Le Quotidien sélectionne Lëd (qui veut dire «glace» en russe), de l’écrivain Caryl Férey, ce vendredi dans sa page livre.
Un jour, une confidence : «Je pensais qu’écrivain, c’était un truc de vieux bourgeois!» Surtout quand, comme Caryl Férey, on se revendique venir «du punk rock»! Mais voilà, depuis 1994 et son premier roman, Avec un ange sur les yeux, l’homme, né en 1967, est devenu l’un des auteurs de polar parmi les plus lus dans le monde. Et, même s’il a changé de maison d’édition (de Gallimard aux Arènes), ça ne changera pas avec son nouveau roman, Lëd. Son nouvel éditeur est d’ailleurs catégorique : «Caryl Férey au sommet de son art.» Un art étincelant dans la conduite, dans la maîtrise du thriller.
Catalogué comme un «auteur engagé» (ce qui a le don de passablement l’agacer), Férey est surtout un grand voyageur. Son précédent, Paz (2019), avait pour décor Bogota, Colombie, où il suivait les pas d’un vieux requin de la politique, d’un ancien officier des forces spéciales et d’un combattant des Forces armées révolutionnaires – soit un père et ses deux fils… Avec Lëd (qui veut dire «glace» en russe), changement complet de décor. Une fois encore, l’auteur part pour l’étranger et lointain. Direction, la Russie. Plus précisément en Sibérie, à Norilsk, près de 200 000 habitants, au nord du Cercle polaire arctique.
Les atlas précisent qu’elle est également le premier producteur mondial de nickel (2 % du PIB de la Russie, et des millions de tonnes qui disparaissent chaque année dans un vaste système de corruption) et de palladium mais aussi, triste réalité, la ville polaire la plus polluée au monde – «elle pollue à elle seule autant que la France, c’est épouvantable!», confie Caryl Férey. Donc, un endroit parfait où les températures descendent jusqu’à -60 °C, un théâtre formidable pour un polar noir et social! «Bienvenue au paradis sibérien», si l’on en croit l’éditeur. Un paradis aux allures d’univers dantesque, avec des aurores boréales et des rangées d’immeubles qui «avaient été disposées très proches les unes des autres pour contrer les tempêtes, comme des paravents, ne laissant qu’un court interstice en guise de passage».
Boris, flic taciturne
C’est là qu’on retrouve Boris, flic taciturne et dur au mal qui enquêtait sur des affaires de corruption – un juge et son supérieur semblaient mêlés à ces histoires, du coup, il se retrouve muté à 300 kilomètres au nord du Cercle polaire. Il est à peine arrivé que la région est frappée par un ouragan arctique. Des ruines d’un immeuble surgit le cadavre congelé d’un éleveur de rennes. Vite, Boris va découvrir que la ville est une prison à ciel ouvert, qu’«il n’y avait pas de parcs (…), on prenait l’air sur les toits des immeubles, généralement interdits d’accès», que les jeunes qui y résident se cassent le corps dans les mines de nickel…
On lit : «La corruption est partout, chacun se surveille… Et la menace rôde tandis que Boris s’entête…». Parce que Norislk met au ban tous ceux qui osent défier l’ordre de la société. Une société sur laquelle volent, planent des fantômes (ceux du goulag) et des spectres (ceux des ultra-nationalistes). Et on relit les mots du Nobel de littérature 2015, Svetlana Alexievitch, extraits de La Fin de l’homme rouge que Caryl Férey a repris en ouverture de Lëd : «L’homme rouge n’a pas été capable d’accéder à ce royaume de la liberté dont il rêvait dans sa cuisine. On s’est partagé la Russie sans lui, et il est resté les mains vides. Humilié et dépouillé. Agressif et dangereux.»
Une fois encore, après Zulu, Mapuche ou Condor, Caryl Férey ausculte le monde. Avec Lëd, il demeure à l’écoute des oubliés de l’Histoire et de leurs combats, et poursuit ses esquisses d’un monde et d’une humanité qui, inexorablement, partent en lambeaux. Ce qui provoque un énorme et magnifique frisson polaire sur la rentrée littéraire !
Serge Bressan
Caryl Férey, Lëd, Sortie le 14 janvier / Éditeur Les Arènes
À noter que Folio/Gallimard annonce, outre la parution de Paz, la sortie des précédents livres de Caryl Ferey (avec de nouvelles couvertures) : Haka (1998), Utu (2004), Zulu (2008), Mapuche (2012) et Condor (2016), tous en format poche.