Depuis trois ans, Respect.lu lutte contre la radicalisation, sous toutes ses formes, à travers des missions de prévention, d’accompagnement et de déradicalisation.
C’est en 2017, à la suite des attentats terroristes survenus en 2015 et 2016 en France et en Belgique que le gouvernement, conscient du risque encouru aussi au Grand-Duché, a mis en place la structure Respect.lu, laquelle s’est vu confier trois missions : prévenir la radicalisation, accompagner les personnes en voie de l’être et prendre en charge celles qui le sont déjà pour les déradicaliser et les réinsérer dans la société.
Quatre collaborateurs venus d’horizons professionnels divers travaillent au sein de ce service unique dans le pays, qui prend en charge de manière gratuite et anonyme tout type de radicalisation, tant religieuse que politique ou sociale. «On se saisit de toutes les formes de radicalisation. Mais au Luxembourg, nous avons essentiellement affaire à des radicalisations islamistes ou en lien avec différents spectres politiques, notamment l’extrême droite. En théorie, l’extrême gauche est aussi concernée, mais c’est ici négligeable en termes de chiffres», détaille Nicolas Hirsch, l’un des collaborateurs de Respect.lu.
L’an passé, la structure a pris en charge 39 cas de radicalisation. Des individus de tous âges, jusqu’à plus de 60 ans. Une première toutefois : «Nous avons eu un nombre préoccupant de personnes assez jeunes, à la fin du cycle primaire, c’est-à-dire âgées de 10 à 12 ans», relève Nicolas Hirsch. Les raisons ? Elles sont difficiles à établir : les réseaux sociaux, les médias, des troubles psychologiques, des pressions et des attentes familiales trop lourdes peuvent avoir eu un rôle à jouer. «Nous sommes aussi intervenus dans les écoles, peut-être que la sensibilisation auprès des enseignants explique aussi ces chiffres», pointe Cathy Schwartz, également collaboratrice au sein de Respect.lu, qui précise : «Nous travaillons dans un domaine où les tendances ont justement tendance à changer assez rapidement. C’est très fluctuant.»
Si Respect.lu a déjà été contacté par des personnes radicalisées elles-mêmes ou en voie de l’être, c’est majoritairement l’entourage qui signale des cas suspects ou recherche des conseils auprès de ces professionnels. «Il arrive qu’après analyse de la situation, nous estimions qu’il ne s’agit pas d’un cas de radicalisation», indique Cathy Schwartz. «Mais nous invitons toute personne, que ce soit un membre de la famille, un voisin, un enseignant, un médecin, etc. qui se fait du souci au sujet de quelqu’un, à nous contacter.» «Nous n’allons pas à la recherche active de nos clients, en allant sur les réseaux sociaux par exemple, nous restons en retrait», fait savoir Nicolas Hirsch.
«Une bombe à retardement»
Les collaborateurs proposent ensuite une approche thérapeutique, «au cas par cas, sur la durée». Car la radicalisation elle-même ne surgit pas du jour au lendemain, c’est un processus long, qui dépend de facteurs très divers, comme l’explique Cathy Schwartz : «Il y a des facteurs qui poussent à la radicalisation (push, en anglais) et d’autres qui attirent (pull). Il y a des vulnérabilités d’ordre psychologique, des vécus traumatisants, une recherche d’identité ou d’appartenance à un groupe, la solitude… Un facteur qui joue un rôle important dans nombre de cas, c’est la discrimination, qu’elle soit réelle ou ressentie.»
Pour déradicaliser ces personnes, il n’existe pas de «potion magique», insistent les collaborateurs. Mais ils ont tout de même suivi la formation complète mise en place par l’ONG Violence Prevention Network, une approche qui a montré un faible taux de récidive d’après une évaluation indépendante externe menée sur plusieurs années. Ils échangent aussi régulièrement avec des partenaires internationaux. Mais surtout, «dans un premier temps, l’accent est toujours mis sur l’entrée en relation et surtout le maintien en relation humaine», précise Nicolas Hirsch.
Car c’est peut-être là l’une des clés en matière de prévention et de déradicalisation : le lien social. «Les individus sont souvent en recherche de réponses mais aussi de contacts», relève Cathy Schwartz, qui illustre : «Il a été avéré dans des cas à l’étranger que des liens forts avaient permis d’éviter des situations dramatiques. Comme ce jeune Danois, le seul d’un groupe de jeunes gens radicalisés à n’être pas parti en Syrie, car il avait un lien fort avec son entraîneur et ne voulait pas le décevoir.» Rester un point d’ancrage est essentiel donc, même si l’on ne partage pas l’idéologie de la personne radicalisée, car celle-ci est souvent enfermée «dans un microcosme où on lui répète toujours la même chose».
Un lien social à entretenir d’autant plus en cette période de crise sanitaire, véritable terreau, voire «bombe à retardement» pour la radicalisation, comme le font savoir les experts : «La santé mentale joue un rôle important dans ce domaine. Or avec le Covid, elle est en train de se dégrader. Beaucoup de gens sont vulnérabilisés, ils ont beaucoup d’incertitudes et sont à la recherche de réponses, qu’ils trouvent parfois dans des endroits pas très sains, au milieu de théories complotistes, auprès de personnes qui leur proposent des réponses simples, qui semblent censées. Il faut donc s’intéresser aux gens qui ne vont pas bien, leur proposer quelque chose.»
Respect.lu organisera le 17 décembre une conférence en ligne intitulée «Dialoguer au lieu de haïr – Approches face aux discours de haine», qui portera sur les discours de haine sur les réseaux sociaux, et leurs effets sur les victimes, les auteurs et la société. Information et inscription sur respect.lu.
Tatiana Salvan