Deux journalistes bélarusses ont été condamnées jeudi à deux ans de prison ferme, accusées d’avoir fomenté des troubles en couvrant le mouvement de contestation de 2020, nouvelle illustration de la répression orchestrée par le régime.
Soutenu par la Russie, le président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, s’est efforcé de juguler ce mouvement historique, malgré les condamnations et les sanctions occidentales.
Daria Tchoultsova et Katerina Bakhvalova, de la chaîne d’opposition Belsat basée en Pologne, avaient été arrêtées le 15 novembre dans un appartement d’où elles venaient de filmer la violente dispersion d’une manifestation d’hommage à un militant d’opposition, Roman Bondarenko, mort quelques jours plus tôt, après une arrestation musclée.
Leur lourde condamnation est la première pour des journalistes depuis le début de la contestation de l’été 2020. Le pouvoir « n’a pas réussi à les briser ou à les intimider. Elles sont libres, malgré tout », a réagi la cheffe de l’opposition en exil, Svetlana Tikhanovskaïa.
Verdict de « la terreur criminelle »
Les deux femmes de 23 et 27 ans s’estiment victimes de la répression contre le vaste mouvement de contestation qui a éclaté après la réélection du président bélarusse en août 2020, un scrutin émaillé d’accusations de fraudes massives.
Lors du procès, enfermées dans la cage des prévenus, souriantes et défiant l’accusation, elles brandissaient leurs doigts en V, symbole de victoire et signe de ralliement des détracteurs de Loukachenko, à l’autoritarisme revendiqué.
Le Parquet accusait les deux journalistes d’avoir incité la population à manifester illégalement en rediffusant en direct la manifestation à la mémoire de l’opposant tué, ce qui a « porté gravement atteinte à l’ordre public ». « J’ai montré ces événements à l’antenne, et on me jette en prison pour ça, en fabriquant des accusations », avait déclaré mercredi soir Katerina Bakhvalova, dans sa dernière prise de parole devant la cour.
Aleksy Dzikawicki, directeur adjoint de Belsat a dénoncé sur Twitter un verdict relevant de la « terreur criminelle » et destiné à « intimider voire même à bâillonner les médias indépendants ».
De son côté, le procureur général a lui annoncé jeudi qu’une enquête concernant le décès en novembre de Roman Bondarenko avait blanchi la police.
Perquisitions massives
Le président Loukachenko a fait face à des mois de protestations sans précédent. Les autorités ont réprimé le mouvement, le réduisant largement au silence à force d’arrestations, marquées aussi par des violences policières et des témoignages concordants de recours à la torture.
Toutes les figures de l’opposition sont emprisonnées ou en exil et des milliers de manifestants ont été arrêtés.
En outre, onze journalistes se trouvent actuellement en prison, poursuivis dans le cadre de diverses enquêtes en lien avec la contestation, selon l’association de journalistes bélarusses.
Vendredi commencera le procès de la journaliste de Tut.by Katerina Borisévitch et du docteur Artiom Sorokine.
Détenus depuis trois mois, ils sont accusés d’avoir « divulgué des secrets médicaux » en publiant un document montrant que Roman Bondarenko était sobre lors de sa mort, contrairement à ce qu’affirment les autorités. Ils risquent trois ans de prison.
En outre, la justice juge depuis mercredi pour corruption l’opposant Viktor Babaryko, arrêté en juin, alors qu’il émergeait comme principal rival de Loukachenko en vue de la présidentielle d’août.
Une série de 90 perquisitions ont encore visé cette semaine une vingtaine de journalistes, de militants associatifs et de responsables syndicaux, dans le cadre d’une enquête sur le financement et l’organisation des manifestations de 2020. Selon les autorités, les personnes visées ont « non seulement fourni un soutien » aux manifestations mais ont aussi « agi en tant qu’agents étrangers, organisant et finançant des manifestations sous le couvert d’activités de défense des droits de l’Homme ».
Cette répression, en cours depuis des mois, a été dénoncée par les pays occidentaux, l’UE et les États-Unis adoptant des sanctions contre des proches du président bélarusse. Fort du soutien du grand frère russe, Loukachenko est resté sourd à ces pressions et s’est félicité d’avoir vaincu la contestation, la qualifiant de « Biltzkrieg » occidental.
LQ/AFP