L’eurodéputé Christophe Hansen est le rapporteur du Parlement européen pour l’accord commercial que l’UE cherche toujours à conclure avec le Royaume-Uni. Le jeune élu dresse les lignes rouges qui ne seront pas à transgresser. Il revient aussi sur la nouvelle PAC et le budget de l’UE.
Il fait partie des députés européens les plus en vue ces derniers mois. Christophe Hansen (CSV) s’est retrouvé aux premières loges pour négocier le Brexit et la nouvelle politique agricole commune (PAC). Le climat mais aussi l’avenir de son parti sont d’autres sujets que l’élu de 38 ans suit de près.
L’explosion des nouvelles infections au coronavirus fait que presque l’Europe tout entière est aujourd’hui teintée de rouge. Est-ce que l’UE est mieux préparée à faire face à cette deuxième vague de contaminations ?
Le repli sur soi et la fermeture de frontières étaient des décisions de responsables politiques qui n’étaient en rien préparés à ce genre de crise sanitaire. Cette façon d’agir illustre le désespoir qui a régné parmi les États membres. Rien de tout cela n’a été décrété par la Commission européenne. Les États membres refusent, à tort ou à raison, d’accorder plus de compétences à Bruxelles. Même encore aujourd’hui, le respect de règles communes fait encore trop défaut. Les recommandations du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ne sont pas suffisamment prises en compte.
Vous êtes rapporteur du Parlement européen pour les relations post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’UE. Les négociations étaient au bord de la rupture avant de reprendre au milieu de la semaine dernière. Est-ce que le bout du tunnel se rapproche enfin ?
Je dirais que la perspective était encore bien plus sombre il y a quelques semaines. La décision du Royaume-Uni de revenir dans le cadre d’une proposition de loi sur certains engagements actés dans l’accord de retrait (NDLR : « Internal Market Bill », ou loi sur le marché intérieur) a constitué un affront. On pourrait même affirmer qu’une bombe atomique a été déposée sur la table des négociations. Le gouvernement britannique était pleinement conscient que cette loi constituait une transgression du droit international. Il est inacceptable de revenir en arrière sur un accord entretemps ratifié par le Parlement européen et le Parlement britannique. Le respect de l’accord de retrait constitue la condition sine qua non pour tout futur accord commercial car il est la base pour protéger le marché intérieur européen, faire perdurer l’accord de paix sur l’île irlandaise et maintenir la confiance mutuelle.
Le fait que la crise sanitaire ait plombé l’économie britannique pourrait changer la donne
La confiance envers le camp britannique, mise à rude épreuve, est-elle aujourd’hui rétablie ?
Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a émis une troisième deadline artificielle en amont du sommet européen du 15 octobre. Nous ne l’avons pas vraiment pris au sérieux connaissant entretemps leur stratégie de négociation. Quoi qu’il en soit, le Brexit va constituer une rupture majeure. Avec ou sans accord, des barrières supplémentaires vont être érigées. Le Brexit aura un impact économique qui pourrait tout au plus être amorti par un accord de libre-échange. Le fait que la crise sanitaire ait plombé l’économie britannique pourrait changer la donne. La pression qui pèse sur Boris Johnson est déjà importante. Elle ne ferait qu’empirer si le Brexit se soldait par un no deal. En sachant que le camp américain se montre aussi très critique au sujet de la loi sur le marché intérieur, il est très peu probable de voir Londres torpiller simultanément les relations avec ses deux principaux partenaires économiques.
Quels sont les principaux points de discorde qui restent à résoudre ?
Le gouvernement britannique doit retirer définitivement sa proposition de loi sur le marché intérieur. Il est également hors de question que l’on accepte du dumping social, fiscal et environnemental. Mais les choses ont bien évolué. Des accords sur la participation du RoyaumeUni au programme de recherche Horizon Europe ou encore le programme de mobilité pour étudiants Erasmus sont sur le point d’être finalisés. La mobilité constitue, par contre, encore un enjeu majeur. Les Britanniques ont un grand intérêt à trouver des solutions pragmatiques. D’immenses parkings sont d’ores et déjà en cours de construction pour pouvoir accueillir les poids lourds qui resteront bloqués pendant des jours à la frontière avec l’UE. Même avec un accord, les procédures douanières vont devenir plus lourdes. Nous leur avons soumis une proposition sans précédent pour acter le principe mutuel « pas de taxes, pas de quotas » or cette dernière aura un prix : des conditions concurrentielles équitables (NDLR : « level playing field »).
