En pleine saison 2 du confinement, on peut remarquer que 2020 a été particulièrement propice aux séries en termes de temps. Voici, en vingt titres, ce qu’il ne fallait pas louper cette année.
Par Valentin Maniglia
The New Pope
Paolo Sorrentino
Sky Atlantic / Canal+ / HBO
Chef-d’œuvre télévisuel pour les siècles des siècles, The Young Pope était la profession de foi de Paolo Sorrentino qui, à la télévision, a poussé les limites de son style radical, contemporain et contemplatif, celles qui font de lui l’un des plus grands cinéastes actuels. Près de quatre ans plus tard, la seconde saison ose toujours plus : avec son protagoniste saint et pécheur (Jude Law) dans le coma, et un remplaçant à la tête du monde chrétien (John Malkovich) en proie à une crise existentielle qui lui échappe, The New Pope remet l’humain au centre, mais affronte aussi des thèmes actuels (le terrorisme religieux, les migrants, les magouilles du Vatican…) et, bien sûr, universels (la dépression, l’amour…), avec une maestria scénaristique et visuelle toujours inégalée.
Antidisturbios
Rodrigo Sorogoyen / Isabel Peña
Movistar+
Alors que son Madre fait partie de nos vingt films préférés de l’année, Rodrigo Sorogoyen laisse doublement son empreinte avec cette série en six épisodes qui suit, dans le travail et dans la vie, six CRS liés par une expulsion au centre de Madrid qui a mal tourné et l’enquêtrice des Affaires internes chargée de rétablir la vérité. De l’actualité brûlante qui raconte la situation des migrants et les violences policières, Sorogoyen et Isabel Peña tissent une histoire qui prend une tout autre ampleur, sans jamais perdre de vue la réalité des hommes et des femmes qui en sont les protagonistes. Antidisturbios est un thriller sans pareil dans le paysage audiovisuel : nerveux, étouffant, passionnant, et raconté avec un réalisme qui fait froid dans le dos.
Euphoria
Sam Levinson
HBO
On voit (trop) souvent la génération Z moquée, quand elle n’est pas carrément rabaissée, jusque sur les réseaux sociaux, dont elle est pourtant censée être la meilleure représentante. En huit épisodes, Euphoria corrige brillamment tout cela. On y parle des véritables problèmes que rencontrent les adultes de demain, des relations amicales et amoureuses aux luttes contre l’addiction à l’alcool et aux drogues, en passant par la recherche de soi (avec un personnage trans magnifiquement interprété par le mannequin – trans – Hunter Schafer), avec une caméra immersive qui donne corps à l’intensité des personnages. À noter qu’à la production, on trouve Drake, le rappeur canadien qui, dans ses jeunes années, était l’un des principaux acteurs d’une série adolescente emblématique, Degrassi.
ZeroZeroZero
Stefano Sollima / Leonardo Fasoli / Mauricio Katz
Sky Atlantic / Canal+ / Prime Video
Immense représentant du polar au cinéma et à la télévision en Italie, Stefano Sollima poursuit son chemin aux côtés des maîtres du polar littéraire de la péninsule, Giancarlo De Cataldo (Romanzo criminale, Suburra) et, bien sûr, Roberto Saviano (Gomorra). ZeroZeroZero, d’abord roman-enquête de Saviano, devient désormais une série à l’envergure internationale sur l’empire de la cocaïne, depuis les producteurs en Amérique latine, puis les cartels mexicains qui gèrent l’export, jusqu’en Europe, et l’Italie en particulier, avec les dealers liés à la mafia calabraise. En trois histoires liées par le trafic de l’«extra pure», ZeroZeroZero dépasse les frontières de l’Italie pour imposer son potentiel international : une saga familiale et criminelle addictive et sans concession.
The Third Day
Dennis Kelly
HBO
Pour sa nouvelle série, le Britannique Dennis Kelly, dramaturge et auteur d’Utopia, l’un des meilleurs morceaux de télévision du XXIe siècle, explore le deuil et les rapports de l’humain moderne à travers l’histoire d’un homme (Jude Law) marqué par la mort récente de son fils, qui se retrouve bloqué sur une petite île au large de la côte anglaise avec une communauté locale qui semble cacher bien des secrets. Il y a du thriller, du suspense, de l’horreur et une touche assumée d’humour noir qui rendent l’œuvre fascinante, mais c’est surtout dans sa construction que The Third Day innove, avec son récit en deux parties – liées par une performance live de douze heures! – en montrant différents aspects de la vie quotidienne de cette quasi-secte.
