Quand la victime a franchi sa porte d’entrée le 26 octobre 2019 à Noertrange, l’homme de 82 ans cachait son revolver sous sa chemise. Pour le parquet, aucun doute : il avait prémédité son acte.
Pour retrouver l’auteur d’un tir, il faut parfois une longue enquête. Pas dans l’affaire débattue lundi après-midi devant la chambre criminelle de Diekirch. Non seulement l’agresseur se trouvait toujours chez lui à l’arrivée de la police. Mais alors qu’il avait sa victime dans le viseur, cette dernière, armée de son portable, l’a également pris en photo. Un comportement sur lequel la défense de l’octogénaire n’a d’ailleurs pas manqué de rebondir.
– «Vous le voyez avec l’arme devant vous. Et vous prenez le temps de sortir votre portable, de le déverrouiller… Était-ce plus important de prendre une photo que de courir?
– C’était ma première réaction… Si je me sauvais, il aurait pu me tirer dans le dos ou dans la tête. Ma réflexion était la suivante : je prends la photo pour aller ensuite à la police…»
– «Pourquoi? Pour le mettre à la porte?», relancera Me Lynn Frank.
– «Oui.»
À l’origine de cette violente dispute qui a dégénéré ce 26 octobre 2019 à Noertrange entre les deux hommes de 82 et 48 ans se trouve en effet un changement de serrure. Ce samedi, au petit matin, le quadragénaire avait débarqué avec un ouvrier chez l’octogénaire. Pendant un certain temps, ce dernier avait disposé de la maison unifamiliale pour un loyer de 600 euros par mois, avant de devoir partager les lieux avec d’autres personnes. D’où la nécessité de mettre une nouvelle serrure à la porte d’entrée, selon la victime. Mais cela n’a visiblement pas plu à l’octogénaire qu’on s’introduise chez lui. Il avait profité du fait que le fils du bailleur, accompagné du serrurier, s’absente quelques minutes… Avant leur retour, il était allé chercher son revolver, qu’il avait caché sous sa chemise. Et il l’avait finalement sorti contre sa victime après que tous deux s’étaient pris par le cou…
Une seconde arme chargée cachée dans le sac à pain
«L’acte était disproportionné. On ne veut pas le minimiser, mais ce sont les circonstances qu’il faut prendre en compte dans ce dossier, argue Me Frank. Il avait peur d’être mis à la porte…» Au poste de police, l’octogénaire n’avait rien regretté. La victime l’aurait mérité, avait-il expliqué. Il aurait visé sa tête, mais n’avait pas touché ce qu’il voulait, avait-il encore précisé. La balle avait en effet traversé le corps du quadragénaire. Blessée en dessous de la clavicule gauche, la victime avait dû être opérée d’urgence. D’après le médecin légiste, «l’hémorragie aurait pu être mortelle». Il n’aurait pas non plus manqué grand-chose : à quelques centimètres près, c’est le cœur ou l’aorte qui étaient touchés.
À leur arrivée sur les lieux, les policiers avaient découvert dans la cuisine une seconde arme chargée, cachée dans un sac à pain. L’octogénaire estime que c’est une chance qu’ils l’aient trouvée avant qu’il ait eu le temps de s’en saisir. «Sinon je ne serais peut-être plus là aujourd’hui.» Tels étaient les mots du prévenu de 83 ans, lundi. D’un pas lent, l’homme actuellement en détention préventive s’était avancé à la barre. Selon lui, il avait eu la volonté de se suicider après le coup de feu. Si aujourd’hui, avec le recul, il dit regretter ce qu’il a fait, il ne cache pas que c’est bien le quadragénaire qu’il avait dans le viseur. Il confirme que l’arme, il l’avait préparée des semaines à l’avance. Mais pour ce qui concerne l’intention de tuer, il a fait marche arrière. «C’était pour lui faire peur, pas pour le tuer. C’était un tir de la hanche.»
«L’âge n’est pas une réelle circonstance atténuante»
Durant de longues années, l’octogénaire a été membre d’un club de tir. «Je suis d’avis qu’un tireur expérimenté, s’il avait eu de la haine, aurait visé sa tête ou tiré plusieurs fois», a appuyé Me Frank, qui conteste formellement la préméditation. Mais pour le parquet, il y a suffisamment d’éléments dans le dossier pour retenir la tentative d’assassinat : «S’il veut juste lui faire peur, pourquoi donc charge-t-il son arme de six balles? Et pourquoi la cache-t-il si longtemps avant les faits?» Le procureur d’État adjoint estime qu’il a «juste attendu l’occasion pour exécuter son acte». Entre 1,5 et 2 mètres le séparaient de sa victime ce matin-là. «Il a réfléchi et tiré de sang-froid!» Et la photo figurant au dossier est également révélatrice, selon le procureur d’État adjoint. «La photo prouve aujourd’hui comment il tenait son arme : avec les deux mains et pas au niveau de la hanche.»
Me Henri Frank, le second avocat du prévenu, avait soulevé l’âge du prévenu dans sa plaidoirie. «L’âge ne donne pas le droit d’agresser une personne d’une telle manière. Pour moi, ce n’est pas une réelle circonstance atténuante», a rétorqué le parquet dans son réquisitoire. Voilà pourquoi il réclame 20 ans de réclusion, dont au moins 12 ans de réclusion ferme. «Combien de temps dois-je aller en prison?», voulait savoir le prévenu à la fin de l’audience. La chambre criminelle rendra son jugement le 14 janvier.
La victime s’est constituée partie civile et réclame plus de 188 000 euros de dommages et intérêts.
Fabienne Armborst