Dépénalisation de l’avortement, redéfinition du viol, création du premier secrétariat d’État à la « condition féminine » : plusieurs avancées en faveur des droits des femmes ont marqué la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, un homme « pas franchement féministe » mais qui a su « écouter la société », selon des militantes interrogées.
L’ancien président, décédé mercredi des suites du Covid-19, restera lié à la légalisation de l’avortement, réforme sociétale majeure votée en janvier 1975, peu après son élection. Mais la réforme du divorce, la pénalisation du viol et la généralisation de la pilule sont d’autres marqueurs de l’émancipation des femmes survenus durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, visé l’an dernier par une enquête pour agression sexuelle après la plainte d’une journaliste allemande.
« Franchement, on ne peut pas dire qu’il était féministe, mais moderniste, on peut », déclare Françoise Picq, historienne du féminisme. Ancienne militante du Mouvement de libération des femmes (MLF) et maîtresse de conférences en sciences politiques, elle se souvient de « l’homme mais, surtout, du contexte » de son accession au pouvoir. « On est après Mai-68, un vent de liberté traverse la société, les féministes gagnent en visibilité. Il a su capter cela. »
Quatre femmes au gouvernement, une nouveauté
Pour elle, « la grande nouveauté, dans une époque où les femmes avaient si peu de pouvoir, c’est que quatre femmes étaient au gouvernement »: une ministre, Simone Veil (Santé), et trois secrétaires d’État, Françoise Giroud (condition féminine), Hélène Dorlhac (condition pénitentiaire) et Annie Lesur (Enseignement préscolaire).
A la première, il confiera la réforme historique de l’avortement, qui suscitera d’intenses débats. « On me dit souvent que j’incarne la cause des femmes. Elles ont conscience de ce que j’ai fait pour elles en me battant pour la loi autorisant l’IVG en 1974. Mais cette loi, on la doit aussi à un homme, Valéry Giscard d’Estaing », saluait Simone Veil en 2004 dans un livre entretien avec la journaliste Annick Cojean (Les hommes aussi s’en souviennent, Stock).
Pourtant, le président était plutôt contre. « Si l’on m’avait demandé mon avis personnel sur l’avortement, il aurait été négatif. Mais j’étais le chef d’un État laïque et je devais prendre des décisions acceptables par tout le corps social », avait-il confié, cité par le journal La Croix.
« Giscard ne nous a pas donné l’avortement, on s’est battu pour l’avoir », nuance ainsi Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national des droits des femmes, qui regrette qu’on « réécrive l’histoire des ‘Grands hommes’ après leur mort ». « Il y avait à cette époque un fort mouvement pour l’avortement, porté par le manifeste des 343 femmes en 1971, celui des 331 médecins en 1973, puis la création du Mouvement pour la libération de l’avortement et la contraception », poursuit-elle. « La loi de 1920 (interdisant l’avortement) était bafouée tous les jours et c’est de cette situation-là qu’il a hérité ».
« Pas un grand progressiste » mais à l’écoute
Durant son septennat, la pilule devient remboursée par la Sécurité sociale, et le divorce – jusque-là permis pour « faute » d’un des conjoints – est possible par consentement mutuel ou pour rupture de vie commune. C’est aussi sous sa présidence que « le fléau social des violences faites aux femmes a commencé à être pris en compte avec la loi de 1980 relative à la répression du viol » et « l’ouverture en 1978 à Clichy du Centre Flora Tristan, le premier refuge pour femmes battues », rappelle dans un communiqué la Ligue des droits des femmes.
Pour les porte-parole de cette association fondée en 1974 par Simone de Beauvoir, Valéry Giscard d’Estaing a marqué une « rupture » en matière de perception des droits des femmes. La création du premier secrétariat d’État à la condition féminine, confié à la journaliste Françoise Giroud, en est un autre exemple. Même si cela lui avait valu des protestations des féministes.
« Nous étions très critiques à l’égard de VGE. On voyait dans sa politique une tentative de récupération de notre mouvement. D’ailleurs nous ne votions pas pour les hommes, c’était l’un de nos slogans », se souvient Michèle Idels, autre militante historique du MLF. « On ne le voyait pas comme un grand progressiste. Mais avec le recul, on peut au moins lui reconnaître d’avoir su écouter et d’avoir posé les bases d’une société plus libérale », poursuit-elle.
LQ/AFP