Avec l’ouverture du 11e LuxFilmFest qui s’est faite en salle et devant un public, le Luxembourg montre l’exemple. Mais le format hybride continue de questionner…
Le temps qui a séparé l’inauguration de la dixième édition du LuxFilmFest et celle, jeudi soir, de la onzième, a paru compter double. Triple, même, quand la capacité de la salle de cinéma s’est vue réduite d’autant, sinon plus. Les visages bien connus sont apparus à moitié dissimulés sous le masque de rigueur et les phrases semblaient toutes faites. Quand on a déjà tout dit, les mots n’ont de valeur que pour l’ornement… Ainsi, la présidente du jury, Sandrine Bonnaire – présente là où on a l’habitude de la voir : sur grand écran, par le biais d’un message vidéo – a rappelé que malgré «ces conditions particulières, le cinéma continue d’exister», tandis que la ministre de la Culture, Sam Tanson, a introduit son discours par un «Quelle drôle d’année…» qui a décroché quelques soupirs amusés et beaucoup de rires jaunes.
Tous, devant le pupitre ou dans les fauteuils d’une salle complète mais clairsemée (car limitée à cent personnes), étaient évidemment soulagés que le festival s’ouvre «en présentiel», selon le douloureux jargon pandémique, heureusement mis au ban de la soirée. Une «certaine forme de normalité» a été retrouvée, a dit le nouveau président du festival, Georges Santer, après une dixième édition «touchée en plein vol» et la perspective que si le virus allait avoir un impact sur l’industrie cinématographique pour les deux prochaines années au moins, il allait aussi faire planer l’incertitude sur ce onzième évènement. Mais «dans une Europe si lourdement éprouvée, nous sommes l’équivalent du village gaulois d’une bande dessinée bien connue», a poursuivi Georges Santer, fier d’imaginer que ce LuxFilmFest, s’il aboutit sans accroc (et il n’y a pas de raison), pourrait bien être pris pour exemple au-delà des frontières grand-ducales, plutôt que comme exception. D’ailleurs, le président, féru de bons mots et de citations, affirme que «la culture n’est pas une auberge, la culture est un chemin». Au Luxembourg de l’emprunter en éclaireur, donc, le pays des Lumières n’étant, lui, pas près de rallumer les lampes des projecteurs.
La salle
au premier plan
C’est parce que le format hybride pour un festival de cinéma est aujourd’hui un luxe que ce LuxFilmFest fait date, avec pour objectif de réitérer (en mieux?) le succès de Sundance en janvier, en prouvant à Berlin, qui s’est terminé hier avec la victoire de la coproduction luxembourgeoise Bad Luck Banging and Loony Porn (lire en page 26), que la seconde partie de son évènement, ou le retour en salle du festival, prévu en juin, sera possible sans point d’interrogation.
Il faut saluer bien bas le travail des organisateurs, qui ont su sortir une programmation et un calendrier splendides, alors même que le retour de la culture n’a pas réussi à dissiper le brouillard amené par la situation sanitaire. Avec comme point d’honneur la salle enfin remise au premier plan, avec des séances uniques visibles seulement dans la pénombre d’un cinéma, mais aussi et surtout la salle comme lieu de découverte. Malgré une programmation disponible dans sa majorité sur la plateforme en ligne du festival, la volonté était de donner la primauté à la séance «classique». Toutes les œuvres visibles en ligne seront donc accessibles à partir du lendemain de la première projection au cinéma, et ceux qui voudront vivre pleinement le LuxFilmFest de chez eux devront ainsi se référer à la grille de projection concoctée spécialement pour le support digital.
Une édition
«écrite par amour»
Mais au-delà des questions de santé ou de rendre visibles des films à plus de monde qu’à la centaine autorisée en salle, le format hybride soulève d’autres interrogations : combien de spectateurs, avant de se décider à regarder un film en ligne, chercheront à obtenir un billet pour la séance en salle? Le confort risque de l’emporter sur l’excitation du moment, d’autant plus que les quelques heures qui séparent, pour un même film, la séance de sa mise en ligne, n’affectent ni la curiosité ni le plaisir de la découverte. Le confort est devenu une habitude, forcée ou non, et le rythme d’un festival est autrement plus effréné que celui des sorties hebdomadaires, encore trop affectées par la pandémie; mais il est plus que jamais le moment pour que la salle assoie sa souveraineté, déjà mise à mal par l’année qui s’est écoulée. Alors derrière tout ça, il existe une dernière question que personne n’ose affronter : y aura-t-il un duel salle-«online»? Et si oui, qui en sortira vainqueur?
Voilà donc le «défi» véritable, d’après le mot utilisé par Sam Tanson, de ce onzième LuxFilmFest. Tant que ces considérations n’en sont encore qu’au stade du questionnement, l’affect peut bien prendre le dessus, et le spectateur s’abandonner au plaisir immense de découvrir de nouveaux – oui! – films. Avec le bonheur incroyable de voir un festival qui, malgré les obstacles, gagne toujours plus en qualité et se réserve plus que jamais le droit et le délice de projeter du cinéma inventif, émotif, méditatif, impertinent et/ou purement joyeux. «Cette édition ne s’est pas écrite par défaut mais par amour», a pris soin de joliment formuler Georges Santer. Un amour du cinéma – et, plus généralement, de la culture et de l’art dans toutes leurs pratiques – qui est la force motrice d’un tel évènement en temps normal. Aujourd’hui, l’amour en est la plus grande raison d’exister.
Valentin Maninglia