Fan de la Jeunesse, résident des Terres-Rouges, Européen convaincu : Dan Codello arrête la politique et devient coordinateur de la politique transfrontalière de la commune d’Esch. Une première!
Le Covid entraîne des envies de changement, mais celui-ci, on ne s’y attendait pas! Dan Codello, figure de la politique eschoise, raccroche les crampons. L’élu d’opposition, sans étiquette depuis une divergence avec la section locale du LSAP dans la foulée des élections de 2017, a remis sa démission au conseil le 1er mars. Une nouvelle aventure s’ouvre toutefois, sur l’un de ses sujets phares : le 15 mars, il prendra ses fonctions de coordinateur de la politique transfrontalière et des jumelages à la commune d’Esch-sur-Alzette.
Vous raccrochez les crampons de la politique, après 19 ans de mandat eschois. On vous a connu plein d’énergie et d’envie politique, d’où vient l’usure?
Dan Codello : Le conseil communal se rajeunissait plus vite que moi (sourire). Je suis entré en politique à 26 ans, j’étais l’un des seuls jeunes de l’équipe. J’avais mes figures tutélaires, je pense notamment à John Snel ou encore Félix Braz. J’ai investi énormément d’énergie en politique, énormément. J’y ai mis toutes mes convictions et mon amour pour Esch. J’ai été conseiller dans la majorité, président de groupe. J’ai fait mon meilleur score personnel lors des dernières élections malgré la défaite (NDLR : les socialistes ont cédé la commune à une alliance inédite conservateurs-libéraux-verts). J’ai poussé mes convictions jusqu’au bout, en siégeant en tant qu’indépendant en raison de divergences internes avec le groupe socialiste (NDLR : auquel il reprochait des orientations trop en rupture par rapport à la social-démocratie)…
Et? Vous avez 45 ans, vous êtes donc vieux?
Il fallait changer, le temps était arrivé. Chacun connaît cette sensation dans son parcours de vie. Je me suis énormément investi dans la vie politique, j’ai mis de côté des passions, comme celle d’arbitre de foot. J’ai été le plus jeune arbitre du Grand-Duché à 14 ans, j’ai arrêté à 26 ans avec la politique. C’est un exemple parmi d’autres. Il faut rencontrer les gens, être sur le terrain, être sur les événements le dimanche, comprendre les gens… C’était ma façon de faire de la politique. Je ne veux retenir que les bons moments.
Rencontrer les gens, être sur le terrain
Quels bons moments? Un, par exemple.
Lors de mes premières années, nous avions fait un déplacement à Lille, ville d’avant-garde sur le transfrontalier. C’est là-bas que nous avions puisé les prémices du groupement européen de coopération territoriale (GECT Alzette-Belval, où siègent Luxembourgeois et Français). J’avais pu rencontrer Jacques Delors, qui est un immense responsable politique, l’une de mes boussoles personnelles avec l’Allemand Willy Brandt. Nous avions discuté une heure et demie : Europe, décentralisation, avenir de la gauche… voilà une rencontre que je ne suis pas près d’oublier.
Il y a cette nouvelle aventure maintenant : un poste de coordinateur de la politique transfrontalière et européenne et aux jumelages de la Ville d’Esch.
Oui parlons-en! (rire) On ne va pas regarder le passé pendant tout l’entretien, n’est-ce pas? C’est un nouvel emploi pour moi : quand on vous propose de faire de votre passion un métier, ça ne se refuse pas. Esch-sur-Alzette devient la première ville du Luxembourg à ouvrir un poste de coordinateur de la politique transfrontalière. Il faut le souligner : la commune marque son intérêt sur ce dossier phare et joue l’ouverture sur les frontières, plus que jamais. Quant au choix du candidat… le conseil communal a approuvé mon profil à 15 voix sur 17, avec deux abstentions. C’est une joie pour moi. Peut-être se sont-ils dit : « le petit gars s’y connaît un peu » (rire). En même temps, c’est une grande responsabilité. On me fait confiance, je dois me montrer à la hauteur.
En quoi va consister le job? Ce n’est plus de la politique, n’est-ce pas?
Eh non, vous l’aurez noté! La coopération transfrontalière est une question de niveaux d’action variables (plans national, européen, local), d’interlocuteurs multiples, de versants frontaliers changeants (deux départements français sont quasiment frontaliers d’Esch)… Il faut savoir s’y repérer pour avancer, et j’ai quelques notions en la matière. Je vais préparer les dossiers, proposer les options et donner les alertes : les politiques trancheront.
Vous avez plus que « quelques notions ». Vous êtes connu comme le loup blanc en Lorraine! C’est assez rare, les politiciens luxembourgeois qui se sont positionnés sur le transfrontalier. Ça ne rapporte pas beaucoup de points dans les urnes… D’où vient cette envie?
