L’armée birmane semblait tenir fermement les commandes du pays mardi au lendemain d’un coup d’État sans effusion de sang au cours duquel elle a arrêté la dirigeante Aung San Suu Kyi, et les multiples condamnations internationales restaient sans réponse des généraux.
Contestant les élections législatives de novembre, les militaires ont proclamé lundi l’état d’urgence pour un an, mettant brusquement fin à une parenthèse démocratique de dix ans. Ils ont arrêté Aung San Suu Kyi, 75 ans, et d’autres dirigeants de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), juste avant la première session du parlement. La LND a appelé à la « libération » immédiate de la prix Nobel de la paix 1991 et des autres responsables du mouvement, dénonçant une « tache dans l’histoire de l’État et de Tatmadaw », l’armée birmane.
Ce putsch a été condamné par nombre d’États, Washington menaçant d’imposer des sanctions, et une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU aura lieu ce mardi.
Vingt-quatre heures après, les langues avaient du mal à se délier par peur de représailles dans un pays qui a vécu, depuis son indépendance en 1948, sous le joug de la dictature militaires pendant près de 50 ans. « Les gens ont peur de critiquer ouvertement, même si nous n’aimons pas ce qu’il se passe », relève un petit commerçant interrogé. Aung San Suu Kyi « est entre les mains des militaires, nous ne pouvons pas faire grand-chose », souligne un chauffeur de taxi.
Images de Rangoun au lendemain du coup d’État en Birmanie #AFP #AFPTV pic.twitter.com/nma51tvyxZ
— Agence France-Presse (@afpfr) February 2, 2021
Aung San Suu Kyi assignée à domicile ?
Aucun signe de présence militaire significative n’était visible à Rangoun, la capitale économique, preuve de la confiance des militaires dans leur emprise sur le pays, d’après des observateurs. Les connexions téléphoniques et l’accès à internet, très perturbés la veille, fonctionnaient à nouveau, les banques étaient rouvertes, mais l’aéroport international de Rangoun restait fermé.
Les marchés et les rues, généralement animés malgré la pandémie de coronavirus, étaient plus calmes qu’à l’ordinaire, même si quelques habitants se rendaient au parc pour leurs exercices matinaux.
L’armée n’a divulgué aucune information sur le lieu de détention d’Aung San Suu Kyi, du président Win Myint et des autres responsables de la LND interpellés. « On nous a dit qu’elle était assignée à résidence à son domicile de Naypyidaw », la capitale, a déclaré une députée de son parti, sous couvert d’anonymat. « Mais nous sommes inquiets, nous souhaiterions des photos », ajoute cette parlementaire, elle-même assignée à résidence dans le bâtiment où vivent les députés. « Nous avons des vivres, mais nous ne pouvons pas sortir de l’enceinte à cause des soldats », ajoute la députée.
« Ils peuvent tout se permettre »
Pour justifier leur coup d’État, les militaires ont assuré que les législatives de novembre, remportées massivement par la LND, étaient entachées d’ « énormes irrégularités », ce que la commission électorale dément.
Pressentant les événements, Aung San Suu Kyi avait préparé un message par anticipation, exhortant les Birmans à « ne pas accepter le coup d’État ».
L’armée a promis d’organiser de nouvelles élections « libres et équitables », une fois que l’état d’urgence d’un an serait levé, mais les Birmans se montraient pessimistes. « Ils ont osé mener un coup d’État en pleine pandémie. Ils peuvent tout se permettre », a estimé le chauffeur de taxi.
Les généraux restaient en tous cas silencieux face aux vives condamnations venues de l’étranger. Le président américain Joe Biden a appelé la communauté internationale à « parler d’une seule voix pour exiger de l’armée birmane qu’elle rende immédiatement le pouvoir », l’ONU et l’Union européenne condamnant unanimement le putsch. A l’inverse, Pékin a refusé de critiquer qui que ce soit, demandant simplement toutes les parties à « résoudre les différends ».
Paria à l’international
Le chef de l’armée Min Aung Hlaing, qui concentre désormais l’essentiel des pouvoirs, est un paria pour les capitales occidentales du fait de la répression sanglante menée par les militaires contre la minorité musulmane rohingya, un drame qui vaut à la Birmanie d’être accusé de « génocide » devant la Cour internationale de Justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU.
Aung San Suu Kyi, très critiquée à l’international pour sa passivité dans cette crise qui a conduit des centaines de milliers de Rohingyas à se réfugier au Bangladesh, reste toutefois adulée dans son pays.
Longtemps exilée, « Mother Suu » est rentrée en Birmanie en 1988, devenant la figure de l’opposition face à la dictature militaire. Elle a passé 15 ans en résidence surveillée avant d’être libérée par l’armée en 2010. En 2015, la LND avait obtenu une large majorité et l’ex-dissidente avait été contrainte à un délicat partage du pouvoir avec l’armée encore très puissante.
LQ/AFP