Comédie dramatique, film historique, «feel-good movie» : Misbehaviour, de Philippa Lowthorpe, est tout cela. C’est aussi une œuvre engagée qui relate l’improbable déroulement du couronnement de Miss Monde 1970 à travers les prismes du cinéma britannique populaire et du féminisme.
Il existe beaucoup de mots pour décrire le concours de Miss Monde 1970 : farce, scandale, chaos, révolution… Le concours de beauté qui était, à l’époque, le programme le plus regardé dans le monde (retransmise en direct du Royal Albert Hall de Londres, cette édition a été regardée par environ 30 millions de téléspectateurs) a cristallisé, ce soir du 20 novembre 1970, toutes les peurs de son époque, quand une bombe a explosé sous un camion de la BBC pour empêcher la retransmission de l’évènement, puis quand, durant la soirée, le Mouvement de libération des femmes (WLM) a tenté d’arrêter le concours, véritable «exposition de bétail», à l’aide de bombes de fumée et de sacs de farine.
Cinquante ans plus tard, la réalisatrice britannique Philippa Lowthorpe fait une pause dans sa longue carrière à la télévision (elle a notamment été récompensée aux Bafta pour son travail sur Call the Midwife et est en ce moment aux commandes de trois des six épisodes de la nouvelle série géniale de Dennis Kelly, The Third Day) pour raconter l’histoire mouvementée de ce qui a été «le paratonnerre de la contestation politique», selon la metteuse en scène. Sur un scénario de Rebecca Frayn et Gaby Chiappe, Philippa Lowthorpe remonte le temps pour présenter l’évènement sur un ton plus actuel que jamais, en mettant l’accent sur la notion d’«empowerment» et en décortiquant les clichés de la société masculine pour les faire apparaître tels qu’ils sont vraiment : des instruments de pouvoir ou de mépris envers les femmes.
Le ton fait mouche : un demi-siècle après l’évènement, le concours existe toujours et l’objectification de la femme reste un problème du présent. Pourtant, et même selon les standards d’aujourd’hui, la société machiste du passé, avec ces hommes qui retiennent plus volontiers les mensurations des participantes que leur nom, est décrite avec la juste dose de ridicule et est un véritable appel à la révolte. Les deux principales figures masculines, Eric Morley (Rhys Ifans), créateur du concours, et le comique américain Bob Hope (Greg Kinnear), qui allait à l’époque jouer pour les troupes stationnées au Vietnam, sont largement définies par leur machisme ordinaire. D’ailleurs, eux aussi ont leurs slogans figés dans le passé, qu’ils lancent au détour d’une réplique : «Le monde entier et sa femme seront devant leur télévision», lâche Morley. Ce qu’il insinue, il le fait sans aucune finesse, avec même une certaine fierté dans le choix de la formulation.
En face d’eux, les militantes du WLM, menées par Jo Robinson (la toujours extraordinaire Jessie Buckley) et rejointes par Sally Alexander (Keira Knightley), préparent leur coup pour interrompre la cérémonie. L’arc narratif que le film leur accorde – du moins jusqu’à leur arrivée au concours de Miss Monde – a surtout une valeur historique et appuie le message du film grâce à leurs cris de révolte («Nous ne sommes pas belles, nous ne sommes pas laides, nous sommes en colère!») et leur rêve, toujours inachevé, de mettre à bas le patriarcat. Par leur action, ces héroïnes n’ont pas changé le monde, qui est décidément resté vieux. Elles ne sont pas non plus devenues célèbres, et n’en ont tiré aucun poids politique. Mais elles ont été les premières à s’élever de manière aussi retentissante contre le patriarcat et méritaient au moins qu’on leur rende cet hommage. Misbehaviour est un «feel-good movie» qui brille par son exactitude historique et son engagement, et se place bien au-dessus des autres films historiques britanniques autour de l’histoire du féminisme (Suffragette, Made in Dagenham, pour ne citer qu’eux).
L’édition 1970 verra le sacre de Miss Grenade, Jennifer Hosten (Gugu Mbatha-Raw), première femme de son pays à participer à Miss Monde et première femme noire à accéder au titre; le concours a également introduit cette année-là deux candidates pour l’Afrique du Sud, une femme blanche et une femme noire. Cette dernière, Pearl Jansen (Loreece Harrison), sera première dauphine. Si le film s’égare parfois dans les nombreuses histoires parallèles qu’il doit suivre, il renferme ses plus beaux moments lorsqu’il s’intéresse aux candidates de l’élection. Ce sont elles qui, finalement, ont changé le monde ce soir-là. La société n’en est peut-être pas devenue moins raciste ni moins misogyne, mais le récit de cette affaire rocambolesque est le vecteur d’un message qu’il faut continuer de rappeler… jusqu’à ce que les choses changent pour de bon.
Valentin Maniglia
Misbehaviour, de Philippa Lowthorpe.