Chaque semaine, cet été, le Quotidien présente des producteurs «made in Luxembourg». Aujourd’hui, un hommage au plus important d’entre eux : la nature! Elle regorge de plantes sauvages comestibles, que le chef étoilé René Mathieu réconcilie avec nos assiettes et notre mémoire.
Là où on ne voit qu’une bordure de «mauvaises herbes», lui repère des saveurs chocolatées, acidulées, amères ou fruitées, mais aussi des médicaments… ou de dangereux poisons! Visite guidée de ce supermarché à ciel ouvert.
Ça, ce sont des plaque-madame», montre René Mathieu. Des quoi? «Des plaque-madame! On les appelle comme ça car ces petites billes s’accrochent aux vêtements.» Mais surtout, «il y a des graines à l’intérieur. Et en septembre, on peut sécher ces graines et les torréfier pour faire du café. Bon, peut-être pas le même goût, mais ça a les mêmes propriétés!» Des trucs comme ça, René Mathieu en a à la pelle.
Car grandir au milieu des herbes folles, des potagers et des bons petits plats de grand-mère laisse des traces. Chez René Mathieu, cet apprentissage de la cuisine «nature» s’est transformé en passion, en activisme même : chef étoilé du restaurant La Distillerie à Bourglinster, il milite désormais pour un retour aux sources. «On me dit parfois : « Ta cuisine, avec tes plantes, tes trucs bizarres, c’est trop complexe… » Non, au contraire, je retourne à la base : les produits de la nature, le sauvage. Il y a trop de restaurateurs qui font les mêmes plats. Non, un restaurateur doit aussi aider le consommateur, le sensibiliser. Au Luxembourg, on ne mange pas assez de légumes par exemple.»
Son menu du jour parle pour lui : «mousseline de carottes acidulées aux baies de sureau immatures»; ou encore «Saint-Pierre rôti au laurier, tempura de fleurs relevées d’anchois».
L’if, un poison mortel
Mais pour faire ces poèmes végétaux, il faut une matière première. René nous propose donc de le suivre dans cette forêt où il se rend en début de matinée, qui jouxte Bourglinster et son imposant château du XIIe siècle. À peine avons-nous quitté le macadam qu’il s’arrête et cueille une plante : «C’est de l’aspérule. À cette époque, elle a un goût de fève tonka, on peut la marier avec du chocolat. Goûte!» En effet! C’est d’autant plus surprenant qu’au printemps, l’aspérule a plutôt un goût acidulé, bien connu de nos amis belges qui en font une boisson typique, le maitrank. Mais gare : à forte dose, l’aspérule est toxique.
«Oui, la nourriture sauvage, ça ne s’improvise pas. Certains conifères sont comestibles, par exemple, on fait des quiches avec de l’épicéa. D’autres non. De l’if par exemple, tu ne peux en manger qu’une fois, car ce sera une fois de trop, prévient-il. Je ne cueille que les plantes que je connais, je ne prends aucun risque.»
Autre exemple, la berce. La berce commune est comestible. D’ailleurs, il faut goûter ses minuscules graines : une saveur d’orange amère explose en bouche. Délicieux! Mais attention à ne pas la confondre avec la berce du Caucase, toxique et provoquant de graves brûlures.
Et il existe d’autres risques plus légers : «Les orties, on peut les cueillir sans se faire piquer, il y a un truc», nous montre-t-il, en pinçant la tige sous les feuilles. «Les orties, c’est la plante idéale, un miracle. Elle est pleine de vitamines, de minéraux : 100 grammes d’orties équivalent à 200 grammes de viande en termes de protéines. Maintenant, elle est en fleur, donc elle est moins bonne, mais on peut faire des risottos, des pestos avec. Ma grand-mère faisait des soupes d’ortie…»
Juste à côté, on croise l’armoise. Une plante crainte par les allergiques pour son pollen. «Mais on peut faire des tempuras avec, c’est super bon, ou alors, quand elle est fumée et cuite avec du porc, c’est excellent.» Il n’arrête pas : «Tiens, de l’achillée! C’est la première fois que j’en vois ici. Elle est en fleur. On peut faire des infusions avec. Elle apporte une amertume. En fleur, elle sert de condiment, sinon on peut faire des pickles avec.»
Chaque plante qui l’intéresse finit dans un petit bac qu’il trimballe avec lui. Puis les plantes sont triées, lavées, et sublimées dans ses plats.
«J’adore les herbes sauvages. D’ailleurs, on n’a pas besoin d’épices exotiques. On a les nôtres ici, mais on ne les connaît plus. Car la benoîte urbaine peut remplacer le clou de girofle. Le polypode, ça remplace la réglisse. Les baies de genévrier, c’est d’ici, ça peut remplacer d’autres épices…»
«Faites attention aux pesticides»
Nous quittons la forêt pour nous arrêter au bord d’un champ de blé. La nature semble soudain bien plus fade et uniforme. Mais René Mathieu continue de fureter. C’est alors que l’on croise une habitante promenant son chien. Curieuse de notre petit manège, elle nous prévient : «Il faut faire attention ici quand même, avec les pesticides.» René Mathieu lui donne raison : «Oui, ce champ-là, par exemple, je n’y cueillerai pas, car si on ne voit pas de fleurs au bord, c’est que les pesticides ne sont pas loin.»
Heureusement, à l’orée d’un champ voisin, la nature a repris ses droits. Il s’accroupit devant du géranium sauvage : «Je l’utilise dans les desserts, ça donne un goût floral… Tiens, là, de la stellaire. Goûte, ça a un goût de petits pois, c’est super en salade!» Midi est encore loin, mais le repas est déjà bien entamé…
Romain Van Dyck
Bonjour,
Je suis désolée de constater qu’une plante comme l’aspérule odorante soit qualifiée de toxique, en vérité cette plante peut le devenir lorsqu’on souhaite la conserver et que le séchage est mal fait ; s’il y a trop d’humidité, un champignon minuscule peut se développer, l’aspérule devient noire et c’est cette combinaison qui est très toxique !
En ce qui concerne l’If -Taxus baccata de la famille des taxacées- en automne les arilles (baies rose-fuschia) sont délicieuses mais il ne faut en aucun cas manger et surtout pas croquer le noyau qui se trouve au centre de l’arille car lui est mortel. Anciennement on faisait une confiture d’arilles en ôtant au préalable le noyau avec une plume d’oie. D’autre part l’if est utilisé pour soigner certains cancers du sein, ce médicament se nomme taxoterre… Dans la nature TOUT a sa raison d’être, pas uniquement pour les humains, arrêtons de nous prendre pour le nombril d’un monde que nous nous appliquons à détruire chaque jour !