Émaillée par de nombreux incidents, le Tour de Luxembourg, qui s’est achevé samedi, fera l’objet d’une enquête de la part de l’UCI qui se basera sur le rapport du jury des commissaires mais aussi sur les images vidéo.
Vendredi soir, l’organisation du Skoda Tour informe les médias qu’Andy Schleck tiendra une conférence de presse le lendemain, quelques minutes seulement après la cérémonie protocolaire. L’annonce n’est en rien anodine et présage de l’importance de sa prise de parole. Absent les jours précédents en raison des obligations qui sont les siennes en tant qu’ambassadeur de Skoda sur le Tour de France, l’ex-vainqueur de la Grande Boucle 2010 affiche un visage grave. D’autant plus grave que, très attendu sur les questions de sécurité qui ont émaillé l’épreuve dès les premiers jours, celui-ci a dû faire face à un nouvel incident lors de cette 5e et dernière étape. Et pas des moindres : roulant en sens inverse, un camion de la société La Provençale s’est présenté face à un peloton lancé à vive allure dans une descente. S’il y eut plusieurs coureurs à terre, aucun blessé grave n’a été enregistré. «C’est un miracle que rien de plus grave ne se soit passé à cet endroit. Je l’avoue…» L’évènement a été relayé par de nombreux médias européens, comme Eurosport.
Un miracle. Ce terme, soumis par l’auteur de ces lignes, Andy Schleck le reprend volontiers. Toutefois, il refuse que cet incident soit mis sur le compte de l’organisation, terme englobant tous les services en charge d’assurer la sécurité de l’épreuve. «Une investigation doit être faite de notre part», déclare-t-il avant d’évoquer les premiers éléments en sa possession : «Ce qu’on sait aujourd’hui c’est que ce camion, garé à l’entrée d’un hôtel, voulait sortir. Un agent de police l’a averti qu’il devait attendre. À cet instant, l’écart entre l’échappée et le peloton n’était que d’une minute et le policier a dû s’engager. Immédiatement après, le camion n’a pas suivi les consignes et s’est à son tour engagé. Il a eu une amende, mais de notre côté, on va engager des poursuites judiciaires.»
Bus à contresens, voiture folle et neutralisation
Cet incident, qui rappelons-le aurait pu avoir de très lourdes conséquences, a fait le tour de la Toile. Et, sur les images, on aperçoit Ignatas Konovalovas (Groupama FDJ) s’arrêter et applaudir. À cet instant, ce geste symbolise l’exaspération d’un peloton qui, malgré tout, décida de poursuivre sa route et de boucler cette 5e étape. La dernière d’une édition 2020 qui, trois jours plus tôt, faillit s’arrêter prématurément. Petit rappel des faits : le mercredi 16 septembre, après seulement 18 km de course, le peloton décide de mettre pied à terre. Et ce, en raison d’un problème de sécurité évident. La veille au soir, à l’issue donc de la 1re étape, plusieurs coureurs ont averti les organisateurs d’un réel problème de sécurité. C’est notamment le cas de Kevin Geniets. Le champion national confie s’être fait une belle frayeur à moins de cinq bornes de l’arrivée en croisant… un bus! «À cet instant, j’étais à 70 km/h. C’était très dangereux. C’est très décevant que notre sécurité soit si négligée. Je pense qu’il va y avoir plusieurs mails à l’UCI, car d’autres coureurs pensent comme moi…»
Ce mercredi 16 septembre, le peloton s’élance de Remich, convaincu que la sécurité n’est pas optimale. Un sentiment qui se confirme en l’espace d’une demi-heure par deux situations très chaudes : la première lorsqu’une voiture officielle remonte à toute blinde le peloton et vient heurter Jasper Philipsen sans le faire chuter. «À ce moment-là, j’étais devant et c’est vrai que Philipsen a eu de la chance», confirme Jan Petelin, le Luxembourgeois de la formation Vini Zabu. Témoin également de la scène, Jacob Guarnieri (Groupama FDJ) ira, quant à lui, plus loin sur son compte Twitter : «Je ne sais pas comment il a réussi à survivre.»
La deuxième situation se produit au 18e kilomètre : à un carrefour, une voiture s’engage à un croisement et stoppe sa course au tout dernier moment à la vue du peloton. Là encore, heureusement, sans conséquence. Andy Schleck : «Cette femme (NDLR : la conductrice du véhicule) avait déjà neuf avertissements de la police. Elle s’est quand même engagée sur la route. Dans ce cas, que peut-on faire? On met des cales sous la voiture et on l’enlève avec la voiture balai?» Pour le peloton, c’en est de trop et il décide de s’arrêter. L’hypothèse de rentrer à l’hôtel traverse les esprits des coureurs les plus remontés. Finalement, par la voix de ses porte-paroles, John Degenkolb, le sprinteur de la formation Lotto-Soudal, Maxime Monfort, le directeur sportif de cette dernière et celui de l’équipe AG2R La Mondiale (Nicolas Guillet), le peloton décide de neutraliser l’étape jusqu’à l’entrée du circuit final à Hesperange. En revanche, il s’engage à rouler à une certaine allure afin de respecter les engagements horaires pris par l’organisation vis-à-vis des diffuseurs de l’épreuve (RTL, Eurosport Player). En contrepartie, des mesures de sécurité doivent être prises au plus vite. Vainqueur de cette 2e étape, Arnaud Démare confirme : «Les routes sont magnifiques, on a un temps exceptionnel : on a tout pour avoir une superbe course, mais la sécurité reste un point très important à régler.»
