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Nos dix romans indispensables pour la rentrée


"Le Quotidien" a sélectionné dix livres en cette rentrée littéraire. (illustration AFP)

La tradition est respectée. Le Covid-19 n’a pas anéanti l’édition, même si elle est mal en point, et comme chaque année, on a droit à la traditionnelle rentrée littéraire, grand classique du monde des livres «à la française».  Le Quotidien a retenu dix ouvrages.

D’ici fin octobre sont annoncés 511 romans francophones et étrangers, dont 65 premiers romans, une production en baisse par rapport à la rentrée 2019. Parmi tous ces livres, nous vous en proposons dix, ce sont les indispensables. Bonnes lectures !

Le coup de cœur : Saturne, de Sarah Chiche (Seuil)

Un père, sa fille. Il meurt en 1977, il a 34 ans. En 2019, elle rencontre une femme qui a connu, pendant son enfance, ce père disparu trop tôt. C’est Saturne, le nouveau roman de Sarah Chiche, psychologue clinicienne et psychanalyste qui, en janvier 2019, nous avait éblouis avec Les Enténébrés.

Avec Saturne, c’est l’histoire d’un père et de sa fille, c’est aussi la découverte de l’écriture, la promesse de l’écriture faite au père par la fille. Saturne, c’est aussi le roman du crépuscule d’un monde, le roman qui ouvre avec un prologue aussi insupportable que bouleversant, contant le passage en réanimation du père et son départ à jamais.

Puis c’est un flash-back pour première partie : l’histoire de Harry, le père né en Algérie, un frère brillant (Armand). Lui, Harry, rate ses études de médecine et tombe éperdument amoureux d’une éblouissante jeune femme prénommée Ève (il y avait déjà une Ève dans Les Enténébrés) avec sa part de noirceur… L’emmènera-t-elle vers les sommets ? Provoquera-t-elle sa chute ?

En deuxième partie, l’auteure propose un saut dans le temps : printemps 2019, la narratrice est à Genève, croise une femme qui a connu son père. La fille alors va raconter son enfance toute entière habitée par la maladie en forme de damnation, la mort et le deuil du père, et aussi les ravages d’une éducation impitoyable qui détruit inexorablement les vulnérables. Et puis, le bonheur de l’écriture pour une jeune fille qui a promis au fantôme du père de devenir écrivaine… Saturne, le coup de cœur de la rentrée littéraire !

Immersion dans la France «tradi» : Bénie soit Sixtine, de Maylis Adhémar (Julliard)

490_0008_15255105_0821_Adhemar_couvC’est jour de mariage en France bourgeoise. Il y a Sixtine (parce que sixième des enfants de la famille). Elle va rencontrer, fréquenter puis épouser Pierre-Louis. C’est le parcours obligé «chez ces gens-là».

C’est aussi le point de départ de Bénie soit Sixtine, le premier roman de Maylis Adhémar, journaliste vivant à Toulouse qui signe là un des plus cinglants textes de cette rentrée littéraire de l’été 2020. Sixtine a grandi, enfant puis adolescente, dans une famille très pieuse, ultracatholique, réac et royaliste où l’on chante Maréchal nous voilà en souvenir de Pétain. Chez ces gens-là, c’est bien autre chose que de la nostalgie.

L’auteure confie avoir grandi dans ce milieu, «dans une famille très pratiquante appartenant à cette mouvance que l’on appelle les « tradis », même si elle n’était pas aussi snob que celle décrite dans mon livre». Évidemment, pour la jeune Sixtine, Pierre-Louis ne peut être que l’époux idéal, lui qui brigue une carrière de prestige dans le monde militaire. Peu après leur mariage, ils s’installent à Nantes et, vite, c’est l’annonce d’un héritier…

La vie de Sixtine est ainsi écrite : femme au foyer, mère de famille nombreuse. «Chez ces gens-là», il en va ainsi. Sauf qu’un évènement (tragique) bouleverse le quotidien de Sixtine. Ce seront des jours nouveaux, tout placés sous le signe de l’émancipation. Bénie soit Sixtine n’est pas seulement une étourdissante immersion chez les «tradis», c’est également le beau roman de la tolérance et de la liberté.

