Trop souvent encore, le corps noir interroge, suscite la méfiance, voire le mépris, et des discriminations. Une réalité qu’ont souhaité combattre quatre Luxembourgeoises d’origine capverdienne qui se sont associées l’an passé pour mettre sur pied le réseau Finkapé dans le but de donner plus de visibilité aux citoyens afro-descendants et racisés du pays mais aussi de lutter pour faire respecter leurs droits.
«Notre objectif était de parler de racisme, de la diaspora africaine, des défis que rencontrent ces personnes, de sensibiliser le grand public et de mener une action sociale», explique Antonia Ganeto, enseignante, présidente et porte-parole de Finkapé, qu’elle a fondé avec sa sœur Aldina Ganeto, Mirlène Fonseca Monteiro, assistante sociale, et Jennifer Lopes, artiste pluridisciplinaire,
C’est la conférence du 13 novembre 2019 sur le thème «Being Black in Luxembourg» qui va mettre un coup de projecteur sur le tout jeune réseau, grâce à l’étude menée par Mirlène Fonseca sur le vécu et le sentiment de discrimination de jeunes Cap-verdiens au Grand-Duché. La plateforme informelle devient alors en juin dernier une ASBL, afin de peser plus dans la balance («En groupe, on a plus de poids») et ainsi mieux faire entendre la voix des Afro-descendants du pays en leur donnant directement la parole. «Ce sont souvent des Blancs qui parlent à notre place, or c’est important que nous puissions aussi parler en notre nom. Nous voulions par la création de cette association souligner que nous faisons partie de la société luxembourgeoise», relate Antonia Ganeto.
Ils sont en effet nombreux ceux qui, à l’instar d’Antonia Ganeto, ont le sentiment de ne pas être considérés comme des citoyens luxembourgeois à part entière. La présidente de Finkapé est arrivée à l’âge de cinq ans au Luxembourg. Elle parle les différentes langues du pays et exerce le métier d’enseignante. Et pourtant… «J’ai fait ma vie, mais je sais que j’ai dû travailler plus que d’autres. Et je ne suis toujours pas perçue comme une Luxembourgeoise. Régulièrement, malheureusement, ma couleur de peau va constituer un frein. On va me renvoyer, me réduire à cette couleur. Malgré mes compétences par exemple, on va me prendre pour la secrétaire, des étudiants vont me traiter de macaque, les concierges des collèges où je me rends, se méfier et ne pas ouvrir la porte – ce qu’ils ne font pas avec mon collègue blanc.»
Pourtant, Antonia Ganeto se sent privilégiée : elle, en tant que formatrice en interculturalité, «possède les compétences pour se défendre», tandis que d’autres, du fait de leur compétences langagières ou de leur classe sociale, n’en ont pas les moyens. C’est pour aider aussi ceux-là que Finkapé mène une action sociale et un plaidoyer politique. Le logement, l’éducation, la discrimination au travail… autant de champs dans lesquels les militants de Finkapé s’engagent pleinement, en sus des actions culturelles destinées à valoriser les artistes et la représentation des personnes noires, afro-descendantes et racisées.
Racisme structurel
«Le racisme structurel est un concept dont on parle peu, mais qui est pourtant bien présent. Le déni existe dans la plupart des pays européens, mais la particularité du Luxembourg, c’est qu’il se targue de n’avoir pas eu de colonies et donc de ne pas avoir été influencé par cet imaginaire. En outre, ici, on se cache derrière la prétention d’une société multiculturelle dans laquelle il n’y aurait pas de frontières. Pourtant dans les faits elles existent, surtout au niveau de l’éducation. Le système scolaire n’est pas adapté à la majorité des élèves, beaucoup y ressentent de la discrimination. Par exemple, plus de 60 % des élèves ont une autre langue maternelle que le luxembourgeois et les Afro-descendants risquent d’être orientés vers d’autres voies que celles qu’ils désirent.»
Antonia Ganeto dénonce une discrimination «indirecte, insidieuse», qui ne peut être combattue que par la sensibilisation du grand public et l’éducation mais aussi par l’action, notamment au niveau politique. D’ailleurs, Finkapé en créole capverdien, signifie aller de l’avant avec détermination, agir plutôt que subir… «Nous souhaitons prendre la parole pour qu’une loi soit élaborée en faveur d’un changement», souligne la porte-parole.
Pour cela, Finkapé milite pour qu’un état des lieux soit fait, et ce, grâce à la mise en place de statistiques ethniques qui permettraient d’identifier clairement les problèmes. L’ASBL ne cache pas non plus sa volonté de favoriser la présence d’afro-descendants «dans les postes décisifs, à l’école, dans les médias, en fonction des compétences bien sûr», donc d’instaurer des quotas. «Je suis persuadée qu’il faut un coup de pouce. On le voit très bien dans la représentation des femmes. S’il n’y avait pas les quotas, on n’en serait pas là. Si la personne est compétente, il faut prôner une forme de discrimination positive», exprime Antonia Ganeto, qui souhaite également que soient intégrées d’office des formations à l’interculturalité dans le cursus des personnes en contact avec le public et des futurs enseignants. «Il faut aussi analyser les manuels d’histoire, pour jauger la représentativité des Afro-descendants ainsi que le rapport à l’esclavage et au colonialisme.»
Aujourd’hui, le comité exécutif de l’ASBL est composé de 14 personnes, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, aux origines diverses : Cameroun, Côte d’Ivoire… C’est aussi un cocon pour les personnes racisées. «Il faut que nous ayons un espace où nous allons panser nos plaies, parler entre nous, de nos racines et de notre culture. On est tout de suite taxés de communautarisme, par contre lorsque les Blancs sont entre eux, ce n’est pas remis en question.»
Tatiana Salvan