Aide-soignante dans une maison de soins dans le sud du pays, Valérie*, déjà contactée en mai dernier, témoigne une nouvelle fois de son quotidien face au Covid-19.
«On n’est pas préparés à ça.» Le 18 mai dernier dans Le Quotidien, Valérie*, aide-soignante depuis 25 ans, racontait son quotidien dans une maison de soins du sud du pays depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19. Son stress, ses peurs, ses nouvelles habitudes… Et surtout son combat, celui de ses collègues et des pensionnaires face au virus. «Chaque jour qui passe sans cas est une victoire», disait-elle.
Six mois plus tard, le coronavirus est toujours présent dans le pays. Et il a fait son entrée dans la maison de soins de Valérie : «On a tenu neuf mois sans cas. On pensait passer à côté… Mais il est entré dans la maison au début du mois de novembre. Treize résidents ont été infectés et deux sont décédés…» Elle marque une pause. «À l’annonce du premier cas, on a eu peur… On a toujours peur.» Elle poursuit : «Les cas sont apparus au sein de deux services de la maison de soins, dont le mien. Mais mon service ne compte qu’un cas. L’autre est très touché. On ne sait pas comment le virus est entré. Qui peut le savoir? Que sait-on vraiment de ce virus?»
Les deux services de la maison de soins de Valérie, âgée de 50 ans, ont été mis à l’isolement, mais «le reste de la maison de soins fonctionne normalement. Hormis l’obligation de porter le masque, c’est comme avant depuis septembre. Je ne comprends pas.»
Valérie s’interroge : «Pourquoi on n’a pas gardé les mesures prises au printemps? Elles étaient efficaces… Et aujourd’hui, on sent un vrai relâchement dans la population. On voit des choses incompréhensibles. Il y a certains visiteurs qui viennent voir leur parent et par exemple quand ils sont dans le jardin, ils enlèvent le masque et sont très proches de leur parent… C’est de l’inconscience, de la bêtise humaine. Les gens ne sont pas raisonnables, c’est comme des enfants à qui on interdit quelque chose et ils le font quand même. Je ne comprends pas. Oui, il y a des polémiques autour de ce virus. Mais les chiffres des infections, des décès, des hospitalisations… qui tombent tous les jours, et le fait que les personnes âgées soient les plus vulnérables et touchées par le coronavirus, tout le monde peut le comprendre, non?»
«On est épuisés, à bout de souffle»
Cette semaine, une troisième personne de la maison de soins de Valérie est décédée à l’hôpital à cause du coronavirus. Et tous les résidents ont été testés. Il y a encore une douzaine de cas Covid-19, toujours dans les deux mêmes services de la maison de soins. «Ces deux services restent confinés, souligne l’aide-soignante. On se bat, on respecte les mesures, on est solidaires entre nous, on fait tout pour éviter de l’attraper… Je vais vous dire, personnellement, je me sens plus en sécurité dans mon service confiné que dehors.»
Elle complète : «C’est très compliqué physiquement et moralement. Il y a une dizaine de jours, j’étais très angoissée avant d’aller au boulot. Il y a la peur de mettre mes proches en danger. Le personnel soignant a eu quatre mois de répit dans cette crise. Mais on n’a pas récupéré. On manque de personnel. On est épuisés, à bout de souffle.» Il y a aussi eu des cas au sein du personnel soignant de la maison de soins : «Cinq (NDLR : 700 soignants de maisons de soins ou de retraite ont été infectés depuis le début de la crise selon les chiffres donnés à la Chambre des députés mardi), dit Valérie, mais ils ont tout de suite été écartés et dès qu’on a le moindre doute, on ne vient pas. On fait des tests régulièrement. Moi, j’en fais un tous les 15 jours. On fait tout pour protéger les résidents et nos proches.»
L’aide-soignante a aussi suivi mardi le débat à la Chambre des députés sur les maisons de soins (lire notre édition de mercredi). «Les chiffres qu’ils ont donnés parlent d’eux-mêmes : 125 résidents de maisons de soins sont morts du coronavirus depuis le début de la crise sanitaire sur 240 décès en tout, et sur ces 125 décès, il y en a 57 qui sont morts depuis octobre. Et au total, il y a eu 846 infections depuis le début de la crise (NDLR : chiffres de mardi). Tout est dit. Ils ne veulent pas reconfiner à cause du côté émotionnel, mais c’est mettre en danger les résidents de maisons de soins. La Copas a mis en place des scénarios, mais rien n’est imposé aux maisons de soins. Même si nous avons reçu du matériel, nous ne sommes pas des hôpitaux. J’ai l’impression de ne pas vivre dans le même monde que ceux qui décident. On se sent un peu abandonnés.» Elle s’arrête un temps avant de reprendre : «Je ne sais pas… L’incertitude est totale…»
Guillaume Chassaing
* L’aide-soignante d’une maison de soins du pays interrogée a souhaité garder l’anonymat.