 

Bukowski jusqu’à la dernière goutte : Sur l’alcool, de Charles Bukowski (Au diable Vauvert)

490_0008_15255106_0821_Bukowski_couvEt le voici, le livre à avaler cul sec ! Au nom de l’amour et de l’art, on lit : «Je suis assis devant ma machine à écrire / dans l’attente d’être bourré / ma copine qui fait des sculptures / voudrait en faire une de moi / à poil et bourré / une bouteille à la main»…

Le plus grand boit-sans-soif de la littérature américaine est à la manœuvre. En cette année 2020, Charles Bukowski, né en Allemagne, arrivé aux États-Unis à l’âge de 2 ans, aurait eu 100 ans. Si l’on part du principe que la dive bouteille conserve son homme ! Qu’importe, on se glisse dans ce recueil nouveau, anthologie de textes inédits du grand «Buk» simplement titrée Sur l’alcool. Au moins, il n’y a pas tromperie sur la marchandise avec notre poivrot céleste préféré qui expliquait : «S’il se passe un truc moche, on boit pour essayer d’oublier. S’il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter et s’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose.»

Auteur de textes définitifs comme Contes de la folie ordinaire, Pulp, Women ou encore Journal d’un vieux dégueulasse, Bukowski n’a jamais mis d’eau dans son vin, assurant qu’il ne pensait pas que «l’alcool détruise les écrivains. Je pense qu’ils sont détruits par l’autosatisfaction». Âme imbibée à l’alcool dur, l’écrivain américain a toujours considéré la bouteille comme une longue vue, et c’est ainsi qu’il a, pendant tant et tant d’années, scruté au plus près l’Amérique des déchus et du spleen. Et alors, comment refuser un dernier verre de Bukowski ? Impossible, on lira jusqu’à la dernière goutte. Jusqu’à la dernière ligne.

Écrire contre le temps : Le Temps gagné, de Raphaël Enthoven (Éditions de l’Observatoire).

490_0008_15255108_0821_Enthoven_couvÀ chaque rentrée littéraire, son scandale. Plus ou moins ample, plus ou moins improbable, voire anecdotique. En cet été 2020, on n’échappe pas à la règle, et c’est le philosophe Raphaël Enthoven, 45 ans, que l’on voit aussi à la télé et qu’on entend à la radio, qui en est l’initiateur.

Avec son premier roman joliment titré Le Temps gagné (référence évidente au chef-d’œuvre de Marcel Proust À la recherche du temps perdu). Avant même sa sortie en librairies, le livre a provoqué rumeurs et craintes. Panique à Saint-Germain-des-Prés, ce quartier où, un temps, se faisaient et défaisaient les gloires et réputations littéraires. Articles dans la presse française, et même italienne ! Le Temps gagné, sous la plume de Raphaël Enthoven, c’est la version littéraire de «règlements de comptes à Saint-Germain-des-Prés».

D’entrée, l’auteur prévient : «Cette histoire est entièrement imaginée puisque je l’ai vécue d’un bout à l’autre.» Tenant (avec bonheur) l’autofiction, il déroule sa comédie humaine. Enfant, il était battu à coup de gifles par son beau-père (un psy parisien réputé) devant une mère (journaliste de gauche) qui avait la main leste mais surtout pour jouer du piano. Il passait du temps chez son père (écrivain et éditeur) pas riche mais qui vivait comme s’il l’était. Il s’est marié avec la fille d’un «nouveau philosophe», qui écrira sa version de leur vie (Justine Lévy, Rien de grave), sera convoqué par son beau-père pour répondre de son infidélité, il aura un enfant avec sa maîtresse mannequin-chanteuse devenue sa compagne… Une entrée en littérature aussi remarquée que remarquable !

La discrétion comme résistance : La Discrétion, de Faïza Guène (Plon)

490_0008_15255109_0821_Guene_couvEn 2004, une jeune fille de 19 ans débarque dans le monde des livres francophones. Elle surgit de nulle part, se nomme Faïza Guène et signe un premier roman, Kiffe kiffe demain. Succès immédiat : plus de 350 000 exemplaires vendus, traduction dans 26 langues… Née à Bobigny, banlieue nord de Paris dans le département le plus pauvre de France, elle est présentée comme «écrivain à part et entière» par un hebdo africain toujours jeune. Elle se définit, elle, simplement comme une personne discrète. Et, en cet été 2020 après avoir changé de maison d’édition (un transfert sans aucune mesure avec ceux des footballeurs professionnels), elle est de retour avec un nouveau roman, La Discrétion.

L’héroïne, Yamina, «est née dans un cri. À Msirda, en Algérie colonisée. À peine adolescente, elle a brandi le drapeau de la liberté». Quarante ans plus tard, on la retrouve à Aubervilliers, banlieue nord parisienne, où elle vit «dans la discrétion». Son mari Brahim travaille, ils ont quatre enfants : un garçon et trois filles, dont l’une a la révolte dans le sang et qui supporte de plus en plus difficilement les humiliations subies surtout par sa mère, la discrète qui n’est que douceur.

