Le meurtre du jeune de Bonnevoie commis la semaine dernière fait réagir les politiques. Les partis d’opposition de la Ville s’expriment.
«L’ensemble de l’opposition au conseil communal n’est pas sur le même bateau», estime la conseillère communale déi gréng Christa Brömmel. La formule s’avère parfaite pour qualifier les différents sons de cloche que font entendre les quatre partis d’opposition (déi gréng, LSAP, déi Lénk et ADR) lorsqu’il s’agit d’aborder le meurtre de Bonnevoie de la semaine passée et, de manière plus générale, quand on évoque la montée de la violence dans les quartiers Gare et Bonnevoie. Tandis que les verts, les socialistes et la Gauche tiennent plus ou moins la même ligne, l’ADR, de son côté, fait bande à part et soutient ouvertement la majorité DP-CSV sur le sujet. Des postures politiciennes ou de véritables divergences profondément ancrées dans l’ADN de ces partis ? Le lecteur en jugera en lisant les réponses de représentants des quatre partis d’opposition de la capitale. La bourgmestre de la capitale et ses échevins apprécieront certainement.
Déi Gréng : «Éviter de tomber dans le populisme»
Pour la conseillère communale écolo Christa Brömmel, il ne faut surtout pas se laisser aller dans l’écueil des amalgames «en mélangeant tout».
La conseillère communale écolo Christa Brömmel se dit «choquée» par le crime de Bonnevoie et soutient l’entourage de la victime. Elle insiste toutefois sur la nécessité d’analyser les différents types de criminalité séparément afin de trouver des solutions adaptées à chaque situation : «Il faut agir, mais il ne faut pas tout confondre, en mélangeant tout. Si je me base sur les toutes récentes statistiques de la police, certes les quartiers Gare et Bonnevoie ont les chiffres les plus élevés concernant la délinquance, mais on ne constate pas d’augmentation outre mesure de la violence. Plus la police interviendra et plus ces chiffres augmenteront. C’est aussi un inconvénient, car cette comparaison donne des arguments au populisme, et il faut absolument éviter cela!»
Concernant la récente polémique relative à l’engagement par le collège échevinal d’une société de gardiennage, la conseillère communale est catégorique : «Toutes les mesures prises par la commune se doivent de rester conformes au cadre légal. La police doit faire son travail et ne saurait être substituée par une société privée. Point.»
De manière plus générale, Christa Brömmel réfute les propos de la bourgmestre Lydie Polfer quand elle accuse déi gréng, entre autres, de mener une «politique non constructive» : «Nous avons toujours soutenu l’ensemble des mesures relatives au travail social dans le cadre desquelles la Ville débloque des moyens. Nous avons aussi salué le projet « À vos côtés“ et toujours demandé de prévoir une décentralisation des structures accueillant des personnes marginalisées, dont les toxico-dépendants et les SDF. Mais à ce niveau, la majorité communale ne nous a pas écoutés. Or la décentralisation de ces structures, aussi sur le territoire de la Ville, est primordiale, car elle va augmenter la capacité de la prise en charge de ces personnes et l’améliorer. Cela va aussi réduire la pression que les quartiers éprouvent à l’heure actuelle. Le travail social dans les quartiers est donc très important, notamment vis-à-vis des jeunes. Par rapport au meurtre de Bonnevoie, je ne pense pas que la victime était une personne issue d’une population marginalisée : il ne faut pas tout mélanger!»
Par ailleurs, l’élue écolo prône davantage de prévention, et cela, dès le premier âge au sein des structures qui dépendent de la Ville (crèches, maisons relais, maisons de jeunes…). De plus, Christa Brömmel est d’avis que l’aspect de l’aménagement de l’espace public est essentiel, car «il contribue à réduire certaines nuisances, notamment». En conclusion, l’élue écolo, qui se pose également la question de l’impact du Covid sur les jeunes, explique qu’«il ne faut pas tirer de fausses conclusions à la hâte» et qu’il faut «donner des repères aux jeunes».
LSAP : «Des problèmes mis sous le tapis»
Pour l’entrepreneur-restaurateur et président de la fraction socialiste Gabriel Boisante, les problèmes liés à l’insécurité sont occultés par la majorité.
L’entrepreneur-restaurateur et président de la fraction socialiste Gabriel Boisante vit à Bonnevoie depuis près de trois ans et il est le responsable d’une activité commerciale depuis plus de cinq ans dans le quartier Gare : Gabriel Boisante indique avoir ces deux quartiers «dans la peau».