Vous avez avancé, mercredi dernier en plénière du Parlement européen, début novembre comme date butoir. Il resterait donc moins de deux semaines pour trouver un accord.
C’est en effet une échéance à court terme, mais la date n’est pas choisie au hasard. Le Parlement européen s’était au départ fixé le mois d’octobre pour boucler les négociations. En raison des provocations émanant de Londres, on a pris un certain retard. Le Parlement aura besoin de deux mois pour ratifier l’accord d’association, qui doit entrer en vigueur début 2021.
Des échos vous sont-ils parvenus depuis Londres où les négociations se sont prolongées tout au long du week-end ?
Je suis assez optimiste car très peu d’éléments ont filtré. On n’a pas enregistré de fuites pouvant déboucher sur de nouvelles provocations. Le calme règne, ce qui est bon signe pour la teneur des négociations qui sont engagées. Le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, vient d’ailleurs de nous demander d’obtenir un petit délai supplémentaire. Il semble donc disposer d’un échéancier précis afin de sceller un accord qui couvrira au moins les points les plus sensibles.
Peut-on affirmer qu’un camp risque de perdre plus en cas d’un échec des négociations ?
Il s’agit d’une affaire où les deux camps ne peuvent que sortir perdants. À défaut d’un accord global, des accords sectoriels devraient être négociés par les deux blocs. Les Britanniques savent très bien qu’ils peuvent nous diviser sur la question de la pêche qui ne concerne que six ou sept pays. Il en va de même pour les services financiers. Il est probable que le résultat final ressemblera à une négociation de marchands de tapis, qui pourra être vendu par chaque camp comme une victoire.
Le temps presse. On ne pourra pas temporiser éternellement
Les chefs d’État et de gouvernement sont parvenus, en juillet, au bout d’une négociation marathon à un accord sur le budget à long terme de l’UE pour les années 2021 à 2027. La balle se trouve désormais dans le camp du Parlement européen. Quelle est votre appréciation de cette enveloppe de 1 074 milliards d’euros, accompagnée du Fonds de relance postCovid de 750 milliards d’euros ?
Dès le départ, le Parlement a fait entendre sa voix sur cette double enveloppe budgétaire. Une série de critiques a déjà été formulée. Je citerais la création de l' »Union de la santé », annoncée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union. Pour la mettre en place, un budget conséquent doit être mis à la disposition de la Commission. Or le fossé entre ce qui a été requis et ce que le Conseil européen compte accorder comme budget est énorme. De 9,4 milliards d’euros, on est passé à 1,7 milliard d’euros. Nous sommes confrontés à d’énormes défis, notamment dans le domaine du climat, mais en même temps, les moyens pour investir dans la recherche et les nouvelles technologies sont coupés. Ce n’est pas très cohérent ce que le Conseil européen nous a soumis comme projet de budget.
Le Parlement a plus particulièrement haussé le ton en ce qui concerne le respect du mécanisme liant étroitement le versement des fonds européens au respect de l’État de droit. Le compromis qui se trouve sur la table est toujours fustigé par les eurodéputés. Pourquoi ?
Le Parlement est très déçu de ce qui se trouve sur la table. Nous souhaitons aller plus loin en rendant obligatoire le respect de ce mécanisme. Il faut voir jusqu’où il nous sera encore possible de pousser pour obtenir un accord acceptable. Le temps presse. On ne pourra pas temporiser éternellement. Il serait irresponsable de bloquer un réel progrès, aussi petit soit-il, car on n’a pas pleinement eu satisfaction. La politique européenne ne fonctionne pas ainsi. Au Parlement, on ne dispose pas de véritable majorité gouvernementale comme c’est le cas dans les Parlements nationaux. Pour chaque dossier, des majorités doivent se dégager pour adopter les compromis durement négociés.
Dans ce contexte, vous avez récemment dénoncé la bataille entre les différentes fractions sur les pourcentages de réduction de gaz à effet de serre. La Commission européenne se montre très ambitieuse, certains États membres également. Qu’en est-il du Parlement ?
