Un port transformé en campement de fortune, des migrants transférés de manière précipitée dans des hôtels ou d’anciennes installations militaires: la crise migratoire continuait de plus belle mercredi dans l’archipel des Canaries, exposant le gouvernement espagnol aux accusations d’improvisation et d’incompétence.
Depuis le début de l’année, plus de 16.700 migrants africains sont arrivés dans cet archipel de l’Océan atlantique au large des côtes nord-ouest du continent africain, soit onze fois plus que durant la même période de l’an dernier, selon le ministère de l’Intérieur espagnol.
Au mois 500 personnes ont péri durant ces tentatives de traversée extrêmement dangereuses, selon le gouvernement régional des Canaries.
La crise est centrée actuellement sur Arguineguin, un petit port situé sur l’île de Grande Canarie, l’une des sept îles de l’archipel.
Depuis plusieurs jours, ce port abrite environ 2.000 migrants dans des tentes de campagne où ils sont testés pour le Covid-19, selon les estimations des organisations humanitaires. On leur fournit de l’eau et de la nourriture, mais leurs conditions de vie sont exécrables, d’après ces organisations.
– Autorités régionales dépassées –
« Un quai n’est en aucun cas l’endroit idoine pour s’occuper de personnes avec la dignité qu’elles méritent, et quand il y en a plus de 2.000, c’est très difficile », déclare à l’AFP José Javier Sánchez, sous-directeur de la Croix rouge chargé de l’Inclusion sociale.
Les arrivées de migrants ne donnent aucun signe de ralentissement, puisqu’il y en a eu plus de 630 en une vingtaine d’opérations de sauvetage depuis mardi à 06H00 FMT, d’après les chiffres de « Salvamento Marítimo », une organisation de secours en mer.
M. Sánchez explique que chaque jour, la Croix rouge sort d’Arguineguin entre 300 et 400 migrants pour les reloger dans des hôtels voisins désertés par les touristes en raison de la crise du Covid-19.
Mais il avertit que « si les chiffres (d’arrivée) restent ce qu’ils sont », ça ne pourra pas continuer faute de moyens. « Nos équipes sont épuisées et font tout ce qu’elles peuvent sur le plan humanitaire, mais dans des conditions très difficiles ».
Les autorités régionales admettent qu’elles sont dépassées et s’estiment abandonnées par Madrid.
Au point que le président de l’archipel, Ángel Víctor Torres, a lancé mercredi un appel pressant au gouvernement central pour que des migrants soient transférés de manière « urgente » sur la péninsule.
Il a aussi exhorté l’Union européenne (UE) à « définir quel modèle (migratoire) elle veut pour l’avenir ».
« Nous avons prévenu dès septembre qu’il y avait une augmentation des arrivées », mais le gouvernement espagnol a attendu que les conditions des migrants deviennent « inhumaines » pour « commencer à prendre des mesures », déplore Virginia Álvarez, une responsable d’Amnesty International.
Mercredi, les autorités ont annoncé qu’elles allaient transférer quelque 200 des migrants d’Arguineguin vers un ancien entrepôt de l’armée proche de Las Palmas, transformé récemment en campement.
Le but du gouvernement du socialiste Pedro Sánchez est à terme d’évacuer tous les migrants d’Arguineguin, mais l’objectif paraît ambitieux alors que le nouveau campement ne peut guère accueillir actuellement plus de 200 personnes.
« Espérons que le but de ce campement ne soit pas simplement de cacher ces personnes au public », affirme Mme Álvarez, qui demande également qu’on garantisse le droit d’asile aux migrants remplissant les conditions et qu’on offre une aide juridique à ceux risquant l’expulsion.
« Prendre les choses en main »
Le ras-le-bol des autorités locales a été porté à son comble mardi quand la police a laissé 227 migrants originaires de pays du Maghreb sortir du port d’Arguineguin alors qu’ils n’avaient nulle part où aller.
Après être restés plusieurs heures sur une place de Las Palmas, ils ont finalement pris place dans des bus affrétés dans la précipitation par les autorités locales et ont été conduits dans des hôtels.
M. Torres, le président régional des Canaries, a admis que cet incident avait donné lieu à des scènes de « xénophobie », même si, a-t-il assuré, les exemples de « solidarité » avec les migrants ont été plus nombreux.
« J’appelle le gouvernement espagnol à prendre les choses en main de manière urgente », a lancé Onalia Bueno, maire de la petite localité de Mogán, où se trouve Arguineguin.
Au Parlement, l’opposition conservatrice s’en est donné à coeur joie mercredi, accusant le gouvernement d’amateurisme et d’incompétence et s’acharnant sur le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, dont elle a exigé en vain la démission.
AFP