En direct de la Kulturfabrik, capté en «live» pour 100,7 et filmé pour le prochain Eurosonic, le groupe Tuys a inauguré, samedi, le nouveau projet «Aircheck». Ambiance.
Alors que tout le secteur culturel attend, la boule au ventre, les prochaines mesures gouvernementales qui doivent tomber en ce début de semaine, pronostiquant un second confinement, chacun poursuit malgré tout la lutte, à sa manière et avec ses moyens. Jouer pour exister, exister pour survivre, survivre pour ne pas disparaître. Ainsi, samedi, deux acteurs majeurs de ce microcosme, la radio 100,7 et la Kulturfabrik, unissaient leur force dans un tout nouveau projet intitulé «Aircheck». Soit l’invitation, chaque mois, d’un groupe ou d’un(e) artiste qui, sur la scène amicale de la Kufa, s’offre une petite session bienvenue en ces temps de vaches maigres.
Rien de très nouveau, certes, depuis mars et l’affranchissement du streaming, mais là, on pousse l’initiative plus loin, ou plutôt dans des conditions plus proches de ce que l’on doit attendre d’un live. D’un côté, avec un public, il est vrai réduit à une cinquantaine de personnes réparties dans une ambiance feutrée, très jazzy, avec tapis au sol et bougie sur les tables (à distance réglementaire!). De l’autre, avec un enregistrement diffusé en direct sur les ondes nationales. Ce qui ravit l’un des initiateurs, Yves Stephany, voix d’importance à 100,7. «Après un mix, on dénature un peu l’objet original, explique-t-il. Et puis, en musique, on aime quand de petites erreurs arrivent…»
Il y a beaucoup de trucs qui peuvent mal se passer, mais on verra !
À ses côtés, Marc Scheer, nouveau programmateur de la Kulturfabrik, va dans son sens, en bon partenaire : «Avec le direct, il y a de la tension dans l’air. Le groupe sait qu’il sera à la radio à 17 h, et devant un public, même petit. L’état d’esprit n’est pas le même que pour un simple enregistrement, où l’on arrive plus cool.» Même Tuys, en cette fin d’après-midi, n’a pas encore totalement pris la mesure de l’idée, lui qui depuis huit mois multiplie les sessions en streaming, de Differdange à Berlin. «Il y a beaucoup de trucs qui peuvent mal se passer, mais on verra !» confie dans les loges Tun Biever, au clavier et à la guitare, cinq minutes avant de monter en scène. On a pris l’habitude des enregistrements vidéo. On a l’impression qu’en cas de bêtises on va pouvoir rejouer le morceau !» (il rit).
Pas loin de l’agitation des coulisses, du dernier coup de peigne à l’éclaircissement de voix, notre duo revient à la genèse du projet – qui se poursuivra le 26 décembre avec le Benoit Martiny Band (dans une session, pour le coup, préenregistré en octobre, toujours à la Kulturfabrik). Yves Stephany : «Chez 100,7, on avait prévu de faire plus de concerts dans notre grand studio, bien équipé. Mais avec les restrictions, il n’était plus possible d’y faire quoi que soit ! Du coup, on a cherché un refuge…». Après d’autres collaborations (notamment avec les Rotondes ou la Rockhal), la radio se tourne «pour une fois» vers la Kulturfabrik, ravie de l’appel du pied : «Je pense qu’ensemble on peut faire de chouettes trucs», répond tranquillement Marc Scheer.
Il s’est professionnalisé, a des contacts, de l’ambition. C’était le seul choix réaliste
Mieux, pour ce lancement d’«Aircheck», un troisième acteur s’ajoute au décor : le festival néerlandais Eurosonic, cher aux fans d’alternatif et de singularités musicales. Tout comme beaucoup d’autres, ce dernier s’est converti au numérique et réclame à ses invités, pour la prochaine édition fin janvier, un concert radiophonique et filmé. 100,7 s’est donc fendu de caméras (trois en l’occurrence), lui qui est un peu le parrain du groupe pour le coup… «La radio est membre de l’European Broadcasting Union (NDLR : Union européenne de radio-télévision, la plus importante association professionnelle de radiodiffuseurs nationaux) qui, chaque année, nomme un participant pour Eurosonic, confie Yves Stephany. On regarde ça avec music:LX, car il faut que le groupe choisi ait un projet sérieux à défendre.»