Pour inverser la tendance et montrer sa bonne volonté, l’organisation du Skoda Tour annonce l’«augmentation du nombre de motos de sécurité (de 15 à 22)», mais aussi «une présence accrue d’agents de la police grand-ducale pour les prochaines étapes» ainsi qu’une «augmentation de signaleurs pieds à terre le long du parcours sur les points les plus importants». Ces mesures n’empêchent pas les coureurs de croiser un véhicule garé de travers en plein rond-point ou de devoir serrer les rangs en raison d’une chaussée rétrécie par des véhicules mal stationnés. Mais, à l’arrivée de cette 3e étape, son lauréat John Degenkolb tend à apaiser les esprits. «La sécurité était bien meilleure aujourd’hui…» À tendre l’oreille à droite à gauche, on comprend que ce n’est pas encore suffisant. Désigné ce jour-là coureur le plus sympathique du peloton par les organisateurs, Jan Petelin assure avoir «croisé une voiture» et l’affirme : «Cette course est diffusée dans beaucoup de pays à l’étranger, tout le monde a vu ce qui s’est passé. Franchement, vu ce qui s’est passé jusqu’à présent, ce n’est pas digne d’une épreuve ProSeries !»
La fédé internationale derrière les coureurs
Cette appréciation reflète-t-elle la réalité ? Le même jour, à 16 h 42, la fédération internationale de cyclisme s’exprime via le compte Twitter UCI-Media. Dans son communiqué, l’instance légitimise la requête des coureurs : «De nombreuses actions ont été entreprises par l’Union cycliste internationale (UCI) afin d’améliorer la situation sur le Tour de Luxembourg. Nous avons été en contact permanent avec les représentants de l’organisation, de la police, des coureurs et des équipes. Mercredi, le Collège des commissaires UCI a géré les questions sportives et de sécurité avec la neutralisation de la deuxième étape à la demande des coureurs – conformément à l’article 2.2.029bis du règlement UCI – et la décision de ne reprendre le départ qu’à l’entrée du circuit d’arrivée qui bénéficiait de la mise en place de mesures de fermeture de route plus importantes (…) Nous continuerons à suivre de près la course dans le cadre de notre engagement à renforcer nos contrôles sur les épreuves et à faire de la sécurité des coureurs une priorité. Les courses du calendrier international UCI qui ne sont pas conformes au règlement UCI pour la sécurité des coureurs pourraient faire l’objet d’une annulation d’étape ou de course, ainsi que de nouvelles mesures disciplinaires.»
Cette prise de position officielle de l’UCI fragilisait d’ores et déjà une épreuve qui allait vivre un véritable cauchemar, samedi, avec l’intrusion de ce camion sur le parcours. Interrogé sur ses éventuelles craintes quant au contenu du rapport établi par les commissaires de l’UCI présents tout au long de la semaine, Andy Schleck se rend à l’évidence : «J’imagine qu’on n’aura pas cinq étoiles…» Le président de la commission d’organisation de ce Skoda Tour espère aussi bénéficier de la clémence de l’UCI pour des faits qui, insiste-t-il, n’impliquent pas uniquement la responsabilité de l’organisation. «J’espère qu’on aura un soutien car si des courses, à gauche à droite, s’arrêtent, il ne restera plus que le Tour de France, le Tour d’Italie et le Tour d’Espagne. Et le vélo ne se résume pas à ces trois courses-là.»
L’épreuve figure parmi les 26 courses labellisées ProSeries (2Pro)
Le Skoda Tour sera-t-il sanctionné par l’UCI et si oui qu’encourt-il ? Selon nos informations, une rétrogradation n’est pas à écarter. Cette année, l’épreuve figure parmi les 26 courses labellisées ProSeries (2Pro), catégorie née de la réforme du calendrier et située juste en dessous du World Tour. Au sein de l’UCI, un membre nous confie : «Il peut toujours y avoir un problème. Mais à l’UCI, on ne rigole pas avec la sécurité des coureurs…»
Samedi, avant de quitter le Limpertsberg pour prendre son train et rejoindre Paris afin d’assumer son rôle d’ambassadeur de Skoda lors de la dernière étape de la Grande Boucle, Andy Schleck conclut : «Sportivement, on a assisté à une course exceptionnelle. Si on regarde la ligne d’arrivée et le podium, on est sur un très, très haut niveau. Mais il peut y avoir cent bonnes choses, s’il y en a une mauvaise, l’image l’est aussi. On sort de cette édition sur des béquilles mais on va guérir. Et puis on fera notre maximum pour garantir le futur de cette course et rester sur le niveau où l’on est…»
Le Skoda Tour se relèverait-il d’une relégation en catégorie 2.1? Si ses organisateurs ont conscience de la possibilité d’une telle issue, ils tenteront de convaincre l’UCI de leur bonne foi afin d’échapper à une sanction aux potentielles lourdes conséquences.
Charles Michel