que les gribouillis d’enfant, la réalisatrice déploie son univers excessif au fur et à mesure que le spectateur entre en hypnose devant le délire, qui se transforme en une épique bataille. Déconseillé aux épileptiques…
Dans un registre tout autre mais tout aussi «ovniesque», le documentaire Merak retourne aux racines du cinéaste Dzhovani Gospodinov, qui a grandi au Luxembourg mais est né en Bulgarie. On y découvre les préparatifs d’une ancienne fête païenne bulgare, pour laquelle les «Kukeri», vêtus de costumes élaborés à partir de peaux de bovins à poils longs, défilent pour la nouvelle année. Le cinéaste transcende le documentaire d’observation en y insérant de courtes séquences mises en scène, et réfléchit ainsi à la disparition possible d’une tradition ancienne dans ce village des montagnes, laissant le soin aux plus jeunes de prendre bientôt le relais, s’ils souhaitent perpétuer cette pratique pour laquelle les générations précédentes y vouent tout leur «merak» (comprendre : forte passion).
Le programme de courts métrages est disponible gratuitement et jusqu’à la fin du festival sur la plateforme de visionnage en ligne. Et il y a de quoi faire de très belles découvertes.
Valentin Maniglia