Gangs of London
Gareth Evans / Matt Flannery
Sky Atlantic
On a connu le Gallois Gareth Evans «expat» en Indonésie, où il a réalisé le diptyque The Raid, morceau d’action le plus dingue du siècle. Il y a deux ans, Apostle, marquant son retour au Royaume-Uni et son premier film en anglais, était un film d’horreur en costumes des plus phénoménaux. Aux manettes de Gangs of London, il raconte une histoire «à l’ancienne», avec une guerre des gangs déclenchée par l’assassinat du parrain londonien du crime le plus influent. La recette de Gareth Evans est la même, mais elle est loin d’être rebattue : la violence aveugle, ultra-stylisée et très explicite, dont il est friand, se marie avec la flamboyance des histoires classiques de gangsters et ses traditions incontournables, sans pour autant chercher à leur rendre hommage.
La Flamme
Jonathan Cohen / Jérémie Galan / Florent Bernard
Canal+
Grandiose exemple de parodie, La Flamme reprend le principe d’une téléréalité type Bachelor dans laquelle un homme, Marc (Jonathan Cohen), choisira à l’issue de l’aventure l’une de ses treize prétendantes. Jonathan Cohen y pousse à fond son personnage d’insupportable crétin qu’il traîne depuis quelques années sans qu’on ne s’en lasse jamais, et le plaisir est décuplé au fur et à mesure que la série assume même son mauvais goût en entraînant avec elle un casting à tomber par terre, aussi bien pour les prétendantes (Adèle Exarchopoulos, Dora Tillier, Leïla Bekhti – mémorable –, Laure Calamy ou encore Florence Foresti) que pour les invités (Ramzy Bedia, Pierre Niney ou les rappeurs Seth Gueko et Orelsan). De mémoire, on n’a jamais ri aussi bêtement devant une série française depuis… H ?
Dérapages
Ziad Doueiri
ARTE
Coécrite par Pierre Lemaitre d’après son propre roman (Cadres noirs, 2010), ce thriller produit par ARTE raconte, en six épisodes, l’histoire d’un ancien DRH usé par le chômage et qui décide de partir en guerre contre le système qui l’a trahi. On part d’un postulat aussi noir qu’ironique (pendant 25 ans, le protagoniste a lui-même été responsable des licenciements de son ancienne boîte) pour une série qui se déploie comme un thriller étouffant animé par un sentiment de révolte. À la création et à la réalisation, le Libanais Ziad Doueiri, qui a passé beaucoup de temps aux États-Unis, notamment comme assistant de Quentin Tarantino (sur Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown !). Dans le rôle principal, un colosse qui transpire la colère : Éric Cantona. Fallait pas le chercher…
The Last Dance
Jason Hehir
Netflix
La fin est historique, mais The Last Dance n’est pas du genre à prendre ses spectateurs dans les filets de l’«alerte spoiler». Crème de la crème du documentaire sportif, l’épopée légendaire de Michael Jordan et ses Chicago Bulls qui, dans les années 1990, ont changé la face du basket, y est retracée dans le détail, et de façon inédite, avec une tonne d’images d’archives extraordinaires montrées ici pour la première fois, de nouvelles interviews avec tous les principaux intéressés (et plus encore), et une tension dramatique semblable à celle d’un opéra, où l’on s’arrête en détail sur ceux qui ont fait l’équipe, leurs victoires, leurs défaites, leurs déceptions, leur feu et leur fureur, jusqu’à un dernier épisode, une «dernière danse» submergée par l’émotion que peut amener le sport.
The Queen’s Gambit
Scott Frank / Allan Scott
Netflix
Au même titre que l’aventure de Michael Jordan et ses compères tout en haut du monde, le succès de The Queen’s Gambit marque le coup double pour Netflix, qui, cette année, a tenu en échec (et mat) tous ses concurrents. Avec l’histoire de la joueuse d’échecs Beth Harmon, c’est une autre facette du rêve américain qui est explorée : celle des enfants prodiges, de la célébrité qui monte à la tête (pour le pire) et d’un génie qui cache une vie qui vole en éclats. Pourtant peu «cinégénique», le jeu d’échecs participe de l’atmosphère aussi pesante que captivante d’une série brillante à tous points de vue, et qui offre à l’extraordinaire Anya Taylor-Joy (pour qui on éprouve une passion illimitée depuis The Witch) le grand rôle auquel elle semblait être destinée.