Et si cette discrétion était la forme ultime, suprême de résister ? Yamina d’Aubervilliers vit à travers ses enfants, tente (en vain) d’oublier sa vie d’avant. Les quatre enfants ne comprennent pas cette discrétion, héritent d’un sentiment d’humiliation. Et rien ne peut empêcher la colère, à un moment ou à un autre, de sourdre…

Histoire du fils et quête du père : Histoire du fils, de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Castel)

490_0008_15255115_0821_Lafon_couvUne histoire de famille, sur un siècle. De 1908 à 2008. Une histoire pour trois générations, dans le Lot, dans le Cantal voisin et à Paris. Et pour un mystère qui sera révélé après le mariage du personnage principal de Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon qui, à ce jour, a écrit 13 romans et fictions, dont Le Soir du chien, L’Annonce, Joseph ou encore Histoires (Goncourt 2016 de la nouvelle). Auteure de la discrétion et du classicisme, elle entretient une œuvre toute en raffinement et fluidité, loin des nombrilistes du style.

Avec cette Histoire du fils, il y a André, le fils. Le père, il est l’absent. La mère, c’est Gabrielle mais, partie travailler à Paris, elle a confié son fils à sa sœur Hélène et son époux. L’enfant grandit parmi ses cousines, sa mère vient le voir l’été. Il y a aussi les bonheurs ordinaires, mais aussi le manque. Un manque immense, pour une question : qui est mon père ? André veut savoir, ne comprend pas l’absence, il guette. Sait-on jamais… Il se marie, le lendemain sa femme lui confie : «Ta mère m’a dit hier pour ton père, il s’appelle Paul Lachalme»…

Chez tant d’autres auteur(e)s, on aurait eu droit à une cascade de guimauve et mièvreries; avec Marie-Hélène Lafon, c’est une Histoire du fils, un texte fluide découpé en chapitres jonglant avec le temps, tout en allers et en retours, déroulant les personnages sans jamais se perdre dans la foule.

Une fois encore, tel un champion de haut niveau, la romancière ne s’est pas contentée d’assurer, avec cette quête du père, l’essentiel. Une fois encore, Marie-Hélène Lafon a grandement réussi.

La cause des filles : Fille, de Camille Laurens (Gallimard)

490_0008_15255114_0821_Laurens_couvRythmant les premières pages, comme un leitmotiv : «C’est une fille.» Oui, «ça commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir. Ta naissance ressemble à la création du monde, et il y a le ciel et il y a la terre…» Ça commence ainsi, un des livres les plus enthousiasmants de cette rentrée d’été 2020, c’est Fille de Camille Laurens.

Écrivaine confirmée, feuilletoniste et nouvelle membre du jury du prix Goncourt, elle signe là un roman mêlant allègrement autofiction et réflexion. D’autres ont défendu la cause du peuple, Camille Laurens milite pour la cause des femmes. Sans excès, sans radicalité.

Ainsi, sa narratrice, Laurence Barraqué, se raconte. Une vie de femme. De fille, surtout, ce mot à qui la langue française accorde au moins quatre définitions. Elle est née en 1959 dans une famille de confession protestante et une époque où le patriarcat était la règle de vie; elle est devenue mère d’une fille prénommée Alice dans les années 1990 où la contraception et l’avortement sont choses légales, et plus tard apparaîtra le mouvement #MeToo.

Au fil des pages de la première partie, il y a la sexualité naissante à l’adolescence, l’éveil à la sensualité, l’amour et ses premières turbulences ou encore le grand-oncle qui s’est laissé aller à des attouchements sur la petite fille de 9 ans… De sa belle écriture, aussi limpide que liquide, Camille Laurens signe un livre évènement, tout en bonheurs et tourments, en réflexions aussi acérées que tendres sur les relations humaines, sur la condition féminine au fil de dernières décennies…

Le roman de la paix et de l’infini : Apeirogon, de Colum McCann (Belfond)

490_0008_15255112_0821_McCann_couvLe roman-fleuve de cette rentrée littéraire d’été 2020. Un texte au long cours – un peu plus de 500 pages – et un titre énigmatique venu du grec, c’est Apeirogon de l’Irlando-Américain Colum McCann. Un roman essentiel qui a pour théâtre Israël et la Palestine.

À 55 ans, McCann trimballe une œuvre aussi dense qu’impeccable avec, entre autres, trois recueils de nouvelles et six romans parmi lesquels Et que le vaste monde poursuive sa course folle, récompensé par le National Book Award. Apeirogon (qui signifie, en grec, «figure géométrique au nombre infini de côtés») conte l’histoire de deux pères. Précision de McCann : «Les forces motrices qui sont au cœur de ce livre, Bassam Aramin et Rami Elhanan, existent pour de vrai. Par « vrai », j’entends que leurs histoires – et celles de leurs filles, Abir Aramin et Smadar Elhanan – ont été bien décrites.»

