Les cow-boys envahissent les écrans luxembourgeois : la comédie The Comeback Trail et le drame sombre Let Him Go flirtent tous deux avec le western, épaulés par deux stars du genre, Tommy Lee Jones et Kevin Costner.
À ma gauche, avec 1 m 85 pour 80 kg, le double lauréat d’un Oscar pour Dances with Wolves (1990) et légende contemporaine du Far West, Kevin Costner, 66 ans. À ma droite, avec 1 m 83 pour 91 kg, le réalisateur de deux sublimes westerns sous-estimés, The Three Burials of Melquiades Estrada (2005) et The Homesman (2014), et acteur immense à l’inimitable accent du Texas, Tommy Lee Jones, 74 ans.
Les deux acteurs mythiques, de plus en plus rares, font leur retour aujourd’hui dans les cinémas du pays : le premier dans Let Him Go, drame familial signé Thomas Bezucha, le second dans la comédie The Comeback Trail, sorte de variation sur The Producers de Mel Brooks (1968), coécrite et réalisée par George Gallo. L’occasion pour ces vieux briscards d’Hollywood de revisiter, dans des registres différents, des rôles dans lesquels on les a tant aimés.
The Comeback Trail, qui replonge dans l’industrie des films d’exploitation tournés à la chaîne dans le Hollywood des années 1970, est le remake du film homonyme sorti en 1982, un objet de culte comme seule l’usine à rêves peut en créer : tourné en 1974 avec un budget minuscule par le cinéaste Harry Hurwitz et presque intégralement improvisé, le film original, distribué seulement huit ans plus tard dans une poignée de salles américaines, a gagné son statut de légende «underground» grâce au multimillionnaire Hugh Hefner, qui y fait une apparition et qui possédait l’une des rares copies du film, qu’il projetait régulièrement dans ses soirées du manoir Playboy. Dans sa version 2020, l’histoire et l’époque restent inchangées, avec son protagoniste détestable, Max Barber (Robert De Niro), producteur véreux à deux doigts de se retrouver sur la paille, qui décide, pour payer les dettes contractées auprès d’un gangster (Morgan Freeman), de monter un «succès assuré».
Les codes du western
Il s’agira d’un western qui offre son dernier grand rôle à Duke Montana (Tommy Lee Jones), ancienne star du genre en retraite forcée. Mais pendant le tournage, Max tente par tous les moyens de tuer sa vedette pour toucher l’assurance… À l’opposé complet de The Comeback Trail, Let Him Go voit Kevin Costner en shérif retraité, George Blackstone, qui file la parfaite vie de famille dans son ranch du Montana avec sa femme Margaret (Diane Lane), leur fils, leur belle-fille et leur petit-fils Jimmy. Après la mort soudaine de leur fils, sa veuve se remarie avec Donnie Weboy (Will Brittain), un homme violent, qui part sans laisser de traces en emmenant sa nouvelle famille avec lui. C’est le début d’un voyage sinistre pour les Blackstone, bien décidés à affronter la dangereuse fratrie Weboy et à leur reprendre Lorna et Jimmy.
Les deux films sont habités par l’imagerie largement codifiée du western. Tommy Lee Jones est un cow-boy à l’ancienne, quelque part entre Roy Rogers (pour les costumes bariolés) et John Wayne (le «Duke» en plus, le racisme en moins); le tournage du film au centre de The Comeback Trail voit l’acteur évoluer dans les plaines arides de Californie, avec ses campements d’Indiens, ses ponts en corde qui surplombent les canyons… C’est le Far West rêvé qui redonne vie – même littéralement, au détour d’une scène – à la vieille gloire hollywoodienne, qui tourne désormais des pubs pour une bouchée de pain. Costner, lui, réussit encore à surprendre : malgré sa carrure imposante et son statut d’icône de l’«americana», son George Blackstone est un homme taiseux, contenu et juste, dont la droiture va dans le sens des décisions de sa femme, à une époque (les années 1950) où l’on pouvait battre son épouse dans la rue sans qu’aucun passant ne lève le petit doigt.
Ni «poor» ni «lonesome»
C’est d’ailleurs quand il s’abandonne à la violence aveugle – une autre manière, ici, de rendre la justice – que le protagoniste de Let Him Go se retrouve mutilé. Avec la pire des punitions pour un vrai cow-boy : on lui coupe les doigts de la main droite, de façon à ce qu’il ne puisse plus tirer avec son revolver. Le cowboy de fiction joué par Tommy Lee Jones dans The Comeback Trail, lui, est immortel et fait preuve d’un héroïsme rare dans les westerns, car son Duke Montana est mis en scène en train de délivrer les Indiens de l’oppresseur blanc, au lieu d’être responsable du massacre. Kevin Costner appréciera.
Passons rapidement sur les quelques longueurs de Let Him Go et la liste de défauts, longue comme le bras, de The Comeback Trail (des gags en forme de version «cheap» des Looney Tunes, une histoire prévisible de bout en bout, Robert De Niro qui continue d’éculer son répertoire de grimaces…), pour rendre hommage à deux immenses acteurs, qui ont su insuffler, il y a une trentaine d’années, une nouvelle image du cow-boy. Tandis que Duke Montana apparaît comme le chant du cygne pour Tommy Lee Jones, avec ses intentions parfaitement humanistes, Kevin Costner continue d’explorer avec sensibilité les différentes facettes du «rancher» moderne, dans Let Him Go et dans l’excellente série Yellowstone, qui entame cette année sa quatrième saison. Des cow-boys ni «poor» ni «lonesome», mais, au contraire, tellement généreux…
Valentin Maniglia