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« Le directeur d’école est un chef d’entreprise »


«Il reste à savoir comment il a été possible que la privatisation de l’enseignement ait pu être envisagée», s’est interrogée la pétitionnaire Ana Pinto face au ministre Claude Meisch. (photo Chambre des députés)

Mis sous pression par une pétition, le ministre Claude Meisch réfute toute intention de privatiser l’école. Toutefois, les directeurs auraient besoin de compétences de gestion pour accomplir leur mission.

La polémique a enflé en novembre dernier. Sans faire trop de bruit, le ministre de l’Éducation nationale, Claude Meisch, avait introduit un projet de loi devant ouvrir les postes de directeur de quatre lycées spécialisés (LTPS, LTPES, LTA et EHTL) à des candidats issus du secteur privé. « Ma motivation de base était de trouver une solution face au très faible nombre de candidatures d’enseignants pour reprendre la direction d’un lycée », est-il venu se défendre, mardi, devant la Chambre des députés. Face à la levée de boucliers, Claude Meisch avait décidé de mettre le projet de loi en veille avant de signer un accord, mardi, avec la CGFP fermant toute porte au secteur privé pour accéder à la tête d’un lycée de l’enseignement public.

La conclusion de cet accord est venue enlever son explosivité au débat public forcé par les initiateurs de la pétition «Stop à la privatisation de l’école publique», qui avait récolté quelque 4 900 signatures.

Des exemples pervers de privatisation

« Nous sommes fiers que notre pétition ait contribué à ce revirement. Or il reste à savoir comment il a été possible que la privatisation de l’enseignement ait pu être envisagée », souligne Ana Pinto au nom des pétitionnaires. Elle était venue dénoncer, à l’instar des syndicats d’enseignants, « la privatisation sournoise de l’enseignement public ».

Malgré les craintes exprimées au fil des derniers mois, l’école luxembourgeoise ne connaît pas encore les dérives qui sont constatées à l’étranger. « Au Kenya, les élèves sont dotés d’un bracelet électronique. Le scan de ce bracelet empêche les élèves de pénétrer dans l’école si les frais scolaires ne sont pas payés », évoque Nicolas Sizaret, enseignant français ayant grandi au Grand-Duché. Auteur du livre OPA sur le Mammouth , qui traite de la privatisation du système éducatif français, il est venu soutenir, hier, les pétitionnaires. Il fustige aussi le modèle de la publicité et donc du lobbying pratiqué par des multinationales dans les écoles américaines. « On ne peut toutefois pas affirmer que tout ce qui est public est bon et que tout ce qui émane du privé est mauvais. Il est bon d’avoir des échanges entre les deux », admet Nicolas Sizaret.

En fin de compte, « le directeur d’une école est un chef d’entreprise » devant gérer 150 enseignants et un millier d’élèves. Un constat qui ne doit toutefois pas pousser le gouvernement à permettre la privatisation de l’enseignement, insistent à tour de rôle les pétitionnaires et les députés. « Il faut faire la part des choses. Une question est de savoir comment sortir l’école de son microcosme. D’un autre côté, il faut établir les compétences dont a besoin un directeur », résume Djuna Bernard (déi gréng). Même David Wagner (déi Lénk), virulent opposant à toute tentative de privatisation, doit admettre que le projet de loi initial du ministre « n’équivaut pas à une privatisation de l’école ». En même temps, « tout problème ne peut être résolu en ayant recours à un apport extérieur ». Dans cet ordre d’idées, Marc Hansen (déi gréng) propose de mettre en place un conseil de direction réunissant différentes compétences.

Renforcement de l’école publique

En fin de débat, Claude Meisch a salué le fait que l’importance de l’école publique n’est pas remise en question. « Il n’existe pas d’exemple de notre politique qui va à l’encontre de ce principe », martèle le ministre. Sur les quatre dernières années, 3 031 nouveaux postes auraient ainsi été créés par son ministère. Les «services de support», dont le Script (Service de coordination de la recherche et de l’innovation pédagogiques et technologiques), auraient vu leurs effectifs augmenter de 150 % depuis 2015. « En 2015, le Script a à peine édité cinq manuels scolaires. L’année dernière, 39 manuels répondant aux besoins spécifiques de nos écoles ont été publiés », relate Claude Meisch pour illustrer les efforts pour renforcer le système éducatif public.

De plus, l’État serait sur le point de reprendre l’École privée Grandjean. À l’avenir, le gouvernement compte aussi introduire un dispositif pour juger de l’opportunité de l’ouverture de nouvelles écoles privées au Luxembourg.
La prochaine étape décisive serait de trouver des solutions pour encourager les enseignants et hauts fonctionnaires à postuler à des postes de direction. La question de la formation continue sera elle aussi élucidée à cette occasion.

David Marques