Un pas vers la dépollution de l’espace : l’agence spatiale européenne a signé mardi un contrat avec une start-up suisse, ClearSpace, pour envoyer la première mission au monde de nettoyage d’un débris spatial en orbite, ouvrant la voie vers un nouveau marché.
La mission commerciale, d’un montant total de 100 millions d’euros dont 86 millions investis par l’ESA, partira en 2025 et aura pour cible un morceau d’une ancienne fusée européenne Vega. Le débris, un adaptateur de charge utile « Vespa » de 112 kilos, a été laissé en orbite basse à 800 km de la Terre, en 2013.
« L’espace est une infrastructure que nous devons garder propre. Nous avons une responsabilité environnementale, sur la Terre comme en orbite », a déclaré le directeur général de l’ESA, Jan Wörner, lors d’une conférence de presse en ligne.
Pour l’agence spatiale et ses 22 États membres, cette commande est inédite, car « jamais nous n’avions confié un contrat d’une telle ampleur à une petite start-up », a précisé Eric Morel de Westgayer, en charge de l’industrie et des achats à l’ESA.
« Nous avons aussi une responsabilité à soutenir l’économie européenne, et j’espère que la mission ClearSpace ouvrira un nouveau marché pour le futur », a commenté Jan Wörner.
Environ 23 000 objets à la dérive
Plusieurs démonstrations d’enlèvement de débris ont déjà été réalisées par le passé, mais ce sera la première fois qu’un satellite « nettoyeur » s’attaquera à un vrai débris depuis le début de la conquête spatiale. « Quand Spoutnik a été lancé en 1957, certains ont cru voir le satellite depuis la Terre… Mais c’était en fait l’étage supérieur du lanceur ! », a rappelé le patron de l’ESA.
En près de 60 ans d’activité spatiale et plus de 5 500 lancements, environ 23 000 objets de plus de 10 centimètres gravitent autour de la Terre, à la dérive, formant un nuage de déchets : fusées anciennes, morceaux de satellites restés en orbite après explosion, satellites entiers en fin de vie… « Il y a de tout, même un tournevis qui a échappé à un astronaute ! », a détaillé Luisa Innocenti, cheffe du bureau CleanSpace à l’ESA.
Gravitant à toute vitesse (28.000 km/heure, soit « Paris-Marseille en 3 minutes »), ces déchets représentent une sérieuse menace de collision qui, non seulement peut détruire les satellites opérationnels et leurs précieux services (météorologie, GPS, observation de la Terre…), mais génère de nouveaux débris, entraînant une réaction en chaîne – appelée syndrome de Kessler – « qu’on serait incapables d’arrêter », explique la scientifique.
Et le problème va s’accroître avec le lancement prévu de constellations de dizaines de milliers de petits satellites par Space X, OneWeb et Blue Origin, qui vont multiplier de manière « exponentielle » la population de l’orbite basse, a fait valoir Rolf Densing, directeur des opérations de l’ESA.
Mission délicate
L’un des satellites de Starlink, une constellation lancée par la société d’Elon Musk, a déjà failli provoquer une collision en 2019, forçant l’ESA à dévier de sa trajectoire son satellite Aeolus. Mais ces manœuvres d’évitement ont un coût, et font perdre les services du satellite pendant plusieurs jours. D’où la nécessité de « nettoyer le passé », en « désorbitant les objets spatiaux en fin de vie », selon Luisa Innocenti. « Il faut arrêter de polluer l’espace, car nos sociétés modernes en dépendent », a-t-elle plaidé.
La mission de ClearSpace s’annonce délicate: il devra d’abord observer le mouvement de Vespa – impossible à discerner depuis la Terre – pour ensuite arriver à le capturer, en l’encerclant de ses quatre bras robotiques, semblables aux tentacules d’une pieuvre. L’enjeu est d’éviter que l’objet ne s’échappe au contact, et que les bras ne se brisent pas, ce qui formerait de nouveaux débris.
Une fois agrippé, Vespa sera désorbité, puis se désintègrera dans l’atmosphère, avec son satellite nettoyeur.
A l’avenir, ClearSpace vise à désorbiter des objets plus gros, et surtout plusieurs en même temps, a détaillé son PDG, Luc Piguet, selon lequel « le marché est assez large pour d’autres entreprises concurrentes ».
Entreprise dérivée de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, la start-up a recueilli des contributions d’une vingtaine de sociétés venant de huit pays membres de l’ESA (Suisse, République tchèque, Allemagne, Royaume-Uni, Pologne, Suède, Portugal et Roumanie).
LQ/AFP