La volonté de la Commission est d’atteindre la neutralité carbone jusqu’en 2050. Il nous faut désormais voir comment relever ce défi. Jusqu’à présent, il était prévu d’atteindre d’ici 2030 une réduction de 40 % des gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. Cette trajectoire n’est pas suffisante pour atteindre zéro émission en 2050. En tenant compte des connaissances scientifiques et des moyens technologiques qui sont à notre disposition, une réduction de 55 % d’ici 2030 est faisable, à condition de produire de très importants efforts. Cette position est partagée par le gouvernement luxembourgeois.
En tant que CSV, nous la défendons aussi au Parlement européen, contrairement à l’ensemble de nos collègues eurodéputés représentant les partis de la majorité tricolore. Ils ont voté pour une réduction de 60 %, 65 % ou même 70 %, ce qui à mes yeux constitue une surenchère contre-productive.
Vendredi, le Parlement européen a adopté la nouvelle politique agricole commune. Très rapidement, les représentants des agriculteurs tout comme les ONG sont montés au créneau pour dénoncer l’accord trouvé. En tant que rapporteur du projet, pouvez-vous partager les critiques émises ?
L’accord trouvé entre les trois grandes fractions (NDLR : conservateurs, socio-démocrates et libéraux) retient que 60 % des subsides directs restent liés à des critères pour une agriculture durable et qu’au moins 30 % des paiements seront liés à des obligations environnementales accrues (NDLR : « eco-schemes »). La Commission a visé un allègement des procédures avec une plus grande flexibilité pour les États membres. Il nous faut avancer sur la PAC. Le compromis trouvé est raisonnable. En rejetant l’accord, on resterait bloqué sur le système actuel, qui est également fustigé par les ONG, et qui ne permettrait en rien d’améliorer la protection du climat et de la biodiversité. Les agriculteurs ne sont pas vraiment satisfaits de la nouvelle PAC, les ONG non plus, ce qui en fin de compte démontre que nous avons probablement trouvé le juste milieu.
Il faut comprendre que le Parlement européen n’est pas à assimiler à une « décharge » pour politiciens en fin de carrière
Ces dernières années, le Parlement européen semble avoir pris du galon face au puissant Conseil européen. Cette émancipation sera-t-elle durable ?
Il suffit de regarder le Brexit, où le Parlement joue un rôle très déterminant. On est en quelque sorte le garde-fou qui peut s’opposer en dernier lieu à un éventuel non-respect de l’accord de retrait par le camp britannique. Nous avons pleinement conscience du rôle qui nous incombe. Dans le cadre de la prochaine Conférence sur le futur de l’Europe, il sera important d’ancrer les listes transnationales et le mécanisme de tête de liste. Je regrette fortement que le président français, Emmanuel Macron, qui ne disposait pas encore de famille politique au Parlement, ait décidé de tourner le dos au mécanisme des têtes de liste pour désigner le président de la Commission européenne. Il est dans l’intérêt de nous tous que l’UE soit mieux comprise et mieux appréhendée par les citoyens. J’espère que Jean-Claude Juncker (NDLR : tête de liste des conservateurs du PPE en 2014) ne restera pas le premier et le dernier à accéder grâce à ce mécanisme à la tête de la Commission.
Vous faites partie des rares jeunes à figurer parmi les élus du CSV. Le parti a-t-il raté le renouvellement de ces rangs lors de ces dernières années ?
Chaque mandataire doit savoir s’il est encore à la hauteur ou pas et prendre la décision qui sert le plus l’intérêt de notre parti. Je ne veux pas juger cela. Le CSV a présenté une liste très courageuse et très jeune aux européennes de 2018. Il faut comprendre que le Parlement européen n’est pas à assimiler à une « décharge » pour politiciens en fin de carrière. Je suis d’ailleurs pour que plus de politiciens ambitionnent à intégrer le Parlement européen avant de revenir dans la politique nationale. Il est important de changer son point de vue. Néanmoins, le renouveau au CSV est engagé. Il est plus compliqué de le faire en faisant partie de l’opposition. Des jeunes comme Elisabeth Margue ou Jeff Bohnen se trouvent toutefois dans les starting-blocks en tant que premiers substituts dans leurs circonscriptions respectives. Un grand nombre de jeunes sont déjà engagés sur le plan communal, avec notamment Vincent Reding et Jempi Hoffmann comme bourgmestres, ce qui constitue une bonne base pour les élections à venir.
Entretien avec David Marques