Pour lui, pas de doute, Tuys remplit tous les critères. Rappelons que le quatuor s’est fait remarquer cette année en servant A Curtain Call for Dreamers, suite de cinq clips vidéo qui s’enchaînent comme autant d’épisodes d’une minisérie expérimentale. «C’est un groupe qui existe depuis longtemps, ajoute-t-il. Il s’est professionnalisé, a des contacts, de l’ambition. C’était le seul choix réaliste.» Place donc à la réalité du direct, et la formation ne manque pas d’originalité ! Toujours prompt à mettre un peu de «théâtre» dans sa musique, Tuys s’appuie sur un apparat de circonstance : un grand écran et des accessoires, comme une moto sur laquelle pose Yann Gengler, chanteur-bassiste, auquel s’agrippe Mike Tock, au micro pour 100,7.
Face à eux, le ventilateur est prêt à donner l’illusion d’une balade motorisée, cheveux au vent. Le public, lui, comme sur un plateau de cinéma amateur, semble attendre le clap et le mot «action». Mais rien ne vient. Ou plutôt si, le flash d’information de 17 h de 100,7… Car à la radio, tout est une question de synchronisation et, pour ne pas louper son entrée en matière, mieux vaut se caler sur les ondes! L’auditoire découvre donc, sur haut-parleurs, les nouvelles toutes fraîches : le confinement en Europe, les violences à Kaboul et, pour finir, la météo ainsi qu’une annonce sur la dépression qui guette… Ça ne s’invente pas ! Un moment ubuesque que Tun Biever accueille, de son piédestal, d’un «good vibes» ironique et résigné.
Qui sait, c’est peut-être le dernier concert de l’année !
Après l’introduction sur deux-roues, finalement arrivée, Tuys fait le travail, comme on dit, en bon connaisseur de la chose (il suffit de voir son programme de janvier). Une heure de set maîtrisée en mode pop-rock, sans fausse note, et garnie d’une nouvelle chanson. C’est que le groupe s’est donné les moyens, s’étant entraîné trois jours durant à la Kulturfabrik. «Ce n’est pas rien, cette soirée, lâche le musicien. C’est à la fois un concert devant un public, une session vidéo et une diffusion à la radio !» Alors autant offrir quelque chose de «particulier», surtout en cette étrange période qui prive les groupes de leur raison d’être : la scène. «C’est frustrant, mais il faut trouver de nouveaux concepts, être créatif pour s’adapter à la situation», relativise Tun Biever, bien décidé, comme son groupe, à aller de l’avant.
D’ailleurs, il n’est pas question de partir si facilement de scène et, tandis que 100,7 reprend le cours de son programme, Tuys refait une prise de son lancement, toujours avec la moto, et toujours avec un de ses morceaux «catchy», comme le rappelle Marc Scheer. Lui aussi savoure le moment, car il ne sait pas de quoi demain sera fait : «Qui sait, c’est peut-être le dernier concert de l’année… On en a d’ailleurs un prévu mercredi (NDLR : Compro Oro), mais on attend de voir si c’est possible de le faire. C’est compliqué pour tout le monde.» Et pour lui ? «Ce n’est pas évident : on planifie, on reporte et ainsi de suite… On ne peut plus se projeter !» Comme beaucoup de ses pairs culturels, il appréhende donc, à raison, les jours à venir et un nouveau confinement qui «ferait mal». Un autre aléa du direct, moins récréatif celui-là. Et quand le samedi soir prend doucement fin à 19 h, on se dit que, oui, les temps sont durs.
Grégory Cimatti