D’abord le froid. Puis vient l’odeur, indéfinissable mais inquiétante. Dix-sept corps sont allongés dans ce container réfrigéré installé dans la cour d’une morgue de Johannesburg, un espace supplémentaire pour entreposer les morts du Covid-19, toujours plus nombreux.
Sur chaque sac plastique blanc hermétiquement noué autour des corps, des autocollants d’un jaune nucléaire : « Hautement contagieux ». Maintenu à une température intérieure de 0°C, chaque caisson peut contenir jusqu’à quarante cadavres. « Nous recevons 40% de corps en plus » depuis la pandémie, explique un responsable d’Avbob, l’une de plus importantes entreprises funéraires du pays.
L’Afrique du Sud est le pays le plus touché du continent, avec plus de 1,4 million de cas et près de 41 000 décès officiels.
Les morgues saturent
Pour faire face à l’afflux et aussi séparer les dépouilles Covid des autres, 22 caissons métalliques de douze mètres de long, habituellement utilisés pour le transport de marchandises, ont été répartis dans les 250 morgues de l’entreprise funéraire.
Dans son centre de préparation des corps à Pretoria, une employée emballe un mort, arrivé le matin-même d’un hôpital, d’une troisième couche de plastique. Il sera enterré d’ici quelques jours. « Les Covid ne peuvent rester ici que sept jours maximum », explique une responsable du centre, Naomi Van der Heever.
Sur la table inox, dans cette salle exiguë carrelée du sol au plafond, la forme des pieds se distingue à travers le plastique, les bras serrés le long du corps un peu rigide, le crâne. Pas le visage.
Ici les frigos sont presque pleins : 200 corps ce jour-là sont en attente d’être enterrés ou incinérés. Plus de la moitié sont des victimes du virus. « Ils doivent partir rapidement, c’est le règlement. Ça nous a aussi permis de ne pas encore atteindre notre capacité maximale », dit Naomi Van der Heever.
Cercueils produits à la chaîne
A un autre bout de la chaîne, les fabricants de cercueils sont eux aussi sous la pression d’une mortalité record depuis plusieurs mois. « On ne prend plus de commandes », répète au téléphone la secrétaire d’une usine de Johannesburg. Depuis 7h30 ce matin-là, 160 ouvriers font voler la sciure de bois. Partout, des machines énormes tournent huit heures par jour dans un bruit infernal. Environ 300 cercueils sortent chaque jour, l’usine turbine à plein régime. Impossible de faire du stock depuis des semaines.
« La demande pour des cercueils extra-larges a augmenté », observe Kasie Pillay, responsable des ventes de l’usine Enzo Wood. Une des premières découvertes sur le virus a été que les personnes en surpoids sont davantage à risque, tout comme celles souffrant de diabète ou de maladies chroniques.
Dans un coin, de toutes petites planches empilées. Elles ont cette forme caractéristique en losange. « Ce sont des cercueils pour enfants », explique Kasie Pillay.
Un cercueil peut être fabriqué en vingt minutes. Mais ce qui manque, ce n’est pas le temps, c’est la matière première. Depuis le début de la seconde vague, l’entreprise fait face à une pénurie de bois. « Et certains tentent de profiter de la période, des choses sont devenues plus chères, les poignées par exemple. »
Ici les cercueils sont vendus entre 30 et 350 euros. En Afrique du Sud, en particulier dans les communautés noires, explique le responsable de l’usine, l’argent investi dans un cercueil est à la mesure de l’hommage rendu au défunt. Mais de nos jours, « les croque-morts ne sont plus regardants sur la qualité, tant qu’ils arrivent à trouver quelque chose pour enterrer les morts du Covid ».
LQ/AFP