Fin 2019, le trentenaire ne s’était pas présenté à son procès. Condamné à 15 ans de réclusion ferme, il a fait opposition contre le jugement. Et il s’est donc présenté au tribunal pour contester sa peine.
Depuis la Roumanie, Mihaita C. (35 ans) avait fait le trajet pour s’expliquer à la barre, jeudi après-midi. Il n’est pas d’accord avec les 15 ans de réclusion ferme auxquels il a été condamné, le 24 octobre 2019, par défaut. Ce n’est pas lui qui aurait commis les actes de pénétration sexuelle, mais c’est lui qui aurait aidé Gheorgita M. (33 ans) à appréhender la jeune femme, à la pousser contre le siège de la camionnette et à l’immobiliser en la tenant par le bras, avait retenu la 13e chambre criminelle dans son jugement.
Il n’était pas là quand les juges se sont penchés la première fois sur cette affaire de viol avec séquestration dans une camionnette, route de Thionville à Bonnevoie. En formant opposition contre cette décision et en mettant cette fois-ci les pieds au tribunal, Mihaita C. espère échapper à la lourde peine de prison. Ses premiers mots face aux juges : «Je n’ai rien fait.»
Il faisait nuit. Il pleuvait à verse. Et une toxicomane attendait nue l’arrivée de la police. C’est ainsi qu’a débuté l’enquête policière le 30 mai 2015 à 3 h 30. Un témoin avait donné l’alerte en voyant la jeune femme de 33 ans courir dans la rue. Il lui avait passé sa veste en attendant l’arrivée des policiers.
La jeune femme leur raconte que peu avant 3 h une camionnette s’est arrêtée à sa hauteur, au début du pont Büchler, alors qu’elle marchait depuis la gare en direction de l’Abrigado. Le conducteur aurait proposé de l’emmener. Ses chaussures étant détrempées, elle avait accepté. Mais il ne se serait pas arrêté où elle voulait descendre. Et un peu plus loin sur un parking, elle aurait été séquestrée et violée par le deuxième homme, Gheorgita M., qui serait sorti par la porte arrière du véhicule.
Comme la jeune femme a retenu les premières lettres de la plaque d’immatriculation, le conducteur et son passager sont rapidement identifiés. Quelques minutes auparavant, un duo à bord d’une camionnette avec une plaque d’immatriculation bulgare avait en effet été contrôlé par une patrouille de police dans le quartier de la Gare.
«Je n’ai pas pu fumer et la tenir en même temps»
Pour ce qui s’est passé exactement dans l’habitacle, les versions divergent. Depuis leur arrestation à Longwy, Gheorgita M. et Mihaita C. affirment en effet avoir payé la jeune femme pour ses services de prostituée. La preuve, selon eux, c’est que la police a constaté lors du contrôle qu’ils avaient un paquet de billets de 50 euros sur eux. «J’avais une femme chez moi à la maison, je ne peux pas violer une femme», a, par ailleurs, lancé Mihaita C. jeudi après-midi pour tenter de convaincre la chambre criminelle. Il s’appuiera encore sur l’élément du dossier qui dit qu’il a fumé au volant de la camionnette : «Je n’ai pas pu fumer et la tenir en même temps.»
«Le moindre doute doit profiter à l’accusé», plaide la défense. Car un autre élément qui laisse planer le doute, selon l’avocate du prévenu, est l’absence d’expertise ADN dans ce dossier. «On n’a pas analysé les traces sur les vêtements de la plaignante, constate Me Lynn Frank. Pour nous, cela aurait été essentiel. Aujourd’hui, on n’a aucune preuve matérielle qui atteste les dires de la plaignante selon lesquels Mihaita C. l’a immobilisée.» Toujours selon la défense, qui demande l’acquittement, s’il y avait eu viol, les deux hommes auraient agi de sang-froid. «Car lors du contrôle de police quelques minutes plus tôt, ils disent qu’ils sont là pour les filles. Et ils montrent même leur carte d’identité…»
Le parquet n’est pas d’accord avec le fait que la jeune femme serait montée dans la camionnette dans le but de se prostituer pour financer ses drogues : «La toxicomane a attendu nue l’arrivée de la police.» Si tout avait été en ordre, elle aurait pu se rhabiller sur le parking. La parquetière est convaincue que Mihaita C. a bien aidé Gheorgita M. à immobiliser la jeune femme. «S’il avait été seul, cela aurait été peut-être plus facile pour elle de sortir de la camionnette.» Voilà pourquoi elle parle de séquestration. «La victime s’est sauvée quand l’occasion s’est présentée.»
Le parquet dit non à un éventuel sursis
«Monsieur a mis quatre jours pour venir comparaître devant vous. Comme avec la crise sanitaire il n’a pas pu prendre l’avion, il a été arrêté à chaque frontière», avait soulevé Me Frank dans sa plaidoirie. Mihaita C. est finalement reparti après avoir entendu dire que le parquet se rapportait à prudence du tribunal. Aux juges de déterminer s’il peut bénéficier d’une «petite réduction de peine». La position du parquet à propos d’un éventuel sursis était néanmoins claire : «Pour moi, ce n’est plus possible.»
La 13e chambre criminelle rendra son jugement le 11 février. Le second prévenu dans cette affaire, Gheorgita M., qui, lui, avait pris 15 ans de réclusion dont 7 avec sursis, attend toujours son procès devant la Cour d’appel.
Fabienne Armborst
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