Sa réaction personnelle, après le meurtre de Bonnevoie ? «Ce fut évidemment un choc. J’ai éprouvé énormément de peine et de compassion pour la famille de ce jeune homme dont la vie a été arrachée à celle de sa famille.» Ce drame a renvoyé l’élu à cette question : «Quel est l’état de ces quartiers et du vivre-ensemble dans ceux-ci ? J’ai davantage l’impression que les problèmes liés à la criminalité se déplacent, plutôt qu’ils n’augmentent en nombre. Ils se déplacent et se concentrent. Car les quartiers Gare et Bonnevoie sont en mutation. Le chantier du tram a ravagé le tissu commercial et donc aussi le tissu social de ces quartiers. Avec la situation sanitaire actuelle, après 18 h, les rues deviennent une espèce de no man’s land où il y a des gens qui vivent en marge de la société et qui en profitent. Il existe de gros problèmes de drogue et d’incivilités et donc un sentiment d’insécurité dans des quartiers qui n’ont plus aucune vie une fois la nuit tombée. En clair, on se retrouve avec des nœuds d’étranglement et de densité peut-être plus forts qu’avant. Mais j’ai surtout l’impression que cela fait très longtemps que l’on parle de ces quartiers et qu’on ne s’en occupe pas. On ne peut pas glisser ces problèmes sous un tapis et, du jour au lendemain, se dire qu’il y a un problème.»
Concernant l’engagement d’une société de gardiennage par le collège échevinal, Gabriel Boisante se montre exaspéré : «La Ville n’appartient pas au collège échevinal, mais au conseil communal dans son intégralité. Une décision aussi drastique et lourde de sens aurait dû être discutée de manière démocratique et, donc, pas unilatéralement. Il faut être unis et ne pas faire de la politique politicienne pour surfer sur cette tragique actualité de Bonnevoie… Il faudrait qu’on puisse parler tous ensemble, avant de parler du vivre-ensemble.» L’élu poursuit : «Certes, la solution miracle, et unique, n’existe pas. Mais il faudrait déjà réfléchir à renforcer l’éducation publique, en collaboration avec le ministère. De plus, il est nécessaire de renforcer les structures de dialogue, sans oublier les acteurs sociaux du terrain qui sont très importants.»
Le socialiste a son idée sur le rôle de la police : «J’estime qu’il faut renforcer la présence policière et que la police doit agir d’une manière différente par rapport à une intervention à Steinfort ou ailleurs. Parce que les problèmes qui se concentrent à la Gare et à Bonnevoie ont leurs propres spécificités. La collaboration entre la Ville et la police est essentielle.»
Enfin, Gabriel Boisante ne songe pas, lui, à une décentralisation relative à la salle de shoot Abrigado : «Si c’est pour déplacer le problème, alors on le met sous le tapis !»
ADR : «Un jeune de 16 ans qui sait tuer sait aussi faire de la prison»
Le député et conseiller communal Roy Reding estime que la situation «va de pire en pire». Il revendique une réforme du droit pénal des mineurs.
Roy Reding n’est pas du genre à tourner autour du pot et justifie sa position en faisant preuve d’un plaidoyer digne de l’avocat qu’il a été, car il a, en effet, décidé de raccrocher sa robe pour «se concentrer sur la politique».
La première réaction du député et conseiller communal ADR après le meurtre de Bonnevoie? «Je me suis dit que ça allait de pire en pire. Il ne faut surtout pas voir cet acte comme étant un cas isolé, parce qu’il y a aussi eu, au cours des derniers mois, de multiples agressions provoquées par de jeunes voyous, lesquelles n’ont pas été relatées par la presse. Et je peux exposer un exemple bien précis : il y a quelques semaines, le fils de l’un de mes amis, mineur d’âge, a été agressé à 18 h près de la Gëlle Fra par deux voyous qui l’ont menacé avec un couteau. Ces derniers l’ont forcé à effectuer un prélèvement au Bancomat pour leur remettre de l’argent… Quand j’étais adolescent, un acte pareil aurait fait la une des médias! Ce n’est aucunement un reproche fait à la presse, mais certainement à la police, qui ne rend pas suffisamment compte des multiples graves agressions qui se produisent régulièrement. Et j’ai récemment eu écho de multiples faits similaires : je trouve scandaleux que la police n’informe pas la presse de tels graves actes criminels. Je me pose la question du rôle de la publicité de ces actes, mais aussi celle de la ligne de la justice et, en ce sens, des poursuites entamées. Car ce type de méfaits doit constituer une priorité !»
