Privés d’activité depuis mars, ou s’inventant de nouvelles pratiques en raison d’un virus toujours vivace, les théâtres de Luxembourg se lancent, depuis cette semaine, dans leur nouvelle saison. Mais dans quel état d’esprit et avec quels moyens? Le Quotidien fait le point.
TNL
«Les spectateurs se sentiront comme à la maison!»
«On a eu une cinquantaine de représentations, ici ou en tournée, qui n’ont pas pu être jouées. Cela représente une douzaine de productions qui ont dû être reportées ou, pour trois d’entre elles, annulées.» Et c’est la directrice du TOL, Véronique Fauconnet, qui inaugurera cette saison étrange avec Objet d’attention, qu’elle met en scène d’après le texte du Britannique Martin Crimp. «C’est particulièrement important pour nous d’avoir cette pièce pour le lancement de la saison, poursuit Frank Hoffmann, pas seulement parce qu’elle devait être jouée l’année dernière mais aussi parce qu’elle possède un rapport évident avec le confinement.»
On l’aura compris, le TNL souhaite jeter à travers sa programmation un regard critique sur la période incertaine qu’il a traversée. Critique, oui, mais décalé aussi. Et qui mieux que le patron du lieu pour mener la danse? Frank Hoffman «met en scène trois pièces», dont La Peste d’après Albert Camus, dans une mise en scène qu’il promet «surprenante», une création mondiale (Frontalier, de Jean Portante) «et une reprise». Et ajoute en riant : «Camus est beaucoup moins drôle et grinçant que Kafka, mais je réussirai à mettre un peu d’humour quand même!»
Peut-être est-ce dû à l’euphorie de la réouverture prochaine, mais Frank Hoffmann ne cache pas son optimisme. «Je n’ai pas tellement peur des annulations. Ce que je crains plus, c’est l’appréhension du public. On fera tout pour le recevoir en toute sécurité et avec le maximum de confort.» Avec une touche d’ironie toujours parfaitement sentie : «Les spectateurs se sentiront au TNL comme à la maison!»
Lancement de saison le 25 septembre à 20h. Objet d’attention, de Martin Crimp. Mise en scène de Véronique Fauconnet.
TOL
«On ne lâche rien et ce n’est pas le virus qui va gagner…»
Enthousiaste… Voilà le mot qui correspond bien, en cette rentrée, à toute l’équipe du TOL. La brochure de la nouvelle saison appuie les sourires avec cette phrase, sans appel : «C’est un euphémisme de dire que le public et le théâtre nous ont manqué»… Sa directrice artistique, Véronique Fauconnet, poursuit sur le même élan : «On retrouve notre métier et le jeu!», dit-elle, précisant la «violence» provoquée par le coup d’arrêt soudain en mars. «Au théâtre, on ne s’arrête jamais. Du coup, cette pandémie, brutale, a été difficile à vivre.» Le souffle retrouvé, le TOL se lance bille en tête dans ce nouvel exercice, concentré sur la scène, les comédiens, et non pas sur la situation sanitaire, même si celle-ci peut évoluer négativement. «Si on pense au tourment, on n’avance plus. Moi, je le balaye. Oui, il y a une épée de Damoclès au-dessus de notre tête, mais on ne la regarde pas.» Et rien de mieux que de se lancer dans le travail pour éviter de trop y penser.
Pour preuve, chez elle, ça démarre tambour battant avec trois spectacles condensés sur un mois, dont deux premières (Objet d’attention et Comme s’il en pleuvait) – «du jamais vu!». Dès samedi, d’ailleurs, c’est toute la profession qui a lancé les réjouissances avec la «Theaterfest», et au TOL, on ouvre même «symboliquement» les portes la semaine prochaine avec L’Ouvrir (ça ne s’invente pas!), monologue d’Isabelle Bonillo. «C’est un démarrage un peu hystérique, mais il fallait le faire, balance Véronique Fauconnet. On ne lâche rien et ce n’est pas le virus qui va gagner.» Bref, avec dix pièces programmées jusqu’en juin 2021, le TOL fait dans le généreux. «Tout a été reporté et rien n’a été annulé», affirme la directrice, qui a retrouvé, en juillet, les répétitions «avec joie et bonheur», même si les comédiens devaient se faire systématiquement tester avant de se renvoyer les répliques. Le seul moyen, selon elle, d’éviter l’impensable : jouer avec un masque. «C’est tout bonnement impossible!» Une chose est claire : les mesures d’hygiène et de sécurité n’entament pas son moral, bien que le TOL voie, pour l’instant, sa capacité réduite à 20 personnes. Car vendredi prochain, y a théâtre!
