Alors qu’en France, les musées sont toujours fermés, il y a une semaine, le Centre Pompidou-Metz a dévoilé en catimini sa nouvelle exposition. Comme pour rappeler au public son existence et se tenir prêt, au cas où…
La scène est toujours la même depuis maintenant des mois : alors que le centre commercial Muse continue de voir défiler, en belles grappes, les consommateurs et amateurs de lèche-vitrine, juste en face, le Centre Pompidou-Metz (CPM) ronge son frein. «Et ici, il y aurait, hélas, trois fois moins de queue!», soulignait Patrick Thil, lucide adjoint au maire de Metz. C’est directement auprès de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qu’il a d’ailleurs relayé son amertume, réclamant auprès des autorités françaises plus de «souplesse» face à une «centralisation excessive» des décisions.
«Si ça peut servir à quelque chose, ça serait bien !», lâchait-il le 28 janvier en préambule d’une nouvelle exposition «gonflée», selon ses termes, proposée par le CPM. Finalement, il n’aura été entendu qu’à moitié : depuis le 30 janvier, en France, les grands magasins (plus de 20 000 mètres carrés) ont tiré le rideau métallique mais parallèlement, les musées de l’Hexagone, eux, restent toujours fermés. Par ruissellement, «Aerodream» attend donc toujours son public, une semaine après sa finalisation et sa présentation, discrète, à de rares privilégiés (presse, politique, partenaire…).
Une situation qui dure maintenant depuis le 30 octobre, et qui, selon des bruits de couloir qui «traînent», confie-t-on sur place, ne devrait pas s’arranger avant le mois d’avril prochain. «Oui, ça commence à faire long», lâche encore un des employés dans un souffle. À défaut d’«espérées mesures d’assouplissement», qui pourraient émaner de la préfecture, le centre d’art fait finalement comme si de rien n’était, se projetant tant qu’il se peut en croisant un maximum de doigts : «Les perspectives, on se les donne !», explique Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz, malgré tout «très déçue» de n’avoir pas pu ouvrir son établissement début janvier.
Des expositions prolongées et décalées
Selon elle, le musée, comme la ville, continuent leur avancée dans le brouillard, coûte que coûte. Dans un même mouvement, à tâtons, pour éviter la sclérose aux ravages plus certains : «Au quotidien, on gère la programmation, poursuit-elle. Elle est faite, défaite, réajustée… Dans ce sens, je salue la véritable performance technique et mentale de toute l’équipe! Car, c’est important, rien n’a été annulé. Au pire, c’est reporté… quand c’est possible !»
Ainsi, pour l’instant, au gré des confinements et des protocoles sanitaires, le CPM a pu montrer, plus brièvement que prévu, la totalité de ses expositions : «Folklore», mais aussi celle sur Yves Klein, une autre de Susanna Fritscher (rangée dans les cartons le 14 septembre). Seul «chagrin» et seule «préoccupation» : celle concernant Marc Chagall, aux résonances internationales et surtout locales (NDLR : il a notamment réalisé plusieurs vitraux de la cathédrale de Metz).
Prévue de s’achever mi-mars, l’exposition, qui a connu un ersatz numérique vite appréhendé… et oublié, est finalement prolongée jusqu’en avril. Et au-delà ? «On arrivera peut-être à la proposer jusqu’en été, précise Chiara Parisi. Ça va être compliqué, mais on le souhaite de tout cœur.» Même idée pour «Aerodream», elle aussi décalée d’emblée jusqu’à la fin août. «Dès la phase de préparation, il y a quelques mois, on a pensé à la prolonger. Avec l’espoir, bien sûr, que le public puisse un jour venir. On reste optimistes !», confie encore la directrice du Centre Pompidou-Metz.
«Quinze ans d’acquisition»
Un souhait qui conduit le musée et ses représentants à se tenir prêts, au cas où, et donc à offrir, à une poignée d’invités, la démonstration que l’art est toujours vivant. Comme en novembre avec Chagall. Comme la semaine dernière avec «Aerodream». Selon Chiara Parisi, malgré la pandémie, il est même en meilleur santé qu’avant : «À mes yeux, les musées, centres d’art et institutions artistiques ont pris de l’importance. Pendant des années, elles ont été considérées comme élitistes. Aujourd’hui, avec tout ce que l’on traverse, on voit l’importance de leur existence, la nécessité de leurs offres, même pointues !»
En guise d’exemple, elle cite le Casino et le Mudam du voisin luxembourgeois qui eux, peuvent accueillir des visiteurs. Jalouse ? «Non, je suis surtout heureuse pour eux !, rigole-t-elle. C’est fantastique d’ouvrir même avec des jauges réduites, de se donner de l’air.» En parlant d’air, justement, il convient quand même d’évoquer la nouvelle exposition, portée par le musée national d’Art moderne de Paris (situé au cœur du Centre Pompidou) et présentée par deux de ses représentants, ici commissaires : Frédéric Migayrou et Valentina Moimas.
Dans un parcours circulaire «ouvert», qui fait la part belle aux croquis, aux maquettes, renforcé par une riche documentation sous glace, «Aerodream», comme son sous-titre l’indique, s’intéresse à l’architecture, au design et aux structures gonflables depuis les années 50, plus particulièrement sur la prolifique période 1965-1971. «Quinze ans d’acquisition», dit Frédéric Migayrou, qui permettent de découvrir comment l’air, bien qu’immatériel, est devenu un matériau de construction. Les premières innovations en matières plastiques, des ballons météorologiques aux dirigeables, laissent place à un vaste champ des «possibles». «Tout est permis, tout peut être imaginé!», martèle ainsi Valentina Moimas.
Espoir mi-février ?
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle l’industrie n’a justement pas manqué d’imagination (ponts, abris, leurres et même tanks gonflables!), en architecture, la réflexion s’ouvre alors sur d’inventifs modes d’habitation, permis par l’apparition de nouveaux matériaux. Un «vivre différemment», flexible et mobile, qui s’oppose aux habituels structures urbaines. Sous l’impulsion de certains architectes-ingénieurs (Frei Otto, Cedric Price, Richard Buckminster Fuller…), le mouvement prend de l’ampleur, l’utopie se matérialise, d’importantes manifestations le célèbre (les «documenta» de Kassel en 1968 et 1972, l’Exposition universelle d’Osaka en 1970).
D’interventions publiques poétiques et ludiques à des démonstrations plus militantes, notamment vis-à-vis de la question écologique, le gonflable est alors mis à toutes les sauces, avant qu’il ne s’installe au cœur des foyers, à travers tout un mobilier synthétique très «pop art», aux couleurs criardes, largement repris par la mode, le cinéma et la publicité. Face à la crise pétrolière de 1973 et l’avènement du postmodernisme, la pratique s’est dégonflée mais trouve, encore aujourd’hui, de vaillants défenseurs, comme Anish Kapoor, le plus renommé d’entre eux.
Loin d’être hermétique, grâce à des allers-retours fréquents entre la technologie et l’artistique, «Aerodream» s’appréhende avec légèreté. Gonflé à bloc, le Centre Pompidou-Metz espère, pour sa part, et d’ici la mi-février – date annoncée par le gouvernement français pour annoncer ses prochaines décisions d’ordre culturel – pouvoir partager ses envies aériennes avec le public. Il en a d’ailleurs tout autant besoin. Prendre la hauteur, se sentir léger, souffler et imaginer un horizon plus ensoleillé : le Messin Pilâtre de Rozier – l’un des deux premiers aéronautes de l’Histoire – l’a concrétisé au XVIIIe siècle. Près de 240 ans plus tard, on en est tous là.
Grégory Cimatti