Le Bâtiment IV sera un des endroits phares d’Esch 2022. En attendant que des associations prennent possession du lieu, le collectif Cueva a invité une centaine d’artistes à y préparer une exposition.
Bruit de perceuse, odeur mélangée de peinture et de renfermé, électriciens et rouleaux de câbles… Il règne une ambiance de chantier au Bâtiment IV. Un joyeux chantier protéiforme orchestré par Théid Johanns et son collectif Cueva qui débouchera sur la toute première exposition du lieu en amont d’Esch 2022 – capitale européenne de la culture.
Cet ancien bâtiment administratif d’ArcelorMittal émerge d’un long sommeil au beau milieu du domaine Schlassgoard aux portes des friches d’Esch-Schifflange. Les plaques de métal obstruant ses fenêtres (pour des raisons de sécurité) lui confèrent une impression de léthargie. Des graffiti aux couleurs électriques sur sa façade annoncent le contraire. Dans l’entrée, de larges aplats de bleu cassent l’austérité du lieu et donnent le ton de ce qui s’y trame.
Le Bâtiment IV prêté pour trois ans par ArcelorMittal à l’association frESCH, créée cette année pour donner corps à la stratégie culturelle de l’administration communale d’Esch-sur-Alzette, est amené à devenir un tiers-lieu culturel le temps d’Esch 2022. Soit, selon la commune, «un lieu de rencontres et d’expérimentations collectives, sans activité étiquetée, dont les espaces sont donc non figés, afin que des usages non programmés puissent trouver leur place, au fil du temps». Bref, «un lieu de culture(s), de vie, de rencontres et de formation continue». Spontanéité, création et inclusion sociale sont à l’ordre du jour.
Pour inaugurer ce concept, le collectif Cueva a été choisi. Il aime investir les lieux insolites et délaissés : Quartier 3, Zaepert, Uecht, Lankelz et le vieux Esch se sont succédé ces dernières années. Le Bâtiment IV est un nouveau terrain de jeu où explorer et expérimenter la création en tout genre en totale autonomie. Le collectif, également composé de Jeff Keiser et Daisy Wagner, a donc choisi 106 artistes plasticiens luxembourgeois et étrangers aux disciplines variées et les a installés qui dans une pièce, qui dans une cage d’escalier, dans un couloir, dans un local technique… Le bâtiment est occupé de la cave au grenier, jusque dans les toilettes et les recoins les plus sombres et les plus étroits. Chaque mètre carré est occupé ou presque.
«À la recherche d’artistes géniaux du coin»
Les préparatifs de l’exposition qui, «si Covid le veut» comme dit Théid Johanns, aura lieu du vendredi 13 novembre au dimanche 6 décembre, sont dans leur dernière ligne droite. Certaines installations sont déjà en place, d’autres pièces attendent d’être investies, d’autres projets sont en cours de réalisation. Jeudi matin, le photographe Pepe Pax déboulait dans le hall, une photographie presque aussi grande que lui sous le bras. Quelques minutes plus tard, Katarzyna Kot arrivait à son tour chargée de pinceaux.
«Nous sommes arrivés au maximum possible en termes d’exposition collective», indique Théid Johanns. La dernière, Aal Esch, regroupait 55 artistes. «Je cherche de nouvelles idées pour aller dans une autre direction.» Le choix des artistes participants comme Sandra Biewers, Melting Pol, Emile Hengen ou encore les frères Sanctobin, a eu lieu par vagues. «Au début, on a pensé aux artistes que nous connaissions. Eux-mêmes en connaissaient d’autres… Nous avons également fait des recherches sur les réseaux sociaux», explique-t-il, interrompu par la sonnerie de son téléphone. «Je surfe sur les réseaux à la recherche d’artistes géniaux du coin. Nous nous réunissons, mes acolytes et moi-même pour faire la sélection finale, en nous montrant les artistes découverts en fonction du nombre dont nous avons besoin et des styles recherchés.»
Cent soixante artistes ont été contactés au-delà de la Grande Région. D’autres ont contacté le collectif. «Le spectre d’Esch 2022 attire des artistes qui considèrent la participation à notre exposition comme un pied dans la porte. Nous avons dû refuser pas mal de monde. Nous n’avons pas la place», note Théid Johanns. Pourtant, les couloirs plongés dans l’obscurité semblent infinis et l’espace inépuisable.
Quant à participer à Esch 2022 ce n’est pas une fin en soi pour le collectif. «Nous n’avons pas de projet pour Esch 2022. Y participer n’est pas une obligation. Il y aura une année 2023», indique l’artiste aux allures de Viking que les procédures pour participer, les dossiers et les documents à remplir, fatiguent rien qu’à les évoquer. Pourtant, le collectif avait tenté sa chance en collaboration avec le CIGL avec un projet de village éphémère baptisé «Community of Egos».
«Pas de thème, pas de fil rouge»
«Le projet a été refusé et c’est tant mieux. Nous nous serions trahis en y participant», affirme l’artiste. «Notre idée a été reprise en partie pour le Bâtiment IV. Nous proposions l’ouverture d’un bistrot et d’un restaurant pour attirer les gens et les faire rester, inviter des musiciens, improviser des bœufs, des projections sur les murs… Pas de programme. Les gens passeraient voir ce qui s’y passe parce qu’ils sauraient qu’il s’y passe toujours quelque chose. Ce n’est sans doute pas ce qui va se passer ici parce que les associations fermeront boutique à 18 h.» Pour l’Eschois, le projet tel qu’il a été retenu ne créera pas de lien social.
Épris de liberté, le collectif n’a pas souhaité imposer de thème aux artistes invités. «Cela crée une concurrence indirecte malsaine. Pas de fil rouge ici. Nous ne sommes pas dans une école Waldorf. La liberté devient une denrée rare. Ici, chacun s’exprime comme il le souhaite», assure le chef d’orchestre du projet qui a passé ses trois derniers mois dans sa cave sur le site à peaufiner son œuvre inédite. «Je ne suis pas payé, c’est de l’idéalisme pur pour faire en sorte qu’il se passe quelque chose. Cela permet aux artistes de faire connaissance, de réfléchir à des collaborations, d’amorcer une scène artistique.»
Quand l’exposition sera terminée, le lieu sera transmis à des associations telles que Hariko, TransitionMinett, Independent Little Lies, entre autres. La commune d’Esch souhaite que le lieu serve aux Eschois «à expérimenter des solutions visant à créer une société solidaire, ouverte aux droits culturels mais aussi prête aux transitions et aux crises qui nous attendent». «Nous partirons. Nous n’aimons pas rester dans une institution où tout est réglé», affirme le membre de Cueva.
Rendez-vous le vendredi 13 novembre de 14 h à 21 h si le Covid-19 ne tire pas un trait sur l’exposition. «Ce serait dommage… tout ce travail fait pour rien. On nous a proposé de filmer l’exposition et de lancer des visites virtuelles, mais cela n’amène rien.» Théid Johanns reste cependant optimiste. L’exposition peut être visitée du vendredi au dimanche jusqu’au 6 décembre inclus.
Sophie Kieffer