Accueil | Culture | Avec «A Curtain Call for Dreamers», Tuys passe en mode expérimental

Avec «A Curtain Call for Dreamers», Tuys passe en mode expérimental


Groupe à part dans le paysage musical luxembourgeois, Tuys a «toujours voulu bouleverser les choses». A Curtain Call for Dreamers est le projet rêvé qui leur a permis d'explorer leurs différentes identités. (Photo : ShadeCcumini)

Le groupe luxembourgeois Tuys, formé notamment autour de Tun Biever, vient de dévoiler la dernière partie de son nouveau projet, A Curtain Call for Dreamers, suite de cinq clips vidéo qui se suivent comme autant d’épisodes d’une minisérie à l’univers absurde et expérimental.

Les jeunes garçons de Tuys n’ont pas encore 25 ans et se posent déjà comme un ovni dans le paysage musical luxembourgeois. La preuve ? Leur dernier projet musical ambitieux, A Curtain Call for Dreamers. Dans ces cinq clips, qui forment une minisérie où l’on croise notamment les membres du groupe qui en interprètent aussi les personnages, l’univers bizarroïde du groupe se déploie dans le mélange des genres musicaux et des styles visuels. On vogue entre le rêve et la réalité dans ce monde à part qui convoque Michel Gondry ou David Lynch, sur des paroles cryptiques comme l’étaient en leur temps celles de R.E.M. Et puisque Tuys a décidé qu’il ne ferait rien comme les autres, il a réalisé la majeure partie de ce projet durant la période de confinement, ce qui sied plutôt bien à son univers claustré et paranoïaque.

Chapeauté par Tun Biever, A Curtain Call for Dreamers – dont le dernier épisode, Saturday Night, est sorti vendredi sur la chaîne YouTube du groupe – «a ouvert de nouvelles portes dans notre esprit», atteste le guitariste et chanteur du groupe, qui en profite pour annoncer que Tuys travaille déjà à sa prochaine entreprise, qui risque fort de se placer dans la continuité de ce projet-ci.

Rejoint pour cet entretien par le bassiste Yann Gengler, Tun Biever attaque directement en pensant à la suite, qu’il imagine encore plus ambitieuse. À raison : A Curtain Call for Dreamers cumule déjà, à l’heure où nous imprimons ces lignes, plus de 100 000 vues.

A Curtain Call for Dreamers est un vrai projet interdisciplinaire dans lequel la vidéo et la musique se complètent…
Tun Biever : Sur certaines pistes du projet que l’on prépare en ce moment, on restera peut-être sur l’idée du visuel qui aide à raconter l’histoire. On aimerait développer cet univers. Grâce à Curtain Call, on a trouvé quelques pistes de ce qui fait l’identité du groupe en général.

Ce projet vous a-t-il aidés à définir l’identité du groupe?
T. B. : Pas vraiment : on a toujours eu des soucis d’identité de groupe (il rit). On a toujours voulu bouleverser les choses, se donner de nouvelles identités. Je crois qu’on aime bien ça. Pour Curtain Call, chaque morceau avait son identité. Notre prochain projet sera quelque chose de plus consistant, avec un fil rouge plus défini et qui n’existe pas seulement dans le visuel. Dans Curtain Call, c’est plutôt l’image qui crée le fil conducteur, alors qu’au niveau de la musique, c’est très varié.