Depuis la fenêtre de ma maison, dans le quartier des Terres-Rouges à la frontière, je voyais la plus ancienne friche industrielle de la ville, qui va faire l’objet d’une requalification (projet Rout Lëns) Quelques kilomètres plus loin, c’est la France. La relation avec les voisins, l’Europe, les projets que nous devons mener ensemble : c’est naturel quand on est eschois, c’est naturel pour moi.
Il faut mettre des visages et des personnes derrière les projets
Pourtant, on se regarde parfois en chiens de faïence à la frontière… Il y a une humeur populiste qui gronde. Vous arrivez à parler à ces Luxembourgeois qui sont dans la défiance? C’était une force de l’animal politique que vous étiez : être au conseil le vendredi et au stade le dimanche.
Il faut mettre des visages et des personnes derrière les projets. C’était ma conception de la politique : on ne peut pas être dans l’abstraction. C’est aussi l’idée que je me fais d’une bonne coordination transfrontalière : les territoires dont nous parlons, c’est « nous ». Un tiers des élèves du Conservatoire de musique d’Esch-sur-Alzette viennent de France par exemple. Comment on identifie les besoins, comment y répond-on? Je pense que les lignes bougent dans le bon sens : le ministre Claude Turmes est pleinement mobilisé sur l’aménagement transfrontalier du territoire. Et de l’autre côté de l’échiquier politique, même l’ADR a reconnu à la Chambre que le transfrontalier est un dossier important! La crise sanitaire a mis en lumière toute l’importance des frontaliers chez beaucoup de responsables éloignés du sujet, puisque de nombreux secteurs se seraient retrouvés à l’arrêt sans eux. Si j’étais taquin, je lancerais : « ça fait quinze ans que je le dis! ». Mais je ne le fais pas (sourire).
Quels dossiers chauds identifiez-vous, par exemple?
On peut identifier des projets d’envergure, sur lesquels la commune n’a pas exclusivement ou directement la main. C’est par exemple le cas de la future reconversion du crassier à la frontière : un quart du côté luxembourgeois, trois quarts du côté français. Que va-t-on y faire, avec quels moyens? Il ne faut pas que du logement. Vous avez entendu le Premier ministre, Xavier Bettel, évoquer la création d’un lycée transfrontalier? Quelles sont par ailleurs les possibilités de mise en place d’une zone à fiscalité expérimentale sur cet espace franco-luxembourgeois? Je n’ai pas dit une zone franche…
On peut également identifier des projets communaux, sur lesquels Esch peut pleinement agir. Nous souhaitons avoir un partenariat fort avec le GECT Alzette-Belval pour mener à bien des projets concrets avec nos voisins directs par exemple. Il y a un aspect technique aussi : comment aller chercher du financement européen sur certains projets communs?
Et puis, il y a un évènement unique aussi : Esch 2022, qui est une capitale européenne transfrontalière de la culture! Je crois que la directrice d’Esch 2022 (NDLR : Nancy Braun) était assez contente de ma nomination (sourire). Nous avons beaucoup de liens à tisser avec le versant français.
Pour revenir à votre parcours politique, le transfrontalier et la politique d’intégration auront été vos deux grandes batailles. Ça va faciliter les choses.
Il faut que j’avance avec humilité, que je me remette dans les dossiers, que je prenne l’habitude de nouer des contacts avec les administrations transfrontalières plutôt qu’avec les politiques. Je vais être dans mon élément, mais c’est un nouveau défi, incontestablement!
Entretien avec Hubert Gamelon
Attachement viscéral à Esch
Dan Codello a-t-il fini d’y croire le 1er mars ou un soir d’octobre 2017? Flash-back. Nous sommes deux semaines après les élections communales du 8 octobre 2017. La coalition CSV-DP-déi gréng n’est pas encore formée, les espoirs d’une coalition en faveur du LSAP (2e derrière le CSV) sont infimes, mais possibles. Un soir de négociation, tout s’effondre définitivement : les trois partis ont trouvé un accord, c’est la fin d’un règne plus que centenaire pour la section locale du Parti socialiste. Stupeur. Dans la pêche aux informations, qui consistent à faire le pied de grue devant l’hôtel de ville, nous manquons Dan Codello. Il nous donne rendez-vous à la terrasse d’un café de la rue de l’Alzette, la dernière encore ouverte à cette heure tardive. Dan Codello lâche quelques explications sur la défaite, l’impossibilité d’une coalition et puis, d’un coup : «C’est foutu.» Esch est devant ses yeux, pleine de lumières nocturnes et vide de ses habitants, belle et étrange, comme toujours. Le jazz que diffuse le bar, une complainte à la Chet Baker, ne rattrape pas la situation. L’élu désormais d’opposition ne dit plus rien et écrase une larme : son attachement viscéral à sa ville le fait souffrir. Six ans d’opposition, c’est long. Il n’y a plus rien à dire. Si ce n’est que la politique est exaltante, incertaine et souvent cruelle.