Dix pour cent (saison 4)
Fanny Herrero
France 2
Le dernier tour de piste de l’agence artistique parisienne ASK ne s’est pas fait dans la douleur : au départ de la créatrice de la série, Fanny Herrero, font écho les risques auxquels font face les personnages, craignant de voir leur agence fermer face aux dettes. Alors, dans un dernier élan de six épisodes, chacun, progressivement, prévoit son avenir en même temps qu’ils unissent leurs forces pour prouver la valeur de leur travail. On adore toujours autant l’équipe de Dix pour cent, les invités (dont d’excellents Franck Dubosc et Jean Reno en version fictionnalisée d’eux-mêmes, auxquels s’ajoute ni plus ni moins que Sigourney Weaver pour le prestige international), et on assume d’avoir versé sa larmichette devant l’émouvante scène finale.
Devs
Alex Garland
FX / Hulu
Le scénariste et réalisateur d’Ex Machina (2015) revient au techno-thriller avec Devs et son intrigue qui mêle disparitions et recherches secrètes au cœur de la Silicon Valley. En son centre, il y a Forest (Nick Offerman), personnage extraordinairement écrit, sorte de croisement entre un Jésus «hipster» et Elon Musk, qui ouvre la série à des réflexions sur le génie, la manipulation et la proximité entre le pouvoir de création et la figure divine. À cela, Alex Garland associe un univers visuel et sonore intense, à l’identité singulière et, à l’occasion, complètement expérimentale. Devs est une œuvre exigeante, que le format sériel n’exempte pas de défauts, mais qui reste l’une des nouvelles créations les plus riches et hypnotisantes du paysage télévisuel actuel.
What We Do in the Shadows (saison 2)
Jemaine Clement
FX
À la fin de la première saison, Guillermo, le familier et colocataire des vampires de Staten Island, découvrait qu’il était un descendant du légendaire Van Helsing. Dans la suite de ce petit bijou d’humour absurde, le groupe fait face à des ennemis vieux de plusieurs siècles (dont Mark «Luke Skywalker» Hamill en dangereux vampire), mais se retrouve aussi terrifié devant une chaîne d’e-mails maudite ou de nouvelles créatures (zombies, fantômes, trolls), pendant que leur colocataire humain Colin Robinson découvre ses pouvoirs de «vampire énergétique» et que Guillermo se découvre de plus en plus de talent dans le massacre de vampires. Le trio de protagonistes est l’un des ensembles comiques les plus tordants du moment, pour dix courts épisodes toujours aussi hilarants.
Tiger King
Rebecca Chaiklin / Eric Goode
Netflix
C’est le phénomène «what the fuck» de l’année : le documentaire, censé commencer comme un documentaire sur la maltraitance animale et le trafic d’animaux dans les zoos américains, se transforme après la rencontre avec Joe Exotic, personnage inclassable, «redneck» controversé qui aime les tigres, les armes à feu et les jeunes garçons (dans cet ordre), propriétaire d’un zoo de tigres aux méthodes douteuses et qui n’hésite pas à clamer haut et fort que son ennemie jurée, qui sauve les animaux, serait une meurtrière. Tiger King est un voyage dans le monde d’un fou qui veut devenir un roi (soutien de Donald Trump, il n’hésite pourtant pas à se présenter à la présidentielle 2016). On y retient que le pire est toujours à venir, mais qu’il y est systématiquement inattendu. Juste dingue.
Téhéran
Moshe Zonder
Apple TV+
En 2015, Netflix proposait la première saison de Fauda, série d’espionnage sur le conflit israélo-palestinien. Son scénariste principal, Moshe Zonder, a révélé cette année Téhéran, autre série à mi-chemin entre le drame et l’espionnage, sur une agente du Mossad envoyée en Iran dans le but d’empêcher le pays d’obtenir la bombe atomique. Mis à part les considérations géopolitiques, cette série se pose comme un thriller terriblement efficace, avec toutes les ficelles des grandes histoires d’agents secrets. Mais là où elle révèle tout son potentiel, c’est dans les excellents allers-retours entre la grande intrigue et l’intime, et ce, grâce aussi au talent d’une actrice principale rayonnante et qui cannibalise l’écran : Niv Sultan.