Lancement de saison le 18 septembre à 20 h. L’Ouvrir , de et avec Isabelle Bonillo.
Centaure
«C’est un secteur vivant et là, ON le voit à nouveau!»
Directrice artistique du Centaure, Myriam Muller salue l’importance de la solidarité après ces temps de disette, ou plutôt sa nécessité. «C’est bien d’être là, tous ensemble, pour cette rentrée», dit-elle après une présentation de saison conjointe avec le TOL et les Casemates. L’union fait la force, comme dit l’adage, et ce n’est pas rien quand on favorise les créations nationales qui n’impliqueront pas moins de 55 artistes, comme ce sera le cas pour le petit théâtre voûté de la capitale. «On est le vivier de ce métier, et on porte cette responsabilité», martèle la comédienne et metteuse en scène.
Satisfaite que le gouvernement n’ait pas oublié la scène (il a doublé sa dotation annuelle, de 100 000 à 200 000 euros pour chacun des trois théâtres), elle n’en est pas pour autant naïve sur la suite de l’histoire, si elle tourne mal : «Chacun porte encore les stigmates de ce confinement… On ne va pas se dire « youpi, c’est reparti comme en 40! ». Surtout qu’en cas de nouvelle vague, notre secteur sera vite impacté.» Mais pour le moment, savourons l’instant… «Oui, c’est libérateur de se dire que l’on peut faire de nouveau son métier et d’accueillir le public », même si c’est avec des masques, du gel à profusion et une sévère limite en termes d’affluence. Proposant six créations (dont une, Bug, transformée en lecture), Myriam Muller se veut philosophe : «Ce virus, c’est une leçon de vie! L’important dans les coups durs, c’est ce qu’on en fait. Du coup, ça donne encore plus envie d’aller à fond dans sa passion.» Pas de retenue, donc, dans le jeu et l’état d’esprit. «C’est un secteur vivant et là, on le voit à nouveau!»
Lancement de saison le 7 octobre à 20 h au Kinneksbond (Mamer) Truckstop, de Lot Vekemans. Mise en scène de Daliah Kentges.
Casemates
«Le théâtre va survivre à ça. Il est là depuis les Grecs!»
Aux Casemates, on apprécie les symboles. Pour cette rentrée, deux, au moins, sont à souligner : le premier dans le choix de la programmation avec, dès ce samedi, la présentation de la coproduction Mort aux cons! (avec le Centaure et le TOL), celle justement dont le coronavirus a coupé l’élan. «Reprendre avec cette lecture, c’est un bon moyen de montrer que l’on est de nouveau là», soutient Marc Limpach, dramaturge (NDLR : en Allemagne, le terme désigne un accompagnateur critique de la production, un conseiller littéraire, un collaborateur du metteur en scène).
Le second, lui, tient dans la couverture de la brochure de cette nouvelle saison. Dessus, un masque théâtral ramenant à l’Antiquité, avec un autre, plus d’actualité, sur le nez. Et quand on tourne la page, la protection a disparu… « On trouvait l’allégorie judicieuse , dit-il. Se dire que le théâtre va survivre à ça. Il est quand même là depuis les Grecs! Il existera toujours, vivra toujours, même avec un masque.» Tout comme son modèle, Marc Limpach respire avec plus d’aisance. «Avant, on n’avançait plus, l’incertitude était permanente… Aujourd’hui, on a une perspective réelle. Ça repart et oui, c’est libérateur!» En témoigne une saison «complète», avec de nombreuses nouvelles pièces. Et une envie de revoir le public, les partenaires de jeu et, au milieu, une interaction nécessaire : «Le théâtre comme lieu de rencontres et de débats, il le faut dans nos sociétés. On est là et on fait notre travail. À nouveau!»
Lancement de la saison Le mardi 6 octobre à 20 h Rote Nelken für Herkul Grün , de Roger Manderscheid Mise en scène de Serge Tonnar.
Grégory Cimatti et Valentin Maniglia