Fernando Gutierrez, Dario Soraire et Mario Mendoza, trois Argentins dont les noms ont compté dans le foot luxembourgeois, se sont racontés après la mort de l’idole.
Mercredi soir, un père s’est approché de Fernando Gutierrez à la sortie des cours de l’école européenne, au Kirchberg. Il a pris beaucoup de précautions pour demander à l’ancien coach de Beggen, de la Jeunesse et de Hamm, s’il savait. S’il savait quoi ? Diego Maradona vient de décéder. «Il m’a dit ça avec tellement de respect, comme s’il m’annonçait la mort d’un membre de ma famille… Les larmes me sont tout de suite venues aux yeux.»
Émus, tous les Argentins le sont et ceux du Grand-Duché, même très loin de chez eux, n’échappent pas à la règle. L’ancien joueur de Grevenmacher et du Spora Mario Mendoza a ainsi replongé des années en arrière, quand il était un enfant de Salta, ville de 500 000 habitants aux portes du Chili et de la Bolivie : «Il était le point de repère de tous les gamins qui voulaient jouer au foot en Argentine. C’est un peu de mon enfance qui part avec lui.»
Parlons-en de l’enfance. Celle de Dario Soraire, ex de Pétange et Differdange, 8 ans quand l’Argentine a remporté le Mondial-1986, n’échappe pas à la règle. Il a demandé un poster de Diego à sa maman. Ses deux frères et lui ont exigé qu’il trône… dans le salon! «Ah oui! Et c’était normal!»
Vous imaginez, vous, un poster de Vincent Thill ou de Gerson Rodrigues au-dessus de votre canapé ? «Mais c’est différent, argumente Fernando Gutierrez. Jeudi, j’ai entendu une femme s’exprimer sur la radio belge. Elle trouvait ça loufoque, trois jours de deuil national pour un footballeur. Je ne la condamne pas, mais cette remarque montre la façon de voir le football entre deux peuples. Pour les Belges, c’est un sport, pour nous c’est… C’est autre chose.»
Mendoza regardait ses matches… à l’école
Pour les Argentins, cet autre chose a commencé à devenir intimement lié à Diego Armando Maradona le 22 juin 1986, après ce fameux match contre l’Angleterre, marqué par la main de Dieu et son mythique slalom. «J’étais à la maison, on regardait tous le match entre hommes et après, tout le monde s’est retrouvé dans la camionnette d’un copain pour aller faire la fête, se remémore Soraire. Mon frère est pour Boca Juniors, moi pour River Plate.
Ce jour-là, tous ceux qui avaient des maillots différents s’embrassaient. Diego, il a réussi à faire ça. D’ailleurs, on vient de m’envoyer la vidéo d’une femme qui circule en Argentine. Elle dit „Diego, je ne t’aimais pas parce que tu étais grossier. Mais je me rappelle de 1986, à une époque où on n’avait souvent qu’un petit bout de pain à manger à table. Mais mon mari parlait tellement de toi qu’il en oubliait la faim. Alors je vais mettre une bougie pour toi“.» «C’est vrai, enchaîne Gutierrez. Il est celui qui a unifié tout le monde au pays. Il a offert le bonheur au peuple. Mais je suis surpris que sa mort ait une telle répercussion mondiale. Venant d’Argentine, ça ne m’étonne pas. Mais partout sur la planète… Et même les journaux non sportifs s’y mettent. Je n’ai jamais vu ça que pour le 11-Septembre et les tours du World Trade Center.»
Mario Mendoza, qui se rappelle avoir regardé des matches olympiques dans son école du Général-Belgrano et en tire la certitude que tout, avec Diego, a commencé bien plus tôt («Il nous faisait déjà rêver bien avant 1986») veut lui surtout garder la symbolique de cette rencontre face aux Anglais. Car ce jour-là, Maradona a, à ses yeux, écrit de sa main gauche un manifeste de ce qu’est le football argentin.
«Cette main, c’est sa nature de footballeur de rue qui a ressurgi. Ce n’était pas de la triche. C’était, comme nous le voyons, nous, être juste plus malin que l’adversaire pour gagner. Un Anglais te dirait qu’il a triché. Non, c’est juste la forme la plus pure du football. C’est Diego qui représente le foot argentin. Il est tel qu’on le voit aussi au Brésil ou en Afrique. Un peu magique, sans toutes les nouvelles technologies qui vont autour.»
Soraire aussi a joué à Boca, mais…
Aucun de nos trois anciens joueurs de Division nationale ne veut s’attarder sur autre chose. La mafia napolitaine, la drogue, les problèmes de santé… Fernando Gutierrez se souvient avoir un ami dans le style du Pibe de Oro. «Des gens bons sur le fond qui finissent dépassés par le personnage qu’ils ont créé, qui n’arrivent plus à le gérer. Tu finis par avoir envie de le prendre dans tes bras et de l’aider», sourit-il.
«Mais j’ai lu un truc hier (NDLR : mercredi). Cela disait „Diego, je me fous de ce que tu as fait de ta vie parce que je sais ce que tu as fait de la mienne“. C’est un peu égoïste mais un bon résumé. Le bonheur qu’il a donné aux gens dépasse largement ses fautes.»
Mercredi soir, tous les Argentins, même ceux des trois frontières, ont ainsi retrouvé en la perdant, un peu de leur âme d’enfant. Jusqu’à Dario Soraire, passé lui aussi, «moins d’un an parce que mes parents ne pouvaient pas payer le logement», par Boca Juniors : «Quand j’étais enfant, mes copains et moi, on ne voulait pas être des superhéros, on voulait être Maradona ! On voulait tout faire comme lui. (Il sourit) Mais je n’arrivais à rien faire comme lui». Depuis Ehlerange, où il entraîne désormais, il dira donc adieu à son idole de bien loin. Fernando Gutierrez a lui appelé sa maman hier pour lui fêter son anniversaire. «Et forcément, on a parlé de Diego…»
Julien Mollereau
Mario Mendoza l’avait rencontré
Un cadeau pour ses enfants
«Le plus beau souvenir que je garde de lui, c’est celui qu’il a offert à mes fils, qui n’ont pas eu la chance de le voir jouer.» Mario Mendoza, qui connaît l’un des agents de Diego Maradona, a pu rencontrer la star. «Oh pas longtemps, cinq minutes. Le temps qu’il me signe ce maillot. Ce n’est pas facile de l’approcher.»
En revanche, le désormais agent de joueurs connaît beaucoup mieux… Diego Jr, le fils, qui a une école de foot à Naples. «On est restés en relation. On s’est encore écrit mercredi… Un jour, il m’avait dit „tu sais Mario, c’est difficile d’être son fils. Que ce soit positif ou négatif, tous les gens s’attendent à ce que je fasse les choses comme mon père.» Quand on pense que Maradona détestait que les pères du monde entier le prennent en exemple dans l’espoir que leur progéniture soit le nouveau «Diez»…
J. M.