Cette semaine, focus sur Riders of Justice d’Anders Thomas Jensen.
Plus de cinq ans après Men & Chicken (2015), Anders Thomas Jensen ajoute une nouvelle pierre à l’édifice délirant de son cinéma avec Riders of Justice. Rien de nouveau sous le soleil en ouverture du cinquième long métrage du réalisateur et scénariste danois : doucement immoral avec une touche d’absurde, on y voit une jeune fille demander à son grand-père un vélo pour Noël. Elle aime celui qu’elle a vu dans la boutique, mais le préférerait en bleu; un coup de fil du vendeur plus tard, un homme cagoulé à bord d’une camionnette vole le vélo demandé sous un abribus.
Le monde d’Anders Thomas Jensen n’est pas tout à fait comme les autres, même comparé à ses compatriotes qui ont su faire de l’indécence un art jouissif (Les Idiots de Lars Von Trier, Festen de Thomas Vinterberg). Le sien est peuplé d’inadaptés sociaux, qu’il adore mettre en scène en exagérant leur apparence physique – on se souviendra du front ultradégarni de Mads Mikkelsen dans Les Bouchers verts (2003) et de la fratrie de consanguins aux improbables becs-de-lièvre de Men & Chicken – donnant à l’humour noir qu’il affectionne tant un tel calibre que l’on se demande parfois s’il faut s’interdire de rire.
C’est là que Riders of Justice dénote. L’histoire, elle, est typique d’un film «à la Jensen» : Markus (Mads Mikkelsen, encore et toujours), un militaire qui souffre de stress post-traumatique, revient au Danemark après la mort de sa femme, tuée dans un attentat terroriste. Avec l’aide de trois «geeks» sans emploi, il découvre que l’attentat aurait été organisé par les Riders of Justice, un gang de motards, pour éliminer un témoin important dans une grosse affaire. Markus ressort alors ses armes et jure de se venger. Et tandis que l’on devine la bonne dose d’extravagance derrière le seul synopsis, le réalisateur joue sa carte mystère.
Mads Mikkelsen, à nouveau métamorphosé
Après avoir montré l’attentat plein cadre, le film prend la direction inattendue du drame, sérieux, qui enveloppe toute la première moitié du film. Avec un regard très juste et sans lourdeur, Riders of Justice explore le thème du deuil et de la perte à travers les yeux d’un mari absent et traumatisé, et ceux de leur fille, victime rescapée de l’attentat. Mads Mikkelsen est à nouveau métamorphosé : à l’inverse du magnifique «loser» qu’il incarnait dans Drunk (Thomas Vinterberg, 2020), il apparaît ici crâne rasé, barbe poivre et sel bien étoffée et incapable de contenir ses excès de violence. Cette aventure tragicomique est le chemin de croix de Markus, qui refuse de suivre une thérapie et qui cherche dans la violence urbaine une façon d’accepter l’idée de la mort et de recoller les morceaux avec sa fille.
L’humour est là, toujours noir, quoique moins cinglant, comparé aux œuvres précédentes du cinéaste. Et comme pour se mettre au diapason, l’allure des personnages lorgne moins du côté des monstres de foire que des antisociaux plus vrais que nature. Comme dans les films les plus délicats des frères Coen, on se prend d’affection pour les personnages tout en riant de leurs actions. La violence, très graphique, devient d’ailleurs dans la seconde moitié du film le principal élément comique. Anders Thomas Jensen n’abandonne pas son style; avec Riders of Justice, il l’amène à une étape supérieure et confirme qu’il est l’un des scénaristes et réalisateurs les plus doués de son pays.
Valentin Maniglia
Riders of Justice, d’Anders Thomas Jensen.