Deux hommes : un Israélien, un Palestinien. L’un et l’autre essaient de survivre après la mort de leurs filles âgées de 10 ans. Bien sûr, ils sont dévorés par le chagrin, le deuil, les souvenirs. Mais l’un comme l’autre, l’un avec l’autre, ils vont ensemble créer l’association Combattants for Peace.

Les deux hommes existent, l’auteur les a rencontrés lors d’un séjour en Israël, leur a demandé l’autorisation de rapporter leur histoire tout en leur assurant qu’il ne leur garantissait pas la fidélité aux évènements. Mieux : de cette belle histoire, McCann a poussé au plus loin l’expérience littéraire, se référant au titre Apeirogon, cette fameuse figure géométrique au nombre infini de côtés. Un roman vertigineux…

Sur le chemin de l’élévation : Les Aérostats, d’Amélie Nothomb (Albin Michel)

490_0008_15255111_0821_Nothomb_couvEh oui, la tradition, cette année, est encore respectée ! L’écrivaine belge Amélie Nothomb, 53 ans, répond présente au rendez-vous de cette rentrée littéraire d’été 2020. Comme chaque année, elle présente son nouveau roman, et en cet août 2020, elle nous glisse son vingt-neuvième, Les Aérostats. Rituelle, la question est posée : «Alors, il est comment, le nouveau Nothomb ?» Lecture achevée, on répondra : «Plutôt bon… Et meilleur que les précédents.»

On est à Bruxelles. Une jeune fille, Ange Daulnoy, 19 ans, étudiante en philologie, vit en colocation avec Donate, qui a un amoureux mais qu’on ne voit jamais. Ange cherche un petit boulot, elle a affiché une petite annonce. Un homme, Mr Roussaire, la contacte : «J’ai vu votre annonce. Mon fils de seize ans est dyslexique. Pourriez-vous vous occuper de lui ?» Y aller ? Ne pas y aller ? Finalement, Ange prend l’adresse et file au rendez-vous, le lendemain après-midi. L’homme est grossier, exigeant, pas très clair, limite malsain…

Elle rencontre le fils, Pie, 16 ans. L’entreprise n’est pas simple, la jeune fille va réussir, avec l’aide de L’Iliade d’Homère, à l’initier aux bonheurs et aux bienfaits de la lecture. Elle va réussir l’aider à avancer encore et encore sur le chemin de l’élévation, comme pour se mettre à hauteur des aérostats.

Avec simplement un livre. Mais, pour ce jeune homme, un livre fondateur, un livre révélation. En grande forme, Amélie Nothomb signe avec Les Aérostats un livre aussi sec qu’intense. Quand la lecture est tout simplement un bonheur…

Là où l’art côtoie l’horreur : La Grâce et les Ténèbres, d’Ann Scott (Calmann-Lévy)

490_0008_15255113_0821_Scott_couvSoit un musicien en panne d’inspiration. Il se prénomme Chris, a 30 ans et a grandi dans une famille de femmes engagées : Colette, la mère climatologue et militante écologiste, Cass et Claire, les deux sœurs photographe de guerre et grande reporter. Il va laisser tomber son premier album, et se lancer dans la surveillance anti-Daech.

Avec La Grâce et les Ténèbres, Ann Scott fait, à 54 ans, un retour remarqué en cette rentrée d’été 2020. Romancière devenue culte dès son deuxième livre (Superstars, paru en 2000 et tenu pour le «premier roman pop français crédible») et célébrée pour son précédent Cortex (2017), elle se lance sans retenue (et c’est un bonheur extrême de lecture) dans la docu-fiction. On plonge, avec Chris, dans les réseaux sociaux, le terrorisme, la propagande jihadiste… C’est furieusement documenté, formidablement raconté.

Bien sûr, avec cette surveillance du terrorisme, membre de la «Katiba des Narvalos» (une petite organisation d’anonymes qui surveille les terroristes sur le «dark net»), Chris va s’éloigner de la musique et côtoie l’horreur avec vidéos de décapitation. Mais quelle peut être, quelle doit être sa priorité de vie ? Traquer les terroristes sur la messagerie, sur les réseaux sociaux, et s’éloigner de lui-même ? Se reconnecter à la musique, à l’art ? Donner un sens à sa vie, voilà la quête de Chris…

Encore et toujours, dans La Grâce et les Ténèbres, texte viril et poétique, il y a l’écriture d’Ann Scott. Une écriture de l’urgence. Celle qui permet de retrouver (de garder ?) la grâce, de s’éloigner des ténèbres.
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan