Une annonce récente du gouvernement fait entrevoir une prise en charge par la CNS des soins prodigués par les psychothérapeutes. Mais qu’en est-il réellement dans les faits ?
La présidente de la Fédération des associations représentant des psychothérapeutes du Luxembourg (Fapsylux), Delphine Prüm, fait le point sur les négociations avec la CNS. Elles ne sont pas forcément près d’aboutir selon elle. Décryptage.
Qu’est-ce au juste que la psychothérapie?
Delphine Prüm : Il y a nombre de différences entre la psychologie et la psychiatrie, et je pense qu’il faut informer les gens, car il y a une tendance à la confusion. Les psychothérapeutes sont soit des psychologues, soit des médecins qui ont fait une formation en psychothérapie, laquelle est complémentaire à la formation de base. Ce sont des personnes qui ont les connaissances nécessaires pour prodiguer des soins par rapport à des troubles mentaux. L’intervention se fait en cas de trouble ou d’une maladie mentale. Mais les psychothérapeutes peuvent aussi faire de la prévention. La principale différence, par rapport aux psychologues et aux psychiatres, vu que ce sont des médecins, est qu’ils ont, dans leurs attributions, tout le volet de la prise en charge médicamenteuse.
Quel genre de personnes vient vous consulter?
Les personnes qui consultent sont, en tout cas, des personnes en souffrance psychique. Elles ont vraiment besoin de mettre en place des changements durables dans leur manière de fonctionner : apprendre à mieux gérer leurs émotions, mettre en place un assouplissement des pensées, adapter leurs comportements en fonction de situations changeantes… L’objectif est aussi, et surtout, d’améliorer les relations sociales, ainsi que la relation à sa propre personne et à sa santé. En tout cas, nous parlons de gens qui ont des troubles de la santé mentale. Le dénominateur commun entre tous nos patients est qu’ils sont en souffrance et qu’ils ont besoin de faire un travail sur eux-mêmes, pour pouvoir profiter pleinement de leur vie.
Les psychothérapeutes, qui entendent être reconnus à leur juste valeur, veulent voir leurs actes remboursés par la CNS.
Les psychothérapeutes sont listés sur la page du Collège médical, et nous en sommes tous membres. Si une personne cherche à consulter un psychothérapeute qui a une autorisation d’exercer, je l’invite à se renseigner sur le site web du Collège médical. Cela étant, nous avons fondé la Fapsylux, qui est la plus représentative au Luxembourg, afin, justement de pouvoir négocier avec la CNS. Les différentes associations qui la composent se sont regroupées dans ce but au sein de cette fédération pour pouvoir négocier la prise en charge de la psychothérapie.
Ça peut être rébarbatif de devoir d’abord aller voir un médecin
qu’il va falloir convaincre de l’ampleur de sa souffrance
Le ministère de la Sécurité sociale a fait savoir il y a deux semaines que le gouvernement se dirigeait « vers une prise en charge de la psychothérapie ». Qu’en pensez-vous, sachant que les négociations sur ce point ont échoué par le passé?
Nous ne sommes pas informés prioritairement. Nous avons appris cette communication en même temps que tout le monde. Au niveau des négociations avec la CNS, ce qui pose problème, depuis le début, c’est que l’on n’a pas la même interprétation de la loi qui définit notre profession. L’article 5 dispose que le psychothérapeute travaille de façon autonome… Pour moi, cela signifie qu’un patient peut venir me consulter sans passer par quelqu’un d’autre avant (NDLR : sans prescription médicale). Ceci constitue un point crucial pour nous, quand on connaît le coût pour venir chez un psychothérapeute. Si l’on ne se sent pas bien, que l’on cherche de l’aide, et que l’on doit donc parler de choses personnelles, on n’a pas forcément envie d’en parler à un étranger, et de surcroît reconnaître soi-même que l’on a un problème avant toute démarche postérieure. La situation est très difficile pour le patient. Et ça peut être rébarbatif de devoir d’abord aller voir un médecin qu’il va falloir convaincre de l’ampleur de sa souffrance pour in fine pouvoir aller voir un psychothérapeute.
Or on a fait toutes les études nécessaires pour pouvoir travailler main dans la main avec les médecins, car il est clair qu’on a besoin de travailler de façon pluridisciplinaire, vu que des troubles somatiques peuvent être à la base de troubles psychiques. Lorsqu’on rencontre un patient, il faut être sûr qu’un check-up somatique (NDLR : c’est-à-dire physique) a été fait pour pouvoir exclure toutes les maladies somatiques. Nous ne sommes pas du tout experts dans ce cadre. En effet, en tant que psychothérapeute, je vais bien me garder de traiter un problème somatique. Le cas échéant, je l’envoie chez son médecin. La loi qui définit notre profession dispose que nous sommes tenus de faire appel à l’aide d’autres prestataires de soins lorsque le problème rencontré dépasse notre domaine de compétence. Ce qui n’est pas la même chose que de travailler sur prescription. Il y a eu un avis du Conseil d’État fin novembre au sujet de cette prise en charge. Et il y est dit clairement que l’accès à un psychothérapeute doit pouvoir se faire sans prescription médicale. C’est notre façon d’interpréter cela.
Pourquoi, dès lors, le gouvernement se montre-t-il optimiste à propos de la prise en charge?
Je ne sais pas trop… Le ministre Romain Schneider nous avait conseillé en janvier 2019 de reprendre les négociations de la convention en parallèle de la rédaction du règlement grand-ducal, mais cela a toujours été refusé par la CNS. L’e-mail selon lequel le ministre nous « invite à avancer rapidement » avec la CNS se heurte à une difficulté. Après une première rencontre avec celle-ci, on s’est rendu compte qu’il y avait un désaccord d’interprétation au sujet de l’avis du Conseil d’État. Notre interprétation de cet avis est que le Conseil d’État est favorable à notre autonomie. Mais selon la CNS, ce n’est pas aussi clair. Or il nous tient à cœur que nos patients puissent avoir accès le plus vite possible à des soins spécialisés, aussi pour éviter la surcharge de nos médecins.
Que va-t-il se passer maintenant?
Pour le moment, nous avons quelques doutes par rapport à un futur remboursement pour nos patients, et cela nous inquiète. On se rend compte que la demande est énorme et que nos patients en ont besoin. D’un autre côté, pour créer un cadre propice à leur prise en charge, nous ne partageons pas l’interprétation par la CNS de l’avis du Conseil d’État. Nous allons de facto rencontrer les mêmes difficultés qu’auparavant : celles du genre « prescription ou non? », « à combien de séances un patient aura exactement droit? »… Toutes les questions sur lesquelles nous n’avons pas trouvé d’accord dans le passé semblent les mêmes. Toutefois, cela reste de l’ordre de l’impression, car nous sommes au tout début des négociations.
Vous n’êtes donc pas forcément optimiste.
Entre optimisme et pessimisme, il y a quoi? Je dirais que je suis sceptique quant à un rapide rapprochement possible de nos positions respectives. Il y a une série de pays voisins où la prise en charge est possible, comme en Allemagne, et cela depuis environ 20 ans.
De manière concrète, qu’attendez-vous de la CNS?
Il est important que, quelle que soit la souffrance que rencontre le patient, celui-ci puisse bénéficier d’un remboursement. Cela doit être le cadre d’une discussion approfondie. Car nous sommes d’avis que toutes les pathologies et souffrances se valent. Un patient dépressif et un patient anorexique ont d’autres besoins. Tous les deux connaissent une souffrance et doivent avoir droit à une aide, et donc à un remboursement par la CNS. Pour un euro investi, il y a trois euros qui sont épargnés pour la société en général. Un accord tarde, alors que cela pourrait avoir l’air facile… Cela dit, on voudrait bien mettre en place quelque chose pour tous les patients. Cela semble injuste de commencer à considérer les anxieux et de commencer une prise en charge avec eux si les autres personnes qui souffrent doivent encore attendre cinq ans dans le contexte des négociations. Il s’agit d’un domaine sensible. Et puis, vu qu’on est en pleine négociation, on ne souhaite pas marcher sur les pieds de la CNS! Je rappelle que nous sommes repris dans la liste du Collège médical et que nous ne sommes pas des paramédicaux.
Le nombre de vos patients a-t-il significativement augmenté durant cette période de pandémie Covid-19?
Il y a une demande de consultations à la hausse, c’est sûr, de même que pour les tendances suicidaires. Mais sur ce dernier point, il faudrait interroger la Ligue d’hygiène mentale. Sinon, ce que je ressens bien personnellement, c’est que certains patients connaissent des difficultés croissantes à vivre leur vie pleinement et se replient sur eux-mêmes. La situation fait que cela commence vraiment à être difficile pour les gens vivant seuls, par exemple. On parle souvent des personnes âgées, mais les jeunes aussi sont touchés. Les contacts en soirée, il n’y en a plus, aller boire un verre, ça ne marche pas, et on ne peut pas aller au restaurant avec ses copains ni inviter plus de deux personnes à la maison… C’est vraiment très dur! Et là, la souffrance commence à prendre place, et je trouve que c’est pire que l’année passée. Sur la durée, c’est très difficile!
Entretien avec Claude Damiani