Le Bureau des légendes (saison 5)
Éric Rochant
Canal+
La grande fresque d’espionnage estampillée Canal+ arrive, avec cette saison 5, à la conclusion d’une aventure menée par Éric Rochant, qui dépose les armes malgré une sixième saison promise avec une nouvelle équipe. Aux aventures aux quatre coins du monde des saisons précédentes succèdent les conséquences d’une vie sous le couvert du mensonge et de fausses identités. Largement moins palpitante que ses prédécesseures, cette saison joue au voyeur, passant en revue les états d’âme de ses personnages, aussi brillants dans l’action que dans l’émotion, Mathieu Kassovitz en tête, aux côtés, notamment, d’un Mathieu Amalric qui incarne le mal-être jusqu’au bout des ongles, dans son personnage de chef de la sécurité en proie à une paranoïa profonde.
The Forest of Love
Sono Sion
Netflix
Comme pour sa précédente minisérie, Tokyo Vampire Ho-(2017), c’est dans un remontage sous forme de long métrage que l’on a découvert l’année dernière The Forest of Love, énorme claque signée Sono Sion, sur Netflix. Le réalisateur perturbateur japonais a dévoilé cette année son dernier chef-d’œuvre ultra-subversif dans sa forme intégrale (cinq heures pour des épisodes de durées variées) et avec une chronologie du montage repensée, qui colle plus encore à la folle réinterprétation d’un fait divers au-delà du sordide. Entre deux séquences où règnent le malsain et le gore, et derrière la performance à couper le souffle de Kippei Shiina, on y découvre aussi un cinéaste et artiste pluridisciplinaire qui fait le point sur trente-cinq ans de carrière avec une tendresse inattendue.
Small Axe
Steve McQueen
Prime Video
Le cinéaste britannique Steve McQueen (Hunger, 12 Years a Slave) repense le format sériel en appliquant l’appellation «série» à une collection de cinq films distincts, aux durées largement variables (ils vont de 60 minutes à plus de deux heures) et aux sujets et aux époques diverses. Small Axe, qui tire son nom de la chanson éponyme de Bob Marley, raconte la communauté noire de Londres à travers l’environnement hostile dans lequel elle a évolué. C’est puissant, profond, superbe et terriblement engagé, à l’heure de l’ampleur du mouvement Black Lives Matter. On y rencontre aussi un casting remarquable, dont John Boyega, rescapé de Star Wars, dans un épisode monumental sur le policier noir à l’origine de la lutte contre le racisme dans son corps de métier. Plus actuel que ça…
Family Business (saison 2)
Igor Gotesman
Netflix
De toutes les créations françaises sur Netflix, Family Business est ce qui se fait de mieux jusqu’à présent. Pour sa deuxième saison, la farce autour d’une famille parisienne propriétaire d’une boucherie casher qui cache un business de cannabis se métamorphose progressivement en une véritable intrigue à suspense, avec ses dangereux gangsters et ses flics intrusifs, le tout toujours pendu aux ficelles d’une comédie qui n’invente rien, mais qui reste formidablement écrite et interprétée (Jonathan Cohen et Gérard Darmon en tête, avec une mention spéciale pour Louise Coldefy, excellente en amie cinglée de la famille). Le dénouement, qui annonce une saison 3, emmène même vers la possibilité d’une bouffonnade de qualité qui lorgne Breaking Bad…
Messiah
Michael Petroni
Netflix
Au Moyen-Orient, un homme se présente comme Jésus de retour. «Encore un», peut-on penser. Oui, mais celui-ci fait des miracle s! Dans une société où le smartphone est devenu le prolongement de la main, le curieux personnage devient viral et ce qui a l’air d’être au départ une farce suscite l’intérêt et sème le doute. L’idée est peut-être peu originale, mais elle fonctionne, d’autant plus que ce qui aurait pu donner lieu, entre les mains de n’importe qui, à une farce un peu douteuse, devient sous le stylo du créateur australien Michael Petroni un thriller à portée internationale et à l’intrigue géopolitique passionnante. Dans le rôle du nouveau Messie, le Belge Mehdi Dehbi, très bon, et dont le charisme est loin de s’arrêter à ses allures de mannequin vieux de 2 000 ans.