Le Quotidien sélectionne cette semaine l’album Zan de Liraz.
Elle est du genre à décloisonner les frontières, à franchir les lignes de front. Une femme de caractère qui, volontairement ou non, rapproche ses pays de cœur qui se tournent aujourd’hui le dos : l’Iran, sa terre d’origine, et Israël, celle d’adoption. Entre les deux, Liraz Charhi joue au grand écart, poursuivant ce sens de l’équilibre délicat jusqu’au petit écran, dans la série Téhéran (créée à Tel-Aviv mais suivie de manière clandestine en Iran) où elle incarne une agent du Mossad (les services secrets israéliens) en pleine interrogation identitaire. C’est finalement un peu son histoire qui se raconte là, celle d’une musicienne-actrice, âgée de 42 ans, née en Israël et dont les parents ont quitté l’Iran peu avant la révolution islamique de 1979.
C’est paradoxalement aux États-Unis, où elle s’est rendue durant trois ans pour apparaître dans plusieurs films à gros budget (A Late Quartet, Fair Game) qu’elle renoue avec ses origines, découvrant sur place une importante communauté iranienne. Mieux, en fouinant dans les bacs des disquaires, elle tombe sur des perles pop persanes des années 60-70. Derrière l’aspect folklorique, il y a surtout ces voix de femmes, affranchies, les mêmes qui peuplent les histoires qu’on lui raconte depuis qu’elle est toute petite. «Elles se sont battues pour leur liberté et je me bats pour la mienne en racontant leurs histoires dans mes chansons», confie-t-elle alors.
Un disque de l’affranchissement
C’est ce qu’elle a fait en enregistrant en 2018 Naz, premier disque où elle délaisse l’hébreu pour le farsi. Dessus, sa voix semble s’y épanouir, comme plus confiante, soulagée en somme par ce rapprochement musical de l’héritage familial. Malgré la satisfaction, Liraz Charhi s’est dit qu’elle voulait aller encore plus loin. Voici donc la suite, Zan (qui signifie «femmes»), dont la réalisation a été une véritable odyssée. En effet, dans sa recherche d’authenticité, elle s’est alors tournée vers des musiciens iraniens basés à Téhéran, les mettant par la même occasion en danger (en mai dernier, le Parlement iranien votait une nouvelle loi interdisant toute coopération avec le régime sioniste).
C’est donc dans le plus grand secret, via une messagerie cryptée, que s’est composé l’album. Pendant un an et demi, les échanges se font dans l’ombre et la crainte d’une répression. Certains musiciens, par peur, jettent l’éponge. D’autres disparaissent en modifiant leur profil sur les réseaux sociaux… Zan s’impose, au vu de ses manœuvres, comme un disque de l’affranchissement : celui qui brave les interdits et brise les murs entre deux «ennemis», mais également celui qui libère la femme de la dictature religieuse.
Une émancipation qui se chante avec tendresse et puissance : ici, quelques morceaux qui font dans la mélancolie nostalgique (Shab Gerye, Dolate Eshg); là, d’autres qui invitent sans retenue à la danse, dynamisés par un son electro-pop fédérateur aux synthétiseurs décapants (les superbes Zan Bezan, Joon Joon, Bia Bia, Hala). Preuve que la tradition et la modernité peuvent s’entendre sans discorde. Liraz Charhi, elle, les magnifie.
Grégory Cimatti