Varqa Naderi est un réfugié iranien. Ce photographe est parvenu à monter son entreprise au Grand-Duché avec l’aide de l’ASBL Touchpoints.
Mariage, mode, architecture, publicités… En jetant un œil à son site web (naderi.lu), on ne peut avoir qu’une idée de l’étendue du talent de Varqa Naderi, un photographe de 34 ans arrivé d’Iran sur le territoire luxembourgeois il y a trois ans. Poésie, jeux de lumière et originalité se mêlent au service du beau dans ses créations, qu’elles soient photographiques ou vidéographiques.
C’est à Shiraz, une ville du sud de l’Iran qui compte près de deux millions d’habitants que l’histoire commence, il y a une dizaine d’années. Une histoire digne d’un conte, avec sa romance, ses péripéties et… sa fin heureuse. Varqa Naderi et son épouse Shiva, elle aussi photographe, décident alors de monter leur propre studio photo et vidéo. L’aventure commence modestement, dans une chambre au sein du logement du père de Shiva. Mais grâce à leur talent et à force de travail, les deux amoureux se font «petit à petit» une place dans le milieu. La chambre devient appartement, puis boutique de 200 m2 dans un quartier coté de Shiraz, et compte dès lors pas moins de 30 employés! Ils y proposent des photos et vidéos de mariages ainsi que des publicités pour des petites entreprises, «et des grandes aussi!», se remémore le jeune homme.
Une réussite qui aiguise toutefois la jalousie des Gardiens de la révolution islamique, d’autant que Varqa et son épouse sont de confession bahaïste, un courant chiite messianique qui prône pacifisme et égalité entre les êtres humains, et dont les disciples font l’objet de persécutions en Iran. «Les bahaïs n’ont pas le droit d’aller à l’université ou d’avoir un business florissant par exemple», fait savoir Varqa.
En 2017, furieux de l’essor de l’entreprise, les gardiens envoient donc Varqa et son épouse en prison. Pour huit mois. Une période forcément extrêmement difficile. «Les prisons en Iran sont, je suppose, très différentes de celles qui existent en Europe. L’atmosphère était plus que pesante. La prison de Shiraz compte 8 000 prisonniers, nous étions 900 dans le quartier dans lequel j’ai été placé. Nous étions 20 hommes pour une cellule de 12 m2… Aucune distinction n’est faite entre les prisonniers, je me suis donc retrouvé au milieu d’assassins. Nombre de prisonniers étaient sous l’emprise de la drogue, qu’ils parvenaient à faire entrer à l’intérieur de la prison, probablement avec la complicité des gardiens. La nourriture, l’hygiène étaient déplorables. Nous avions le droit de nous voir avec ma femme… 10 minutes, une fois par mois.» Ce qui le fait tenir? Sa foi, incontestablement. «Mes croyances m’ont aidé, et puis, c’est pour mes croyances que j’ai été emprisonné.»
Une épreuve qui n’entamera pourtant pas le désir de réussir de Varqa et son épouse. À peine sorti, le couple espère reprendre les affaires. Mais les gardiens veillent toujours et sont prêts à les renvoyer au trou. Sans échappatoire sur leur terre natale, ils décident de tout quitter et partent vers Ankara, en Turquie.
Entrepreneur dans l’âme
La chance s’en mêle. Un ami d’un ami s’avère être une connaissance du ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, ce qui va donner un sérieux coup de pouce à la démarche de Varqa et Shiva, qui obtiennent un visa pour le Luxembourg. «J’avoue que je ne connaissais pas du tout le Grand-Duché avant toute cette histoire, je pensais qu’il faisait partie de l’Allemagne», reconnaît Varqa. Quatre mois après son arrivée sur le sol luxembourgeois, le couple se voit attribuer le statut de demandeurs de protection internationale.
L’acclimatation ne se fait pas sans difficultés, le mal du pays étant omniprésent et surtout, Varqa ne parle ni le français ni le luxembourgeois, ni l’allemand, et ne maîtrise alors qu’approximativement l’anglais. «J’avais voyagé dans beaucoup de pays par le passé, mais pas en Europe. Et en plus, voyager et s’installer à l’étranger sont deux choses bien différentes.»