Le député et conseiller communal de la capitale ne s’arrête pas en si bon chemin : «On veut nous faire croire qu’il ne se passe rien, alors que des choses gravissimes se produisent…» Concernant le meurtre de Bonnevoie, l’élu ADR explique ne pas pouvoir se prononcer, car «ne connaissant pas l’arrière-fond» de ce crime. Cela étant, Roy Reding a une idée bien précise sur la criminalité en Ville : «Il y a clairement un grave problème de criminalité dans les quartiers Gare et Bonnevoie, mais aussi dans la ville en général. Dans ce cadre, je salue particulièrement la majorité communale DP-CSV qui a mis en place cette surveillance privée via une société de gardiennage. Mme Polfer a fait exactement ce qu’il fallait faire! Cette option n’est peut-être pas la panacée, car les compétences doivent être partagées, mais c’est un premier pas qui est très utile. De fait, sur cette question, l’ADR n’est pas du tout sur la même ligne que les autres partis d’opposition siégeant au conseil communal. Au contraire, nous soutenons expressément la majorité.»
Et en guise de pistes de solutions face à la délinquance, Roy Reding évoque différentes mesures : «Ça se joue à beaucoup de niveaux : je citerais l’éducation à la maison et à l’école, les valeurs qui ne sont plus enseignées. Et ça se joue également par rapport aux services sociaux de la Ville qui font un travail remarquable.» L’ancien avocat y ajoute la responsabilité pénale des mineurs : «Un meurtre reste un crime : il faut donc réformer le droit pénal des jeunes au niveau législatif. Un jeune de 16 ans qui sait tuer sait aussi faire de la prison.»
Déi Lénk : «Faire aussi un débat sur la violence envers les femmes»
La conseillère communale Ana Correia da Veiga, native de Bonnevoie, est d’avis que le meurtre perpétré dans le quartier ne doit pas faire oublier la violence faite aux femmes.
Ana Correia da Veiga est revenue vivre à Bonnevoie après y avoir passé la plus grande partie de son enfance, durant laquelle elle a même été enfant de chœur dans l’église du quartier : «Ce qui s’est passé la semaine passée m’a malheureusement replongée dans le passé, car je fais en effet partie du comité Spencer (du nom de ce jeune, Spencer dos Santos, tragiquement tué devant une discothèque de la rue du Fort-Neipperg en 2002). Ce meurtre de Bonnevoie a anéanti trois vies, finalement, si on pense aussi aux auteurs, sans parler de leurs entourages respectifs… Personne n’en sort gagnant et cela est vraiment triste!»
La conseillère communale déi Lénk est d’avis que la violence dans les quartiers Gare et Bonnevoie est en augmentation, «parce qu’il y a un phénomène de concentration problématique : toxicomanes, SDF, personnes alcoolisées… et car toutes les structures dont la vocation est d’aider ces personnes se concentrent également dans cette zone». De ce fait, la conseillère communale estime qu’il faut les décentraliser. «L’Abrigado (salle de shoot), par exemple, est surchargée et beaucoup de consommateurs ne viennent pas seulement du coin, mais aussi de la Grande Région. Il y a une situation de cumuls et les problèmes de la Gare s’invitent à Bonnevoie.»
À propos de la violence juvénile, la conseillère communale critique le fait qu’«on en parle seulement quand quelque chose se passe. Il faut un travail de prévention pour éviter ce genre de situation.» Par ailleurs, Ana Correia évoque «l’image toxique du mâle, car la plupart du temps, les auteurs d’actes de violence sont des hommes. Il ne faut pas se voiler la face! Oui certes, il y a la violence entre jeunes, mais n’oublions surtout pas la violence des hommes envers les femmes. Il faut lancer un débat sur cette question! En effet, une femme est bien plus en insécurité qu’un homme lorsqu’elle marche dans la rue, par exemple.»
Pour revenir au meurtre de Bonnevoie, Ana Correia tient à souligner que beaucoup de ses résidents «aiment leur quartier», même si d’autres le décrient en raison du sentiment d’insécurité qu’ils y éprouvent. «Et sur ce dernier point, il n’y a pas de solution magique… Il y a certainement un travail pédagogique et préventif à faire avec les jeunes, mais aussi avec les adultes. De plus, je considère que le problème est d’ordre national. Cela étant, Mme Polfer, qui est aussi députée, pourrait thématiser tous ces problèmes à la Chambre. Le collège échevinal et la police sont débordés par la situation. Il faut des actions concrètes, écouter des experts, accentuer le dialogue avec les habitants de Bonnevoie. Il s’agit aussi d’une question qui a trait à l’urbanisme. Car si on laisse l’espace public aux toxicomanes, SDF et autres personnes marginales, les citoyens le leur abandonnent, cet espace public, de manière indirecte.»
Claude Damiani