Les cinq clips ont en commun cet univers du rêve, qui est le thème du projet, mais ils sont individuellement très différents. Comment avez-vous construit cet univers ?
Yann Gengler : Comme Tun l’a déjà dit, les chansons sont toutes individuellement très éclectiques, pour la raison que l’on a essayé plusieurs trucs avec différents producteurs. Au niveau de la vidéo, on voulait créer cet univers théâtral à l’intérieur d’un rêve dans lequel nous-mêmes allions être les acteurs. Tout se déroule dans le même monde, et on croise souvent les mêmes personnages dans les différentes vidéos, comme le pantomime, le facteur, nous-mêmes… Dans le dernier épisode, Saturday Night, tous les personnages se retrouvent. C’est vrai que chaque vidéo a son propre style. Les morceaux aussi. Ketchup on My Own Knees (Hungry for More), c’est une chanson très absurde, presque dada, et on voulait recréer ça dans la vidéo. De plus, il fallait suivre les possibilités qu’on avait. On a travaillé avec des amis, des professionnels de la musique, du cinéma, qui nous ont aidés à réaliser les vidéos. Pour ce clip, on était en plein confinement, donc nous étions très limités, mais c’est un minimalisme qui devient absurde, bizarre : il fallait que la vidéo et la chanson marchent main dans la main.

Le premier clip est sorti le 20 mars sur votre chaîne YouTube. Dans quelle mesure le confinement s’est-il intégré à votre univers ?
T. B. : On a tourné les deux premiers clips, Papaya et More Than an Account, avant le confinement. Étrangement, il s’est révélé flagrant que l’univers que nous avions choisi entrait dans le contexte de la quarantaine. On s’est même demandé si c’était le bon moment pour sortir ça. Puis en mars, quand on a commencé à avoir des problèmes pour mettre en œuvre nos idées, on a réécrit la vidéo pour le titre suivant, Hungry for More, pour qu’on puisse la tourner suivant les mesures en vigueur. On a donc tourné ça chez Yann avec une équipe presque inexistante – il y avait nous et deux autres amis – et on a décalé les deux autres tournages dans la foulée. Pour Jungle (NDLR : le quatrième morceau du projet), on avait un concept avec des enfants, qu’on voulait tourner dans une école en avril, mais qui ne s’est pas fait.

On est un peu comme dans The Truman Show

Votre imaginaire est très différent de ce que l’on a l’habitude de voir dans l’univers du clip vidéo, mais il reste assez familier, avec des idées visuelles qui rappellent ce que le cinéma ou la musique ont déjà exploré. De quoi se nourrit votre imaginaire ?
T. B. : Sûrement un mélange entre la musique et le cinéma. Les films ont même une influence dans nos paroles. On est un peu comme dans The Truman Show (Peter Weir, 1998) : on installe un jeu entre nous et le spectateur, entre la fiction et la réalité. C’est aussi sur ça que l’on conclut le projet avec Saturday Night, où l’on voulait carrément transformer le clip en paroles. On aime cette approche surréaliste, et on y ajoute même de la littérature, comme lorsqu’on met une citation d’Albert Camus dans la deuxième vidéo, More Than an Account, à propos de l’absurdité. Notre plus grande inspiration reste la musique, mais elle est aujourd’hui beaucoup plus large qu’avant : ça va du hip-hop à l’indie jusqu’au metal.

Chaque générique de fin contient une reprise de la chanson que l’on vient d’entendre dans un genre différent. La plus surprenante est Ketchup on My Own Knees, que vous transposez justement dans le style metal…
T. B. : Ce qu’on a essayé de faire à la fin de chaque chanson, c’était de réinterpréter le morceau dans un autre style. Dans Ketchup, on a travaillé avec deux amis qui ont un studio, Impala Sound. Eux font de la musique beaucoup plus fort et pour ce titre en particulier, on est parti dans un délire total.

Les vidéos que vous n’avez pas pu tourner pourraient-elles devenir une version alternative de ce Curtain Call ?
T. B. : Je crois que maintenant on a surtout envie d’écrire de nouvelles chansons et de faire de nouvelles vidéos. Mais on pourrait faire quelque chose avec les autres versions des chansons. Ça pourrait être cool, une version alternative comme si c’était l’autre côté du rêve ou le rêve d’une autre personne… Ça aurait très bien collé avec le concept.

Entretien avec Valentin Maniglia

A Curtain Call for Dreamers, de Tuys.