Mais le jeune homme est plein de volonté et de ressources. Un mois seulement après son arrivée, il découvre par le biais d’un ami l’association Touchpoints, qui vient en aide aux réfugiés désireux de monter leur entreprise (lire notre édition du 02/03/2021). Entrepreneur dans l’âme, Varqa ne se voyait pas faire autre chose. «C’est ce que je suis et ce que je sais faire! Mais j’avais beaucoup de craintes, je ne connaissais pas les lois, les règles. J’ai beaucoup appris. Fabienne Colling de Touchpoints m’a énormément aidé.»
Au bout de huit mois, il décroche le sésame : un permis de travail, grâce au fait qu’il a pu aisément justifier de son expérience en tant que photographe en Iran. Grâce à son réseau, il surmonte également l’autre obstacle majeur que rencontrent tous les réfugiés qui souhaitent se lancer dans l’autoentrepreneuriat : l’ouverture d’un compte bancaire professionnel. Sa patience et sa détermination feront le reste, et en janvier de cette année, Naderi Photography est officiellement enregistrée.
«Toutes ces démarches ont pris du temps, mais aussi parce que je voulais me préparer sur le plan personnel : il fallait que je m’adapte à la clientèle luxembourgeoise et que je présente un portfolio en conséquence. Ce n’est pas possible de montrer des photos de mariage iranien, les gens ne peuvent pas se projeter. J’ai aussi fait à titre personnel une vidéo pour Luxlait à l’occasion du Eggnog.»
Pour étoffer son portfolio et agrandir son réseau, il a donc multiplié les contacts, notamment auprès des boutiques de mariage. Il profite aussi de tout ce temps pour développer lui-même son site internet, naderi.lu. «C’était trop cher pour le faire faire par un professionnel du web, entre 4 000 et 5 000 euros», indique-t-il.
Réaliser des films
Pour l’instant, il compte sur son site internet pour développer son activité, même s’il espère avoir dans le futur une place au sein du 1535° Creative Hub de Dudelange. «Pas tant pour avoir un espace physique pour les clients, mais plus pour le réseau, être au milieu d’autres artistes.»
C’est d’ailleurs l’une des plus importantes différences entre le travail ici et celui en Iran, souligne-t-il. «Ici, je peux tout à fait travailler à partir de mon seul site internet. La clientèle peut visionner mes productions et nous pouvons discuter en visio. En Iran, les gens ont besoin de venir dans votre boutique, de feuilleter des albums.»
L’autre différence majeure, ce sont les frais de fonctionnement. «Les frais liés aux employés sont très élevés ici, ce qui implique de faire beaucoup de choses par soi-même car, pour le moment, je ne peux pas employer quelqu’un et je ne peux donc pas déléguer certaines tâches.»
La pandémie a bien sûr ralenti son activité, beaucoup de mariages étant reportés, mais il arrive quand même à être embauché pour photographier et filmer quelques cérémonies civiles. Ce qui lui laisse toutefois du temps pour développer ses projets cinématographiques. «Je compte amplifier l’activité vidéo, ma passion première. J’ai déjà quelques scripts, et je suis aussi en train de tourner une vidéo pour l’EFID (NDLR : Excellence Foundation for Integration and Development, une ONG qui aide les immigrés à s’intégrer au Luxembourg).»
Une manière de contribuer à se rendre utile pour le Luxembourg qui lui a tant donné. «Ici, on me laisse avoir ma foi, mes croyances, personne n’y prête attention. Mon rêve serait de pouvoir réaliser un film et je dirais alors que c’est grâce au Luxembourg, qui m’a donné une place.»
Son autre rêve serait peut-être aussi de pouvoir retourner dans sa patrie, où sont restés tous ses proches : «C’est dur de quitter sa terre natale, de savoir qu’on ne peut pas y retourner. Qu’on ne pourra plus revoir les rues où on a grandi, l’école qu’on a fréquentée… Et puis, on a encore la famille là-bas. J’espère vraiment qu’un jour je pourrai y retourner, l’Iran reste mon pays, mais pour cela, il faudra que ce régime tombe… Mais heureusement, le temps fait son œuvre, et jour après jour, on s’accoutume à notre nouvelle patrie!»
Tatiana Salvan