Une enquête TNS Ilres révèle que 92% de la population résidente est favorable à l’adoption d’une loi qui contraindrait les entreprises à respecter les droits humains.
Le message est on ne peut plus clair pour les responsables politiques du pays, et tout particulièrement pour le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn : la population résidente du Luxembourg est dans sa très grande majorité favorable à l’adoption d’une réglementation de l’État pour faire respecter les droits humains et les normes environnementales par les entreprises qui auraient leur siège au Grand-Duché.
C’est ce qu’a révélé une enquête menée en octobre dernier par l’institut de sondage TNS Ilres auprès d’un échantillon représentatif de la population de 505 personnes. Dans cette étude, plus de neuf habitants sur dix se déclarent en faveur d’une loi qui obligerait les entreprises à prendre des mesures afin d’éviter les violations des droits humains au niveau de leur chaîne d’approvisionnement et 93% estiment que les entreprises luxembourgeoises devraient à l’avenir prendre des mesures pour empêcher les dommages environnementaux ayant un impact négatif sur les droits humains.
«Aucune demi-mesure n’est souhaitée»
Un pavé dans la mare lorsqu’on sait que 80% du commerce mondial et 60% de la production mondiale passent par les chaînes d’approvisionnement des sociétés transnationales, selon un rapport de 2017 de la Confédération syndicale internationale.
L’adoption d’une telle loi pourrait permettre en outre aux victimes de demander réparation au Grand-Duché devant les tribunaux luxembourgeois. Quatre-vingt-cinq pour cent de la population interrogée souscrit d’ailleurs à une telle option. «Dans le domaine de la responsabilité, il est clair qu’aucune demi-mesure n’est souhaitée. La future loi doit inclure un mécanisme de responsabilité civile afin que les personnes affectées puissent avoir accès à la réparation», estime l’Initiative pour un devoir de vigilance, coalition de dix-sept organisations de la société civile qui militent pour l’adoption d’une loi sur le devoir de vigilance au niveau national (voir encadré), à l’origine de cette enquête.
Pour l’Initiative, il est clairement temps pour le gouvernement de «passer à l’action». Il faut une loi et des sanctions, l’autorégulation des entreprises étant jugée plus qu’insuffisante. En effet, si nombre d’entre elles affirment avoir adopté des chartes éthiques, cette mesure repose sur le volontariat et ne permet pas d’empêcher les violations, d’autant qu’il y a un manque de contrôle évident du respect de ces mesures. «Le respect des droits humains ne doit pas être laissé aux initiatives individuelles», rappelle Antoniya Argirova, responsable Plaidoyer politique à Action solidarité tiers-monde (ASTM).
Travail des enfants, utilisation massive de produits toxiques dangereux pour la santé, travail forcé, accaparement des terres, dégâts environnementaux… La liste des impacts négatifs que les activités économiques sont susceptibles d’avoir dans les pays du Sud est longue. «Des entreprises ayant leur siège au Luxembourg y sont ou peuvent être également impliquées», insiste avec vigueur l’Initiative, rappelant entre autres le cas de la multinationale luxembourgeoise Socfin, accusée de s’accaparer les terres des riverains de ses plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans les 14 pays africains et asiatiques où elle opère. L’ASTM publie à cet égard un rapport annuel dénonçant les secteurs au Luxembourg impliqués dans la violation des droits humains (voir graphique ci-dessous).
«Un manque d’expression politique claire»
L’aspiration du Grand-Duché à siéger au Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour la période 2022-2024 doit être un motif de plus pour procéder à l’adoption d’une loi sur le devoir de vigilance pour les militants. «Un État qui a la prétention de jouer un rôle au Conseil des droits de l’homme doit être un pionnier, il doit montrer l’exemple ! Or la Finlande, qui est aussi candidate à ce poste, a déjà bien entamé ce processus», souligne Antoniya Argirova.
D’autant qu’au 1er janvier les pays membres de l’UE seront déjà tenus de mettre en place le règlement européen sur les minerais de conflits, règlement qui vise à mieux contrôler la chaîne d’approvisionnement des quatre principaux minerais que sont l’or, l’étain, le tungstène et le tantale (que l’on trouve notamment dans les smartphones) provenant de zones touchées par des conflits armés. «Les entreprises devront dès lors se conformer à des normes internationales en matière d’approvisionnement responsable», assure l’Initiative.
À ce jour, seuls la France et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas (qui se sont cantonnés au travail des enfants) ont introduit un devoir de vigilance pour les entreprises dans l’UE. La situation pourrait finir par changer avec l’introduction en janvier d’une proposition de loi au niveau européen, la crise sanitaire, qui a encore aggravé les violations des droits humains, ayant donné un coup d’accélérateur à la consultation publique. Mais le processus risque d’être encore long avant son application dans l’ensemble de la zone. Pour Antoniya Argirova, «le Luxembourg ne peut pas se contenter d’attendre la loi européenne, cela peut prendre des années. En tout cas, il y a un manque d’expression claire au niveau politique.»
Tatiana Salvan
Une plateforme de lutte
Dix-sept organisations de la société civile se sont rassemblées au sein de l’Initiative pour un devoir de vigilance et militent pour l’adoption d’une telle loi au niveau national : Action solidarité tiers-monde; Aide à l’enfance en Inde et au Népal; Amnesty International Luxembourg; Association luxembourgeoise des Nations unies; Caritas Luxembourg; Cercle de coopération des ONGD; Comité pour une paix juste au Proche-Orient; Commission luxembourgeoise Paix et Justice; Etika; Fairtrade Lëtzebuerg; FNCTTFEL – Landesverband; Frères des hommes Luxembourg; Greenpeace Luxembourg; OGBL; OGBL Solidarité syndicale; Partage.lu; SOS Faim Luxembourg.